Les expositions canines datent de la fin du siècle dernier,
mais c'est surtout depuis une vingtaine d'années qu'elles ont pris l'extension
et connu la vogue qu'elles ont aujourd'hui. Leur multiplication (plus de
cinquante chaque année, en France) et leur succès sont à la fois une cause et
une conséquence de l'expansion du chien de race.
Bien que nombre d'exposants et de visiteurs se rendent aux
expositions en vue de vendre ou acheter des chiens, ces manifestations ne sont
pas des foires. Les foires aux chiens, rares de nos jours, ont précédé les
expositions. Quelques-unes ont subsisté ; il en est tenu chaque année,
notamment, dans le Tarn-et-Garonne, à Caussade, par exemple ; on y
trouvait jadis de bons chiens de pays ; mais ceux-ci disparaissent, et les
producteurs de chiens de race écoulent de plus en plus leurs sujets par le
moyen d'annonces et l'intermédiaire des clubs.
Quel que soit l'usage qu'en fassent les exposants et les
visiteurs, les expositions n'ont pas un objet commercial. Elles ont un double
rôle qui s'intègre dans les buts et moyens de la cynophilie officielle :
rôle de sélection physique, d'abord, rôle d'éducation des cynophiles ensuite.
Sans sélection, pas d'élevage sérieux. Les concours
d'utilisation ont pour objet la sélection morale et pratique ; les
expositions, la sélection physique. Cette dernière, un éleveur digne de ce nom
la pratique déjà, chez lui, en vase clos, sans doute ; mais c'est
l'exposition qui, en principe, consacre cette sélection primaire, la corrige ou
la redresse, en orientant l'évolution ou le maintien des types. Nous disons « en
principe », car cela suppose au premier chef des directives strictes et
des jugements compétents. Les directives sont l'affaire des clubs spéciaux, les
jugements sont affaire de formation des juges. La sélection consacrée par
l'exposition permet — ou doit permettre — à l'éleveur de choisir des
reproducteurs susceptibles d'améliorer son élevage. C'est là le premier rôle
des expositions. Le remplissent-elles vraiment ? Certes, rien n'est
parfait dans les œuvres humaines, et, en ce domaine comme en bien d'autres, les
principes sont parfois bafoués par la pratique.
Il appartient aux clubs spéciaux, disons-nous, de donner les
directives pour orienter la sélection. Ils ont, comme moyens, de commenter, d'interpréter,
d'expliquer et, en certains cas, de modifier les standards ; mais il est
aussi nécessaire de donner à ces directives la publicité et la diffusion
indispensables auprès des éleveurs et des juges. Certains clubs s'acquittent
bien de cette tâche ; mais il leur est plus difficile de faire respecter
leurs décisions, n'ayant, pratiquement, aucun moyen efficace pour le faire.
Sans doute l'éducation des juges incombe-t-elle aux clubs spéciaux ; mais
nous dirons un autre jour comment cette éducation est souvent illusoire. Les
frais de déplacement, prohibitifs, obligent les organisateurs d'expositions à
recourir de plus en plus à des juges qualifiés pour plusieurs races ; il
en est qui en jugent beaucoup ; il est bien difficile d'en connaître
parfaitement un grand nombre et plus encore, peut-être, d'avoir le goût et le
loisir d'entrer en contact avec les dirigeants de chacune d'elles pour se
mettre ou rester au courant de leurs désirs, de leurs doléances, de leurs
conseils. Certains s'acquittent de cette servitude avec conscience et
dévouement ; il convient de leur en rendre hommage.
Il est regrettable que d'autres, s'en tenant strictement à
la lettre des standards, parfois confus, imprécis, incomplets, ne cherchent pas
à approfondir davantage le pourquoi de tels caractères, dont ils ne peuvent
mesurer l'importance n'ayant ni élevé, ni utilisé la race.
