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A travers races et variétés de chiens d'arrêt.

Quelques lettres reçues m'enseignent l'opportunité qu'il y a de reprendre la question des races véritables de chiens d'arrêt, dont le nombre n'est pas, disons-le immédiatement, celui qu'on croit. Beaucoup de variétés oscillent autour des races prototypes. C'est le qualificatif « variété », ou tout au plus l'étiquette de sous-race, qu'il conviendrait de leur octroyer. Certaines ne sont pas fixées et pour elles tout titre semble ambitieux.

Nos chiens d'arrêt sont représentés par trois groupes différenciés : les griffons, les épagneuls et les braques. Ne disons rien, pour ne pas compliquer le problème, des alliances probables effectuées entre eux, d'autant que, suivant la remarque judicieuse des Britanniques, un croisement se perd dans une race comme un fleuve dans la mer. Ils sont qualifiés pour le savoir.

La question griffon est de solution assez aisée. Le prototype dégagé par Korthals, le plus répandu aussi, est caractéristique d'une forme psychologiquement apparentée au braque et au barbet, ou chien d'eau, non en vertu de quelques alliances effectuées, mais parce qu'il représente un de ces types de transition stables qu'on rencontre partout dans la nature. S'il n'était un type naturel, le génie de Korthals lui-même eût été impuissant à réaliser l'œuvre d'épuration rapide qu'il a réussie. Les autres porteurs de poil dur sont tous des produits des États centraux. Tel qu'il se présente, le stichelhaar, au vu de sa silhouette, rappelle le moderne kurzhaar. Sa vêture seule est autre et donne l'idée d'une mutation, aidée sans doute de croisements, mais il faut surtout considérer l'armature osseuse. Les deux nouveautés que sont le drathaar et le püdel-pointer doivent être considérées comme braques à poil dur inspirés de la forme ibérique. Officiellement pour le second, dont les caractères püdel sont singulièrement liquidés. Que le premier ait également courant affirmé de sang pointer, il serait difficile de le nier. En fait, il y a un griffon d'arrêt véritable. En effet, le spinone, son cousin très germain, a été tellement modifié par des mariages répétés avec lui que son modèle ancien, lourd et oreille avec crâne en dôme, a disparu. Il est donc vrai de dire qu'il n'y a plus qu'un griffon véritable, celui réalisé par Korthals. Sa vogue actuelle témoigne assez de la compréhension de l'amateurisme. Ceci ne veut nullement signifier mépris à l'égard des autres porteurs de poil dur, dont la qualité est hors de conteste ; mais en réalité ce sont des braques à poil dur, non des griffons. Le griffon à poil laineux, n'existant plus, reste un griffon véritable, seul et unique, ce qui simplifie singulièrement le problème.

Quant aux épagneuls, il y en a exactement deux : un grand, avec ses variétés naines, et un moyen. Leurs variétés ont diverses patries et sont connues sous divers noms, mais fondamentalement les deux prototypes sont les mêmes partout. Le grand épagneul, dont notre Français représente bien l'image classique, puisque celui d'aujourd'hui reproduit la première figure connue du prototype, est caractérisé par sa structure sublongiligne, cage thoracique de forme ogivale, dolichocéphalie de la tête au crâne de forme ovoïde, stop suivant angle très ouvert, face sensiblement de même longueur, oreille importante plate et large, insérée dans la ligne de l'œil. Les variétés naines dérivées n'étant pas représentantes de chiens d'arrêt, à proprement parler, n'ont pas leur place ici. Quant aux grands épagneuls de Grande-Bretagne et d'Allemagne, leurs ressemblances morphologiques et psychologiques avec le prototype sont évidentes ; suffisantes, cependant, les particularités pour qu'il faille parler de races suivant le langage courant. Le plus éloigné du prototype est évidemment le setter anglais, dont certains caractères céphaliques, le parallélisme des lignes cranio-faciales, par exemple, lui sont particuliers. Origine : croisements probables.

Mais le grand épagneul européen ne saurait revendiquer pour rejeton celui de taille moyenne, aux lignes refoulées, brachycéphale, de corsage plein-cintre dont le welsh spaniel et son parent, l'épagneul breton, sont les meilleurs représentants. Celtes l'un et l'autre depuis longtemps, ils rappellent singulièrement le chien d'Oysel médiéval, dont ils ont absolument la tête, l'oreille médiocre, triangulaire, insérée haut, et enfin la taille réduite. Pour être en droit de leur assigner comme souche l'épagneul de grande taille, il faudrait expliquer comment les formes céphaliques et somatiques de celui-ci ont pu se transformer pour réaliser l'épagneul rencontré aux mains des populations celtes. Un dolichocéphale, sublongiligne, au corsage ogival, ne se mue pas ainsi en brachycéphale, bréviligne et plein-cintre. Le moral, enfin, diffère complètement. Il y a donc au moins deux épagneuls types, non de commune origine. Qu'ils aient été croisés, c'est certain ; qu'ils aient l'un et l'autre des représentants demeurés au stade psychologique des surpreneurs ancêtres du chien d'arrêt véritable, c'est encore évident Tel est le cas des spaniels : springer anglais et cocker, d'une part ; welsh springer, de l'autre.

