Accueil  > Années 1950  > N°642 Août 1950  > Page 465 Tous droits réservés

Les expositions

Moyen de sélection

Les expositions canines datent de la fin du siècle dernier, mais c'est surtout depuis une vingtaine d'années qu'elles ont pris l'extension et connu la vogue qu'elles ont aujourd'hui. Leur multiplication (plus de cinquante chaque année, en France) et leur succès sont à la fois une cause et une conséquence de l'expansion du chien de race.

Bien que nombre d'exposants et de visiteurs se rendent aux expositions en vue de vendre ou acheter des chiens, ces manifestations ne sont pas des foires. Les foires aux chiens, rares de nos jours, ont précédé les expositions. Quelques-unes ont subsisté ; il en est tenu chaque année, notamment, dans le Tarn-et-Garonne, à Caussade, par exemple ; on y trouvait jadis de bons chiens de pays ; mais ceux-ci disparaissent, et les producteurs de chiens de race écoulent de plus en plus leurs sujets par le moyen d'annonces et l'intermédiaire des clubs.

Quel que soit l'usage qu'en fassent les exposants et les visiteurs, les expositions n'ont pas un objet commercial. Elles ont un double rôle qui s'intègre dans les buts et moyens de la cynophilie officielle : rôle de sélection physique, d'abord, rôle d'éducation des cynophiles ensuite.

Sans sélection, pas d'élevage sérieux. Les concours d'utilisation ont pour objet la sélection morale et pratique ; les expositions, la sélection physique. Cette dernière, un éleveur digne de ce nom la pratique déjà, chez lui, en vase clos, sans doute ; mais c'est l'exposition qui, en principe, consacre cette sélection primaire, la corrige ou la redresse, en orientant l'évolution ou le maintien des types. Nous disons « en principe », car cela suppose au premier chef des directives strictes et des jugements compétents. Les directives sont l'affaire des clubs spéciaux, les jugements sont affaire de formation des juges. La sélection consacrée par l'exposition permet — ou doit permettre — à l'éleveur de choisir des reproducteurs susceptibles d'améliorer son élevage. C'est là le premier rôle des expositions. Le remplissent-elles vraiment ? Certes, rien n'est parfait dans les œuvres humaines, et, en ce domaine comme en bien d'autres, les principes sont parfois bafoués par la pratique.

Il appartient aux clubs spéciaux, disons-nous, de donner les directives pour orienter la sélection. Ils ont, comme moyens, de commenter, d'interpréter, d'expliquer et, en certains cas, de modifier les standards ; mais il est aussi nécessaire de donner à ces directives la publicité et la diffusion indispensables auprès des éleveurs et des juges. Certains clubs s'acquittent bien de cette tâche ; mais il leur est plus difficile de faire respecter leurs décisions, n'ayant, pratiquement, aucun moyen efficace pour le faire. Sans doute l'éducation des juges incombe-t-elle aux clubs spéciaux ; mais nous dirons un autre jour comment cette éducation est souvent illusoire. Les frais de déplacement, prohibitifs, obligent les organisateurs d'expositions à recourir de plus en plus à des juges qualifiés pour plusieurs races ; il en est qui en jugent beaucoup ; il est bien difficile d'en connaître parfaitement un grand nombre et plus encore, peut-être, d'avoir le goût et le loisir d'entrer en contact avec les dirigeants de chacune d'elles pour se mettre ou rester au courant de leurs désirs, de leurs doléances, de leurs conseils. Certains s'acquittent de cette servitude avec conscience et dévouement ; il convient de leur en rendre hommage.

Il est regrettable que d'autres, s'en tenant strictement à la lettre des standards, parfois confus, imprécis, incomplets, ne cherchent pas à approfondir davantage le pourquoi de tels caractères, dont ils ne peuvent mesurer l'importance n'ayant ni élevé, ni utilisé la race.