On accuse parfois certains juges d'injustice et de
partialité ; on a un peu trop tendance à exagérer ces fautes graves, en
réalité assez rares. Les erreurs de jugement font partie des faiblesses
humaines ; le jugement est affaire d'appréciation ; en quelque
domaine que ce soit, il peut varier, en conséquence, avec des hommes
différents, ayant reçu la même éducation. La Société centrale canine a
d'ailleurs rappelé récemment que « le classement et l'attribution des
récompenses peuvent varier d'une exposition à une autre ; selon
l'importance de la compétition ; seul le qualificatif devrait rester fixe,
à condition que le sujet soit dans une condition identique, le qualificatif
déterminant la qualité effective du sujet et non une attribution obligatoire de
prix, qui est fonction de l'importance de la compétition » (1). Les
exposants devraient se pénétrer davantage de cette vérité.
Vérité qui serait plus évidente, sans doute, si l'esprit des
expositions, inattaquable d'après la déclaration précitée, ne se trouvait en
partie contredit par la forme que l'on a donnée à ces manifestations :
concours et non examen.
Sans doute la plupart des expositions, qu'elles soient industrielles,
agricoles ou culinaires, prennent la forme de concours. Les deux mots ont
pourtant un sens très différent. Exposition : action de mettre en vue ;
concours : action de concourir, lutte de concurrents (dit le Larousse). Or
de quoi s'agit-il, sinon de mettre en vue — dans l’intérêt des éleveurs et
pour l'éducation des exposants et visiteurs — les chiens répondant peu ou
prou au standard bien compris de leur race ? N'est-il pas suffisant — et
préférable — pour cela d'afficher après jugement, au-dessus du box de
chaque chien, un carton portant uniquement, mais ostensiblement, son
qualificatif : « excellent », « très bon », « bon »,
« passable », « mauvais », etc. ... ? J'entends
bien que ce dernier carton offusquerait parfois le propriétaire du chien qui en
serait nanti; s'il était sportif, il devrait l'accepter, cependant, pour
éduquer les néophytes, dans l'intérêt de l'élevage. J'entends aussi que la
suppression des prix gênerait ceux qui les exploitent au profit d'intérêts qui
ne sont pas toujours ceux de l'élevage sportif. Certains pays ont pourtant
renoncé au procédé du classement, les chiens y reçoivent seulement un
qualificatif ; ce n'est donc pas une utopie d'envisager la substitution de
ce dernier système, véritable examen, à celui du concours.
Considéré du point de vue de la sélection ou de celui de
l'éducation du public, ce procédé serait autrement plus efficace que le système
du classement. Il faudrait, bien sûr, pour cela que les notes détaillées des
juges soient, par un procédé différent de celui employé couramment,
susceptibles d'être consultées in extenso par quiconque.
Sans doute, le classement implique le qualificatif
correspondant ; mais ceci est bien théorique. Si tout le monde sait que le
certificat d'aptitude au championnat de beauté (C. A. C.) implique un
sujet irréprochable ; un premier prix, un sujet excellent ou très bon,
combien savent qu'un chien qualifié « bon » ne peut recevoir qu'un
second ou troisième prix, ou une mention, selon sa valeur ou
l'importance de la compétition, et que le chien qualifié « assez bon »
ne peut recevoir aucun prix ou mention (texte du règlement) ! Comme il ne
peut être attribué qu'un seul C. A. C., un seul premier prix, un seul
second, etc., un chien qualifié « excellent » peut, dans une forte
compétition, se trouver relégué au troisième ou quatrième prix, un chien
« bon » aux mentions, dont le nombre n'est pas limité, et, si le
règlement est appliqué, aucune différence ne sera faite entre un chien
« assez bon », mais dans le type de la race, et un autre franchement
en dehors, puisque aucun d'eux n'aura été classé.
Pratiquement, faisant entorse au règlement, la plupart des
juges octroient des mentions aux chiens qu'ils qualifient « assez
bons ». Nous pensons qu'ils ont raison de le faire et que le règlement a
tort de réserver les mentions aux seuls sujets qualifiés « bons »,
puisque ceux-ci peuvent prétendre aux prix à partir du deuxième et que les
mentions très honorables permettent, au surplus, de les différencier, dans une
forte classe, des mentions « honorables » ou simples.
