Dans une causerie insérée voici quelques mois dans cette
revue, nous avons cherché à donner quelques précisions sur ce qui constitue la
divagation des chiens et sur les sanctions dont l'application est encourue dans
le cas où il y a divagation. Depuis l’envoi à l'imprimerie du manuscrit de
cette causerie, plusieurs décisions judiciaires sont intervenues sur la
question : un jugement du tribunal correctionnel de Montpellier rendu le 10 novembre
1949, qui a été infirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Montpellier en date
du 22 décembre 1949 ; un jugement du Tribunal correctionnel de
Saint-Calais, en date du 2 février 1950, et un jugement du Tribunal
correctionnel de Châteauroux rendu le 8 février 1950. Toutes ces décisions
ont été publiées dans la Semaine juridique des 18 et 25 mai 1950,
accompagnées d'observations de. M. Brunet, Juge au Tribunal civil de
Châteauroux.
Le point essentiel résolu par ces décisions, et sur lequel,
au surplus, elles ne sont pas d'accord, consiste à savoir si la divagation
constitue un délit ou une contravention. Le jugement de Montpellier avait
décidé qu'il ne s'agissait là que d'une contravention, mais, sur appel de la
société départementale des chasseurs, partie civile, la Cour d'appel a décidé
que le fait constituait le délit prévu par l’article 11 de la loi sur la
chasse, d'infraction aux arrêtés relatifs à la chasse ; la même solution a
été admise par le tribunal de Châteauroux, tandis que le tribunal de Saint-Calais
n'avait vu dans le fait qu'une simple contravention de police. Ces décisions
font toutes état de l’arrêté du ministre de l'Agriculture pris le 19 février
1949 interdisant de laisser divaguer les chiens dans les champs « pour
prévenir la destruction des oiseaux ou pour favoriser leur repeuplement ».
Le jugement du tribunal de Saint-Calais estime que cet
arrêté est entaché d'excès de pouvoir en tant que créant une pénalité nouvelle,
le fait de la divagation étant prévu par l'article 471 du Code pénal et puni
par lui comme simple contravention ; le tribunal de Montpellier, sans se
prononcer sur la légalité de l'arrêté du 19 février 1949, avait
disqualifié l'infraction dont il était saisi et avait fait application de
l'article 483 du Code pénal, sous prétexte qu’en présence de deux pénalités prévues
pour un même fait, c'était la pénalité la moins rigoureuse qui devait être
appliquée. Quoi qu'il en soit, les motifs de ces décisions sont aussi peu
juridiques les uns que les autres. On ne saurait concevoir comment peut être jugé
illégal ou entaché d'excès de pouvoir l'arrêté ministériel du 19 février
1949, alors qu'il est pris en vertu des pouvoirs conférés au ministre de
l'Agriculture par la loi du 3 mai 1844 et celle du 28 juin 1941, et
strictement dans les limites de ces pouvoirs. D’autre part, c'est à tort, bien
évidemment, qu'on estime que cet arrêté porte création d'une pénalité nouvelle,
alors qu'il se réfère simplement aux pénalités portées par l'article 11 de la
loi du 3 mai 1844. Enfin il est inexact de considérer que ce sont des
faits identiques que visent, d'une part, l'arrêté ministériel de février 1949
et, d'autre part, les articles 471 et 483 du Code pénal : comme cela a
toujours été reconnu par les auteurs et par la jurisprudence, ces textes
prévoient des faits essentiellement différents : l'arrêté ministériel de
février 1949, pris en vertu des dispositions de la loi du 3 mai 1844
sur la chasse, n'est applicable qu'autant que le fait incriminé présente les
caractères d'un délit de chasse, ce qui suppose l'existence, à la charge du
prévenu, d'un fait volontaire ou d'une abstention volontaire, à défaut desquels
il ne pourrait être fait application de la pénalité prévue à l'article 11 de la
loi de 1844, et seules les dispositions de l'article 483 du Code pénal seraient
applicables.
L'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier nous paraît, à cet
égard, assez mal motivé, spécialement lorsqu'il indique que l'arrêté du 19 février
1949 a partiellement et implicitement abrogé l'article 483, alinéa 3, du Code
pénal, ou encore lorsqu'il exprime l'opinion que l'article 483 est applicable
lorsque l'infraction est commise hors la chasse et dans des lieux autres que
ceux visés à l'arrêté ministériel. Mieux motivé nous semble le jugement de
Châteauroux en ce qu'il se fonde, au moins partiellement, sur ce que le gardien
du chien ne s'était pas efforcé d'empêcher le chien de s'éloigner et de se
livrer à une action de chasse, sur ce que le fait de divagation est
suffisamment établi dans le cas où le gardien n'exerçait plus de surveillance
sur son chien. Ce dernier jugement eût gagné à préciser que, s'il est exact
qu'il y a divagation par cela seul que le chien a été trouvé errant, non
accompagné ou insuffisamment surveillé, la divagation était considérée comme
délit en raison de l'insuffisance de la surveillance du gardien de l'animal.
Notons enfin que le même reproche peut être adressé au
commentateur des décisions en question, qui paraît n'avoir pas vu nettement la
différence existant entre la divagation-délit et la divagation-contravention et
qui estime que l'article 483 du Code pénal n'est applicable que si la
divagation a lieu en dehors des lieux visés par l'arrêté ministériel ou que
s'il est établi que la divagation était absolument insusceptible de provoquer
une destruction des oiseaux ou de troubler leur repeuplement. Aussi mal fondée
nous paraît cette observation que l'arrêté ministériel a pour objet d'améliorer
la répression résultant de l'article 483, laquelle était insuffisante, et que,
l'arrêté étant postérieur à l'article du Code pénal, le juge ne peut refuser de
tenir compte de cette aggravation de la répression.
Paul COLIN,
Docteur en droit,
Avocat honoraire à la Cour d'appel de Paris.
|