1500 : deux événements occupent ce siècle mouvementé,
passionné, cruel et riche en félonie : c'est la naissance de Charles-Quint
et la découverte du Brésil. Alvarez Cabral, grand navigateur portugais, en
abordant fortuitement une terre qu'il baptisa « Ilha de Vera Cruz »
(Ile de la vraie Croix), avait en réalité découvert le Brésil.
Le Portugal a longtemps considéré cette nouvelle conquête
territoriale comme insignifiante et secondaire, et ce fut seulement cinquante
ans plus tard que le roi du Portugal constitua un gouvernement général du
Brésil, avec Thomas de Souza comme premier gouverneur de Sao Salvador de Bahia.
Bien avant l'expédition de Cabral, l'existence du Brésil
était soupçonnée : elle figure sur la célèbre carte, dressée en 1375 pour
Charles V de France et dans les documents médiévaux. Cette application se
retrouve sous les noms de « Bresilium, Bracil, Brésill, Brasillis »,
qui servirent à désigner un bois de teinture particulièrement abondant dans la
flore au sud de l'Amazone, le célèbre « Paõ do Brasil », lequel
constituait l'unique richesse de ce nouveau continent.
En 1530, le Portugal, pour sauver de l'emprise étrangère ce
produit précieux, se décida d'occuper les contrées désertiques qu'il avait
pratiquement abandonnées et à exploiter avec de nouveaux éléments le bois de
teinture, qui constitua l'essentiel du commerce de 1500 à 1550. C'est la
période de la première richesse du Brésil : le cycle du bois du Brésil.
Mais comment le Portugal parviendra-t-il à coloniser ces immensités ? La
population du Portugal ne compte plus guère qu'un million d'habitants, dont
300.000 adultes ; la flotte absorbe les meilleurs éléments. Les conquêtes
ont coûté des dizaines de milliers d'hommes et la campagne manque de bras ...
Lisbonne emprunte des « desgregados » (condamnés) ou des prévenus,
qui échappent ainsi aux risques d'un jugement.
De 1530 à 1535 commence la période coloniale ; les
premières têtes de bétail, la canne à sucre, qui existaient déjà dans les îles
portugaises, furent introduites au Brésil.
Afin de parer au manque de main-d'œuvre, on essaya tout
d'abord de réduire en esclavage la population autochtone, dont le caractère
rebelle et indiscipliné ne donna pas satisfaction aux « conquistadores ».
Alors commença le trafic des nègres de l'Afrique et, durant
plus de trois siècles, jusqu'en 1888, ceux-ci furent par leur docilité, leur
résistance physique, l'un des supports de l'économie brésilienne. L'Afrique
envoya aux Amériques près de 10 millions de nègres, qui furent répartis 30 p. 100
à l'Amérique du Nord, 35 p. 100 aux Antilles et 30 p. 100 au Brésil.
C'est ainsi que 3.300.000 esclaves nègres fécondèrent, par leur travail,
l'économie naissante du pays (1).
Deux siècles ont passé. L'or et les pierres précieuses
n'apparaissent qu'en quantités insignifiantes et les résultats dans ce domaine
ne peuvent se comparer à ceux obtenus par l'Espagne, gavée de métal précieux
que lui envoyaient ses colonies.
En 1690 apparut enfin le cycle de l'or, qui subsistera
jusqu'en 1770. Des villes brillent d'un éclat extraordinaire, des artistes
accourent ; on élève des églises rutilantes d'or.
Cependant les résultats financiers de l'exploitation du
métal précieux étaient inférieurs à ceux du sucre et, après la découverte des
mines, l'axe de l'économie se déplaça vers le Centre sud du pays, où il existe
encore de nos jours. Le total de métal précieux envoyé en Europe par les
colonies espagnoles et portugaises de 1493 à 1803 fut de 300.000 livres
sterlings, le Brésil ayant participé avec 194.000 livres (soit 64 p. 100
du total), quantité énorme si l'on songe qu'en l'an de grâce 1500 l'or monnayé
en Europe ne dépassait pas 50 millions de livres.