D'autres, pris entre le désir de ne pas mécontenter les
organisateurs, soucieux de ne pas décourager les exposants, et le respect du
règlement, désireux, dans une exposition secondaire, de remettre un carton,
accordent un qualificatif indulgent qui nantira un chien d'un prix dont
l'attribution serait fort douteuse dans une exposition plus importante.
Tout cela crée la confusion dans l'esprit de celui qui vient
pour s'instruire ; cette hiérarchisation des valeurs par les prix prend,
aux yeux des non avertis, une signification absolue préjudiciable trop souvent
à une sélection rationnelle. Or cette hiérarchisation est essentiellement
relative ; tel chien classé ici premier sera ailleurs souvent classé
troisième ; seule sa valeur propre est absolue et doit compter pour
l'élevage.
Lorsqu'un sujet a reçu trois fois son qualificatif, de la
part de trois juges différents, l'exposition a joué et terminé son rôle de
sélection. La présence du chien dans un ring ne devrait plus, dès lors, qu'avoir
un rôle éducatif ; le système des prix empêchera souvent un autre chien de
décrocher celui qu'il mérite. Or ce défaut du procédé de classement est
exploité par certains exposants à des fins purement commerciales. Pourquoi
collectionner des prix, barrer la route à certains concurrents, si l'on n'agit
que dans un but sportif ? L'éleveur chevronné, l'utilisateur averti savent
bien qu'une multitude de récompenses n'a pas plus de valeur qu'une seule dûment
attribuée ; mais les jeunes, les néophytes se prennent trop souvent au
miroir publicitaire que leur tend le collectionneur de prix, en brandissant le
palmarès d'un étalon ou d'une lice fleuri de vingt ou vingt-cinq récompenses.
Même si celles-ci n'ont sanctionné que des qualificatifs « bon »,
leur titulaire sera presque toujours préféré à celui qui, exposé une seule
fois, n'aura cueilli qu'un premier prix avec qualificatif « excellent ».
S'il n'était fait état que des qualificatifs octroyés, le choix du propriétaire
de lices cherchant un étalon ou de l'utilisateur en quête d'un produit ne
serait pas troublé, et, hésitant, son choix serait conditionné par la qualité
intrinsèque et le courant de sang.
Car se baser, pour faire un choix, sur les seuls classements
obtenus est faire une sélection trop sommaire. Ce sont les notes, marquant les
qualités et les défauts, qui doivent avant tout, mais après le courant de sang,
dicter le choix des géniteurs qu'il convient d'accoupler. Un éleveur plus
soucieux d'améliorer en profondeur son élevage que d'offrir tout de suite à bon
prix des produits commerciaux préférera parfois un géniteur obscur dont il
connaît les caractères à tel autre nanti d'un nombre impressionnant de prix.
C'est pourquoi les expositions, pour remplir efficacement
leur rôle sélectif, devraient donner plus de publicité aux notes détaillées. Et
c'est aussi pourquoi les simples présentations (autre forme officielle des
manifestations canines, dont nous reparlerons un jour), considérées à tort
comme mineures, répondent mieux que les expositions-concours, dans leur
conception actuelle, aux intérêts de l'élevage.
Beaucoup de simples utilisateurs mènent leurs chiens dans
les expositions pour avoir l'appréciation, d'un juge ; il est aussi des
éleveurs sportifs qui prodiguent les leurs dans les rings sans but spéculatif,
parce qu'ils aiment cette ambiance et tirent juste vanité de montrer leurs
produits. Ni les uns ni les autres ne seraient rebutés par la généralisation de
la formule des présentations dans lesquelles il n'est pas fait de classement,
mais seulement attribué un qualificatif et des notes. Mais d'autres
producteurs, au lieu de les confondre, séparent trop souvent la notion
d'intérêt sportif et celte d'intérêt tout court ; les collections de prix
leur servent de réclame, et, pour eux, les expositions-concours auront toujours
la préférence.
Jean CASTAING.
(1) Bulletin officiel de la Cynophilie, n° 2 de 1948, p. 21.
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