On accuse parfois certains juges d'injustice et de partialité ; on a un peu trop tendance à exagérer ces fautes graves, en réalité assez rares. Les erreurs de jugement font partie des faiblesses humaines ; le jugement est affaire d'appréciation ; en quelque domaine que ce soit, il peut varier, en conséquence, avec des hommes différents, ayant reçu la même éducation. La Société centrale canine a d'ailleurs rappelé récemment que « le classement et l'attribution des récompenses peuvent varier d'une exposition à une autre ; selon l'importance de la compétition ; seul le qualificatif devrait rester fixe, à condition que le sujet soit dans une condition identique, le qualificatif déterminant la qualité effective du sujet et non une attribution obligatoire de prix, qui est fonction de l'importance de la compétition » (1). Les exposants devraient se pénétrer davantage de cette vérité.

Vérité qui serait plus évidente, sans doute, si l'esprit des expositions, inattaquable d'après la déclaration précitée, ne se trouvait en partie contredit par la forme que l'on a donnée à ces manifestations : concours et non examen.

Sans doute la plupart des expositions, qu'elles soient industrielles, agricoles ou culinaires, prennent la forme de concours. Les deux mots ont pourtant un sens très différent. Exposition : action de mettre en vue ; concours : action de concourir, lutte de concurrents (dit le Larousse). Or de quoi s'agit-il, sinon de mettre en vue — dans l’intérêt des éleveurs et pour l'éducation des exposants et visiteurs — les chiens répondant peu ou prou au standard bien compris de leur race ? N'est-il pas suffisant — et préférable — pour cela d'afficher après jugement, au-dessus du box de chaque chien, un carton portant uniquement, mais ostensiblement, son qualificatif : « excellent », « très bon », « bon », « passable », « mauvais », etc. ... ? J'entends bien que ce dernier carton offusquerait parfois le propriétaire du chien qui en serait nanti; s'il était sportif, il devrait l'accepter, cependant, pour éduquer les néophytes, dans l'intérêt de l'élevage. J'entends aussi que la suppression des prix gênerait ceux qui les exploitent au profit d'intérêts qui ne sont pas toujours ceux de l'élevage sportif. Certains pays ont pourtant renoncé au procédé du classement, les chiens y reçoivent seulement un qualificatif ; ce n'est donc pas une utopie d'envisager la substitution de ce dernier système, véritable examen, à celui du concours.

Considéré du point de vue de la sélection ou de celui de l'éducation du public, ce procédé serait autrement plus efficace que le système du classement. Il faudrait, bien sûr, pour cela que les notes détaillées des juges soient, par un procédé différent de celui employé couramment, susceptibles d'être consultées in extenso par quiconque.

Sans doute, le classement implique le qualificatif correspondant ; mais ceci est bien théorique. Si tout le monde sait que le certificat d'aptitude au championnat de beauté (C. A. C.) implique un sujet irréprochable ; un premier prix, un sujet excellent ou très bon, combien savent qu'un chien qualifié « bon » ne peut recevoir qu'un second ou troisième prix, ou une mention, selon sa valeur ou l'importance de la compétition, et que le chien qualifié « assez bon » ne peut recevoir aucun prix ou mention (texte du règlement) ! Comme il ne peut être attribué qu'un seul C. A. C., un seul premier prix, un seul second, etc., un chien qualifié « excellent » peut, dans une forte compétition, se trouver relégué au troisième ou quatrième prix, un chien « bon » aux mentions, dont le nombre n'est pas limité, et, si le règlement est appliqué, aucune différence ne sera faite entre un chien « assez bon », mais dans le type de la race, et un autre franchement en dehors, puisque aucun d'eux n'aura été classé.

Pratiquement, faisant entorse au règlement, la plupart des juges octroient des mentions aux chiens qu'ils qualifient « assez bons ». Nous pensons qu'ils ont raison de le faire et que le règlement a tort de réserver les mentions aux seuls sujets qualifiés « bons », puisque ceux-ci peuvent prétendre aux prix à partir du deuxième et que les mentions très honorables permettent, au surplus, de les différencier, dans une forte classe, des mentions « honorables » ou simples.