Un afflux de richesses s'écoula comme un pactole vers
l'Espagne et le Portugal, mais, comme ces pays ne possédaient aucune
organisation économique pour retenir ces trésors, ils furent rapidement
absorbés par d'autres pays industriels. Le cycle de l'or étant terminé, la
contribution du Brésil se réduisit à 4 p. 100. Quoi qu'il en soit, l'or
brésilien contribua dans une large mesure, pour la colonie, à la construction
des premières voies de communications terrestres et à l'édification de villes
dans le Centre et le Sud. Parallèlement au cycle de l'or, se produisit le cycle
du diamant ; commencé en 1729, i1 se termina en 1800. Pendant cette période,
le Brésil produisit près de 615 kilogrammes de diamants représentant 3 millions
de carats, d'une valeur de 10 millions de livres sterling.
Durant les premières années de la découverte des pierres
précieuses, tous les aventuriers s'enrichissaient ; en 1750, la ville de Tijuco
connaît une ère de prospérité exceptionnelle. On s'y habille à la mode de
Paris, les hommes portent les cheveux tressés, l'habit de velours, la culotte
de soie. Les femmes se couvrent de diamants et de pierres mi-précieuses (topaze,
tourmaline, berilhos, aigue-marine, etc.). Mais bientôt la recherche des
pierres précieuses est prohibée ; en 1772, l'extraction des diamants se
fait directement par les fonctionnaires royaux, sous le régime de la « Real-Extracção ».
Le pays de Minas est alors isolé du reste du monde ; on
ne peut y entrer ou en sortir qu'avec une autorisation. Le district des
diamants est entouré par des postes de contrôle, des itinéraires sont imposés
aux convois ; des inspecteurs et des mouchards rivalisent de zèle, toute
personne suspectée de ramasser ou de posséder un diamant est arrêtée. Pour
obtenir leur affranchissement, des esclaves donnèrent leurs maîtres innocents.
Les perquisitions, arrestations, expulsions, confiscations sont le régime
auquel le district est soumis. En 1780, l'or et le diamant ont diminué
considérablement, les réserves se sont épuisées, les dépôts d'alluvions ont
disparu, terminant ainsi le cycle du diamant.
De nos jours, on trouve encore des diamants dans des régions
diverses, dont les plus exploitées sont Minas-Geraes et l'État de Bahia, ainsi
que dans le lit de certaines rivières encore inexplorées. Il a été trouvé à Goyama
un diamant de 200 carats qui a été nommé « Goão Nito Campos ». Il
prend la troisième place après le « Vergas », de 725 carats, et « l'Étoile
du Sud », de 254 carats.
Le cycle du café fut pour le Brésil une ère de prospérité. Originaire
et venant de l'Arabie, il a été planté au Brésil par les Portugais au XVIIe
siècle, après une longue pérégrination à travers le monde, mais ce n'est qu'au
XIXe siècle qu'il fut cultivé sur une plus vaste échelle dans les
États du Sud, principalement Rio-de-Janeiro, Minas-Geraes, Parana, Espirito-Santo,
Goyay, etc., et, naturellement, dans l'État de São-Paulo, lequel révéla, avec
sa fameuse terre « Roxa » aux belles couleurs rouges et violettes,
l'habitat par excellence du caféier.
Le Brésil est le plus grand producteur de café du monde. Ses
cultures sont représentées par plus de deux milliards cinq cents millions de
caféiers, couvrant une superficie de 3 à 5 millions d'hectares. Le café
constitue l'élément essentiel de l'agriculture brésilienne, et sa culture un
ensemble admirable d'activité qui eut une grande répercussion dans tous les
secteurs économiques du pays.