La pratique des croisements a pu contribuer à troubler les idées. Ainsi nombre d'épagneuls bretons sous poil blanc-marron présentent des traces indiscutables de parenté avec l'épagneul français. Puisqu'elles sont réputées indésirables et considérées comme défauts, cela seul suffirait à démontrer le peu de cas que l'opinion fait d'une prétendue communauté d'origine. Celle-ci acceptée, il n'y aurait, en effet, aucun motif de suspecter des liens de parenté, en tels cas légitimes.

Il n'y a aussi que deux braques. Un ibérique (existant encore en Portugal), vite repéré par les Britanniques, dont ils ont tiré cette race de culture qu'est le pointer, l'un et l'autre expressions les plus pures du chien éventant et arrêtant. Le substrat ibérique, appelé par les auteurs de Grande-Bretagne « old spanish pointer », est un pur éventeur, et pour cause, puisque dans son milieu d'origine l'inexistence de l'émanation basse y interdit l'usage du chien pisteur. Un continental enfin, dont le braque français et son alter ego allemand, avant la refonte de la race, demeurent l'image fidèle, avec leurs variétés autres que de fantaisie et plus ou moins éphémères. Ce braque connaît des émanations hautes et basses ; il est donc qualifié pour produire le chien arrêtant, en même temps retriever à grand rayon d'action, en vertu de son comportement instinctif. Il figure lui aussi une de ces formes de transition, au moins psychologique, entre le chien pisteur et le capteur d'émanation directe. Ces aptitudes en font un auxiliaire précieux du chasseur à tir de tous les animaux, même les quadrupèdes de grande ou petite taille, outre les oiseaux. Les pays centraux ont été les premiers à les exploiter complètement. Ils ont su aussi les conserver tout en modifiant le volume du braque continental par croisement avec le pointer, dérivé de l'ibérique, comme il a été dit et admis. Parmi nos nombreuses variétés nationales de braques, celui d'Auvergne est, aux yeux du cynologue, un continental, sous une robe différente, dont il est oiseux de rechercher la cause. Mutation ou croisement, peu importe, ce chien a toutes les vertus du continental. Inutile de parler des autres, l'un à peine différencié du pointer, un autre soumis aux exigences de la coloromanie la plus stricte, un dernier en voie de disparition par dissociation des éléments composants. Le premier assez bien représenté, en vertu de son type et de sa distinction, regardé par les juges anglais comme appartenant à la famille du pointer, en a, en effet, le comportement et ne saurait être rangé parmi les continentaux à tout bien considérer. C'est un demi-sang, on le dit officiellement.

De temps à autre, une région s'imagine de bonne foi avoir découvert un épagneul ou un braque local, pourvu de caractères inédits et méritant d'être différencié. Jusqu'à présent, ceux qu'il m'a été donné d'étudier se rattachent sans aucun doute aux prototypes connus. Une variation portant sur le volume, la taille ou la couleur ne suffisent pas à déterminer une race nouvelle, si les caractères du squelette ne présentent aucune particularité inédite. Il n'y a aucun avantage et que des inconvénients à isoler ainsi du tronc commun une famille d'animaux souvent remarquable par sa qualité et l'orientation meilleure qui lui a été donnée. Sanson a dit, justement, l'opportunité de réduire de beaucoup le nombre des prétendues races d'animaux domestiques. L'importance attribuée aux variations de couleur a joué un grand rôle dans l'attribution illégitime du nom de race à des mutés de la pigmentation. Il est vrai qu'alors, et souvent maintenant encore, on ignorait et ignore ce qu'est une mutation de ce genre et ce qu'elle vaut, parce qu'on ne sait pas que la couleur n'est que le décor de la forme, dixit Baron, trop peu étudié par les éleveurs de chiens et autres animaux.

Ceci dit, il y a eu et aura toujours des croisements logiques entre les formes différenciées, seuls défendables et même louables lorsque leur influence se borne à l'acquisition d'une qualité nouvelle ou à l'amélioration de la machine sans compromettre les caractères typiques. Exemples : le pointer, dont la réalisation a été obtenue par des moyens qu'Ark-wright lui-même n'indique pas clairement. Plus près de nous, le néo-braque allemand, dû à un apport de sang pointer habilement dosé. Très peu de races chimiquement pures, mais certaines approchant de la pureté désirable, car c'est un tel substrat qu'il importe de travailler. Ceci dit suffit à mettre en garde contre les croisements inconsidérés « pour voir ». Ce qu'on en voit en général, c'est l'aboutissement à la variation désordonnée dont le monde du chien d'arrêt chez nous, avant la venue de Coninck, donnait le triste spectacle. Contentons-nous donc du cheptel dont nous disposons, en laissant aux rares esprits bien informés le soin de mener la galère par nouveaux parages, s'ils l'estiment opportun.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°642 Août 1950 Page 464