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Grande culture

L'équilibre des cultures

La notion de l'équilibre des cultures reste un problème difficile à résoudre, et les solutions sont d'autant plus diverses que l'on se place à l'échelle personnelle, locale ou régionale ; on envisage volontiers maintenant le plan national, et les organismes internationaux vont encore plus loin, autant que la politique assigne des limites à leurs intentions.

La confrontation des besoins des populations avec les ressources actuelles fait apparaître souvent des insuffisances, au comblement desquelles on fait appel aux gestes de bonne volonté. Il faut dire bonne volonté, car, si l'on ne pratique pas une large entraide économique, il ne semble pas y avoir de raison pour que certains se sacrifient pour la satisfaction des besoins apparents ou réels ; c'est d'ailleurs à notre avis un point faible dans l'expression de plans d'alimentation de grande envergure. À défaut de sacrifices nationaux pour une cause qui reste profondément humaine, on ne verrait de fin que dans une vaste combinaison financière avec politique de soutien des prix en cas de besoin.

Sans aller aussi loin, signalons seulement les difficultés qui apparaissent dans des groupements de moindre envergure : le Benelux met aux prises les producteurs belges et hollandais, la France elle-même ne voit pas sans crainte une association avec l'Italie, surtout si à la métropole on adjoint, comme il convient, l'Afrique du Nord, dont les productions ne sont pas complémentaires, mais concurrentes de celles de la péninsule ; on évoquera un calendrier des productions, mais la solution est tellement nuancée qu'elle n'apparaît pas exactement sur le terrain des réalités.

Nous arrivons au plan national. On a cherché avec une intention excellente à dresser un plan ; l'application du plan Monnet à l'agriculture a donné lieu à de nombreux travaux préparatoires, les experts les plus qualifiés ont apporté leur contribution à l'élaboration de ce monument, et les consignes générales ont été passées, répercutées à l'échelle départementale. Toutefois, l'agriculture est sous la dépendance des saisons et, rapidement, les équilibres recherchés ont été détruits ; de là, avec le retardement inhérent à toute action administrative, des importations pour combler les déficits qui ont jeté la perturbation au niveau consommateur ; celui-ci a un porte-monnaie à alimentation assez régulière, quelle que soit la source et quel que soit le débit de celle-ci. On a rendu tout le monde responsable et tout le monde a souffert ... et souffre encore.

Il y a également des éléments qui sont entrés en jeu. La guerre a disloqué l'équilibre des besoins des productions et des rendements : terres plus ou moins travaillées, engrais insuffisants ne répondant plus à aucune notion de l'harmonie classique, intervention du machinisme et de la motorisation ; l'équilibre des forces s'est généralement plus vite rétabli qu'on ne l'aurait pensé, et certains compartiments du plan ont presque dépassé les limites assignées. Ainsi sont apparues ces causes d'inquiétude qui ont connu une aggravation sérieuse, dès qu'il a été question de prix, et les prix sont l'un des facteurs dont la multiplication fait apparaître le produit.

Au début de l'année, le problème betteravier, par exempte, s'est révélé avec une acuité réelle et l'on s'est demandé si la betterave allait tenir, alors qu'il y a bien peu de temps on ne songeait qu'à en encourager l'extension. Aujourd'hui, le raisonnement pourrait être poussé très loin si l'on s'arrêtait aux productions fourragères qui commandent l'obtention de la viande et du lait. Ne faut-il pas prévoir une crise sur l'orge, que la demande place en vedette sous la double pression de la malterie et de l'alimentation du bétail, sans compter une exportation possible de malt vers des pays où nous ne faisions qu'une petite figure avant la guerre. Pour la culture du riz, dont s'enorgueillit la Camargue et avec juste raison, la fièvre, quoique baissant de degré, a gagné d'autres régions méridionales ; cette culture utile durera-t-elle ou reviendra-t-elle aux limites d'autrefois ? On pourrait faire le tour du vignoble, et que de craintes n'entendrait-on pas ! Ainsi, de tous côtés, la question de l'équilibre se pose.

De bons esprits, qui aiment les chiffres et se passionnent pour les solutions mathématiques, rêveraient d'un plan ordonné, qu'il n'y aurait qu'à appliquer pour être définitivement tranquilles ; mais ceux-là même qui aiment la règle accepteraient-ils un emploi de leur temps et de leur portefeuille ainsi ordonné, car pourquoi s'arrêter dans cette voie si prometteuse ?

Alors, que faut-il faire ? Être documenté sur les tendances générales ; avoir ainsi, si je puis dire, l'intuition de la courbe qui va se tracer dans le temps ; ne pas s'emballer, mais aussi ne pas se traîner lamentablement dans des sentiers que les ronces commencent à encombrer. Il faut aussi être prêt à modifier les bases du plan de culture, si les circonstances économiques bien pesées le rendent utile. Par exemple, une exploitation dont les terres sont propres se prêtera mieux que d'autres à un changement d'orientation ; il en est de même si la fertilité est maintenue. Cela ne veut pas dire que toutes les parcelles de toutes les fermes doivent être le reflet exact des meilleurs de nos champs de France ; une terre peut être propre sans avoir la prétention de porter 40 à 50 quintaux de blé ; elle peut être à son étiage de fertilité, mais dans la mesure de ses 10 à 15 centimètres de terre si elle manque de profondeur. Au sein de la culture extensive comme au niveau de la culture intensive, il y a une allure générale à observer. Ainsi l'équilibre se réalise à un degré variable, et c'est dans ces conditions que le problème devient personnel. Il faudrait aussi comprendre que le problème, vu sous l'angle très personnel, correspond encore à des solutions différentes en raison du caractère de chaque individu, et c'est de l'harmonie de tendances entre les hommes que découle un ensemble qui laisse à la personnalité humaine la possibilité de s'affirmer dans une liberté d'expression qui donne à la vie encore un peu de charme. Peut-être est-ce une conception attardée, mais alors nous risquons d'aborder des problèmes qui sont d'un ordre tout à fait différent. Arrêtons-nous ici, tandis que les moissons sollicitent l'action.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°641 Juillet 1950 Page 423