Toutefois les planteurs ont dû souffrir des crises
importantes provoquées par la superproduction ; jusqu'au début de la
première grande guerre, l'Europe dans son ensemble représentait pour le café
brésilien un marché plus important que les États-Unis d'Amérique. Cependant, à
compter de 1914, la position se trouva renversée tout d'abord, par suite de la
difficulté d'acheminement du café vers le continent européen due au blocus, et
postérieurement en vertu de l'augmentation croissante de la consommation du
café en Amérique du Nord, permise par le haut niveau de vie du peuple américain ;
le volume de consommation du café se déplaça de l'Europe vers les États-Unis.
Depuis, l'Amérique du Nord importe plus de café brésilien que l'Europe entière.
Cette altération ne fut cependant pas de nature à
transformer le marché européen, dont le standard de vie s'améliora sensiblement
durant la période de paix 1919-1939. Il est probable que l'Europe aurait repris
son rôle de consommateur prédominant, si les gouvernements n'avaient, par des
taxes excessivement lourdes, transformé le café en produit de luxe. C'est pour
cette même raison que l'industrie des succédanés a pris un tel développement,
au point d'atteindre un volume équivalant à 10 millions de sacs de 60
kilogrammes.
Par suite de la dernière guerre, le café a perdu un ensemble
de marchés estimés à 10.218.000 sacs, dont 7.106.000 du Brésil et 3.112.000 des
autres pays producteurs. Les conséquences de la fermeture des marchés européens
ont été très graves pour l'économie caféière mondiale, dont la production
annuelle est de l'ordre de 26.000.000 de sacs, desquels 15.850.000 environ
appartiennent au Brésil, représentant 58,9 p. 100 de la récolte du monde
entier.
À la fin du XIXe siècle, un nouveau cycle naît et
prend un essor considérable pendant la guerre mondiale de 1939: celui de
l'industrie. Il est logique d'admettre que beaucoup d'articles puissent être
fabriqués dans le pays à un prix raisonnable; en outre, beaucoup de produits
issus d'une industrie nationale s'adaptent mieux aux nécessités individuelles
que ceux qui sont importés de pays étrangers.
L'industrie extractive minérale pèse aujourd'hui avec plus
d'un milliard de cruzeiros (2) dans la balance économique du Brésil, qui
d'agricole se transforme rapidement en pays industriel et minier. Le sous-sol
brésilien recèle les minerais métalliques suivants : bauxite, béryl,
bismuth, cobalt, chrome, étain, lithium, manganèse, minerais radio-actifs,
molybdène, titane, etc. Quant aux minerais de fer de l'État de Minas-Geraes,
ils sont les plus réputés du globe. Le développement industriel du Brésil
constitue l'aspect caractéristique de l'économie nationale au cours de cette
dernière décade ; de 8 milliards de cruzeiros en 1937, la production
industrielle atteignit, en 1943, 22 milliards et, en 1944, dépassait 27
milliards.
Ces chiffres témoignent clairement de l'essor et des
possibilités de matières premières dont dispose ce grand pays.
La production brésilienne, il y a trente ans, était
représentée par 70 p. 100 de produits agricoles et 30 p. 100 de produits
industriels. Aujourd'hui la situation est pratiquement renversée ; selon
les calculs les plus dignes de foi, la production nationale compte 60 p. 100
de produits industriels et 40 p. 100 provenant de l'agriculture et de
l'élevage. Ainsi donc cette terre prodigue donna aux hommes de bonne volonté le
meilleur d'elle-même. Puisse ce cycle de fer, où l'enclume se substitue à la
charrue, favoriser l'idéal de paix et de progrès de ce monde nouveau.
Paul COUDUN.
(1) Ce n'est qu'en 1845, que l'Angleterre déclara que tous
les navires suspects de transporter des esclaves seraient capturés ou
pourchassés même à l'intérieur des ports brésiliens. La flotte anglaise coula
effectivement 724 négriers.
(2) Le cruzeiro vaut au change officiel 14 fr. 10.
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