Accueil  > Années 1950  > N°642 Août 1950  > Page 467 Tous droits réservés

Causerie juridique

Divagation des chiens

Dans une causerie insérée voici quelques mois dans cette revue, nous avons cherché à donner quelques précisions sur ce qui constitue la divagation des chiens et sur les sanctions dont l'application est encourue dans le cas où il y a divagation. Depuis l’envoi à l'imprimerie du manuscrit de cette causerie, plusieurs décisions judiciaires sont intervenues sur la question : un jugement du tribunal correctionnel de Montpellier rendu le 10 novembre 1949, qui a été infirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Montpellier en date du 22 décembre 1949 ; un jugement du Tribunal correctionnel de Saint-Calais, en date du 2 février 1950, et un jugement du Tribunal correctionnel de Châteauroux rendu le 8 février 1950. Toutes ces décisions ont été publiées dans la Semaine juridique des 18 et 25 mai 1950, accompagnées d'observations de. M. Brunet, Juge au Tribunal civil de Châteauroux.

Le point essentiel résolu par ces décisions, et sur lequel, au surplus, elles ne sont pas d'accord, consiste à savoir si la divagation constitue un délit ou une contravention. Le jugement de Montpellier avait décidé qu'il ne s'agissait là que d'une contravention, mais, sur appel de la société départementale des chasseurs, partie civile, la Cour d'appel a décidé que le fait constituait le délit prévu par l’article 11 de la loi sur la chasse, d'infraction aux arrêtés relatifs à la chasse ; la même solution a été admise par le tribunal de Châteauroux, tandis que le tribunal de Saint-Calais n'avait vu dans le fait qu'une simple contravention de police. Ces décisions font toutes état de l’arrêté du ministre de l'Agriculture pris le 19 février 1949 interdisant de laisser divaguer les chiens dans les champs « pour prévenir la destruction des oiseaux ou pour favoriser leur repeuplement ».

Le jugement du tribunal de Saint-Calais estime que cet arrêté est entaché d'excès de pouvoir en tant que créant une pénalité nouvelle, le fait de la divagation étant prévu par l'article 471 du Code pénal et puni par lui comme simple contravention ; le tribunal de Montpellier, sans se prononcer sur la légalité de l'arrêté du 19 février 1949, avait disqualifié l'infraction dont il était saisi et avait fait application de l'article 483 du Code pénal, sous prétexte qu’en présence de deux pénalités prévues pour un même fait, c'était la pénalité la moins rigoureuse qui devait être appliquée. Quoi qu'il en soit, les motifs de ces décisions sont aussi peu juridiques les uns que les autres. On ne saurait concevoir comment peut être jugé illégal ou entaché d'excès de pouvoir l'arrêté ministériel du 19 février 1949, alors qu'il est pris en vertu des pouvoirs conférés au ministre de l'Agriculture par la loi du 3 mai 1844 et celle du 28 juin 1941, et strictement dans les limites de ces pouvoirs. D’autre part, c'est à tort, bien évidemment, qu'on estime que cet arrêté porte création d'une pénalité nouvelle, alors qu'il se réfère simplement aux pénalités portées par l'article 11 de la loi du 3 mai 1844. Enfin il est inexact de considérer que ce sont des faits identiques que visent, d'une part, l'arrêté ministériel de février 1949 et, d'autre part, les articles 471 et 483 du Code pénal : comme cela a toujours été reconnu par les auteurs et par la jurisprudence, ces textes prévoient des faits essentiellement différents : l'arrêté ministériel de février 1949, pris en vertu des dispositions de la loi du 3 mai 1844 sur la chasse, n'est applicable qu'autant que le fait incriminé présente les caractères d'un délit de chasse, ce qui suppose l'existence, à la charge du prévenu, d'un fait volontaire ou d'une abstention volontaire, à défaut desquels il ne pourrait être fait application de la pénalité prévue à l'article 11 de la loi de 1844, et seules les dispositions de l'article 483 du Code pénal seraient applicables.

L'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier nous paraît, à cet égard, assez mal motivé, spécialement lorsqu'il indique que l'arrêté du 19 février 1949 a partiellement et implicitement abrogé l'article 483, alinéa 3, du Code pénal, ou encore lorsqu'il exprime l'opinion que l'article 483 est applicable lorsque l'infraction est commise hors la chasse et dans des lieux autres que ceux visés à l'arrêté ministériel. Mieux motivé nous semble le jugement de Châteauroux en ce qu'il se fonde, au moins partiellement, sur ce que le gardien du chien ne s'était pas efforcé d'empêcher le chien de s'éloigner et de se livrer à une action de chasse, sur ce que le fait de divagation est suffisamment établi dans le cas où le gardien n'exerçait plus de surveillance sur son chien. Ce dernier jugement eût gagné à préciser que, s'il est exact qu'il y a divagation par cela seul que le chien a été trouvé errant, non accompagné ou insuffisamment surveillé, la divagation était considérée comme délit en raison de l'insuffisance de la surveillance du gardien de l'animal.

Notons enfin que le même reproche peut être adressé au commentateur des décisions en question, qui paraît n'avoir pas vu nettement la différence existant entre la divagation-délit et la divagation-contravention et qui estime que l'article 483 du Code pénal n'est applicable que si la divagation a lieu en dehors des lieux visés par l'arrêté ministériel ou que s'il est établi que la divagation était absolument insusceptible de provoquer une destruction des oiseaux ou de troubler leur repeuplement. Aussi mal fondée nous paraît cette observation que l'arrêté ministériel a pour objet d'améliorer la répression résultant de l'article 483, laquelle était insuffisante, et que, l'arrêté étant postérieur à l'article du Code pénal, le juge ne peut refuser de tenir compte de cette aggravation de la répression.

Paul COLIN,

Docteur en droit,
Avocat honoraire à la Cour d'appel de Paris.

Le Chasseur Français N°642 Août 1950 Page 467