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Un grec au XXe siècle

Thierry Maulnier

Voici de longues années — depuis la rénovation des Jeux Olympiques — que les manuels de morale sportive, la presse spécialisée, les discours de distribution de prix nous chantent sur le mode lyrique l'idéal hellénique de l'équilibre sur les sommets, la double éducation de l'âme et du corps, la parenté féconde du gymnase et de la palestre. Nous avons tous lu dans Platon le sens initial de musique et de gymnastique et nous avons répété et écrit les mots de passe antiques du système, de kallos kagathos à mens sana in corpore sano.

Mais il semble bien, si on considère attentivement le sport estudiantin, l'application des programmes d'initiation sportive dans l'Université hostile et la pratique effective du sport par les écrivains et les artistes, qu'il s'agisse plutôt d'une vue de l'esprit, d'un rappel historique, d'un prétexte à discours ministériels, et qu'on s'arrête au stade spéculatif sans jamais atteindre le « stade aux cent portes ».

Il est donc particulièrement réconfortant de pouvoir citer, à côté des exemples classiques usés à force d'avoir servi, une illustration vivante de l'idéal hellénique chez un grand écrivain contemporain.

Il serait superflu de définir la situation littéraire de M. Thierry Maulnier, dont le professeur Thomassont écrivait en 1938 qu'il était l'« intelligence la plus pénétrante de la génération » et qui est devenu, depuis cette prophétie, un des premiers maîtres à penser de la jeunesse française.

Thierry Maulnier vit le jour à Alès — patrie de Raphaël Pujazon — en 1910. Il ne s'appelait alors que Jacques Talagrand. Mais c'est en 1920, à Chamonix, qu'il devait avoir la révélation de la joie sportive. Il fut initié cette année-là au patin à glace, et il a raconté dans des pages émouvantes l'impérissable souvenir que lui laissa cette première ivresse sportive.

De retour à Nice, ayant gardé le souvenir des sports de glace, et peut-être par nostalgie des ébats de la patinoire, il pratique assidûment le hockey sur gazon. En 1926, à seize ans, il fit ses premières armes en athlétisme et s'affirma à la fois comme un excellent hurdler sur les haies hautes et un sauteur en hauteur d'avenir.

Mais son extraordinaire éclectisme, cette passion dévorante de la découverte qu'il devait si noblement manifester dans son œuvre, marquait déjà sa carrière sportive. Et, jusqu'à son entrée à Normale supérieure, il se livra presque exclusivement aux joies exaltantes du yachting.

Rue d'Ulm, il pratique tour à tour le 800 mètres et le polo, et il établit le record de l'École de steeple.

Son éblouissante carrière de critique et de philosophe allait le détourner quelques années des jeux du stade. Et ce n'est qu'en 1946 qu'il fit officiellement sa rentrée en compétition athlétique à l'Association des écrivains sportifs. Il devait, deux années plus tard, battre le record de France des écrivains sur le 800 mètres, record que détenait alors son éminent confrère et ami Pierre Frondaie. Thierry Maulnier, malgré le vent contraire, réussit sur la piste de Roland-Garros le temps de 2' 4" 3/5. Il ne lui a probablement manqué qu'un peu de continuité dans son effort athlétique, et aussi le bénéfice de difficultés indispensables, pour battre le temps fatidique des 2 minutes, qui l'aurait classé parmi les coureurs de valeur nationale de notre demi-fond.

Mais, fidèle à cette règle de vie qui pourrait tenir dans la formule d'André Gide : « Assumer le plus possible d'humanité », Thierry Maulnier ne s'est pas cantonné dans la course à pied. Alpiniste infatigable, il a escaladé nos sommets alpestres, du Dru au Crépon. Il a été le héros et l'animateur de la classique course cyclotouriste Paris-Montargis.

Il s'est, en outre, distingué au cours de plusieurs matches de basket-ball dans l'équipe des Écrivains sportifs.

Quand on considère que, parallèlement à cette brillante carrière d'athlète et d'alpiniste, il a gravi les sommets escarpés qui mènent à l'Olympe de l'art dramatique, au Parnasse de la philosophie, à l'Hélicon de la poésie, il faut bien convenir que l'« héritage de Pindare » n'est plus une clause de style.

Je ne connais pas de plus riche exemple à proposer à notre jeunesse. Et je déplore seulement que M. Thierry Maulnier ne se soit pas consacré au sport pour lequel il nous apparaît le plus doué, le demi-fond. S'il l'avait fait, nous aurions pu voir — selon le mot de son maître, le professeur Thomassont — l'auteur de La Course des Rois devenir un des rois de la course ...

Gilbert PROUTEAU.

Le Chasseur Français N°641 Juillet 1950 Page 414