D'autres, pris entre le désir de ne pas mécontenter les organisateurs, soucieux de ne pas décourager les exposants, et le respect du règlement, désireux, dans une exposition secondaire, de remettre un carton, accordent un qualificatif indulgent qui nantira un chien d'un prix dont l'attribution serait fort douteuse dans une exposition plus importante.

Tout cela crée la confusion dans l'esprit de celui qui vient pour s'instruire ; cette hiérarchisation des valeurs par les prix prend, aux yeux des non avertis, une signification absolue préjudiciable trop souvent à une sélection rationnelle. Or cette hiérarchisation est essentiellement relative ; tel chien classé ici premier sera ailleurs souvent classé troisième ; seule sa valeur propre est absolue et doit compter pour l'élevage.

Lorsqu'un sujet a reçu trois fois son qualificatif, de la part de trois juges différents, l'exposition a joué et terminé son rôle de sélection. La présence du chien dans un ring ne devrait plus, dès lors, qu'avoir un rôle éducatif ; le système des prix empêchera souvent un autre chien de décrocher celui qu'il mérite. Or ce défaut du procédé de classement est exploité par certains exposants à des fins purement commerciales. Pourquoi collectionner des prix, barrer la route à certains concurrents, si l'on n'agit que dans un but sportif ? L'éleveur chevronné, l'utilisateur averti savent bien qu'une multitude de récompenses n'a pas plus de valeur qu'une seule dûment attribuée ; mais les jeunes, les néophytes se prennent trop souvent au miroir publicitaire que leur tend le collectionneur de prix, en brandissant le palmarès d'un étalon ou d'une lice fleuri de vingt ou vingt-cinq récompenses. Même si celles-ci n'ont sanctionné que des qualificatifs « bon », leur titulaire sera presque toujours préféré à celui qui, exposé une seule fois, n'aura cueilli qu'un premier prix avec qualificatif « excellent ». S'il n'était fait état que des qualificatifs octroyés, le choix du propriétaire de lices cherchant un étalon ou de l'utilisateur en quête d'un produit ne serait pas troublé, et, hésitant, son choix serait conditionné par la qualité intrinsèque et le courant de sang.

Car se baser, pour faire un choix, sur les seuls classements obtenus est faire une sélection trop sommaire. Ce sont les notes, marquant les qualités et les défauts, qui doivent avant tout, mais après le courant de sang, dicter le choix des géniteurs qu'il convient d'accoupler. Un éleveur plus soucieux d'améliorer en profondeur son élevage que d'offrir tout de suite à bon prix des produits commerciaux préférera parfois un géniteur obscur dont il connaît les caractères à tel autre nanti d'un nombre impressionnant de prix.

C'est pourquoi les expositions, pour remplir efficacement leur rôle sélectif, devraient donner plus de publicité aux notes détaillées. Et c'est aussi pourquoi les simples présentations (autre forme officielle des manifestations canines, dont nous reparlerons un jour), considérées à tort comme mineures, répondent mieux que les expositions-concours, dans leur conception actuelle, aux intérêts de l'élevage.

Beaucoup de simples utilisateurs mènent leurs chiens dans les expositions pour avoir l'appréciation, d'un juge ; il est aussi des éleveurs sportifs qui prodiguent les leurs dans les rings sans but spéculatif, parce qu'ils aiment cette ambiance et tirent juste vanité de montrer leurs produits. Ni les uns ni les autres ne seraient rebutés par la généralisation de la formule des présentations dans lesquelles il n'est pas fait de classement, mais seulement attribué un qualificatif et des notes. Mais d'autres producteurs, au lieu de les confondre, séparent trop souvent la notion d'intérêt sportif et celte d'intérêt tout court ; les collections de prix leur servent de réclame, et, pour eux, les expositions-concours auront toujours la préférence.

Jean CASTAING.

(1) Bulletin officiel de la Cynophilie, n° 2 de 1948, p. 21.

Le Chasseur Français N°642 Août 1950 Page 465