Après avoir lu, dans le numéro d'avril du Chasseur
Français, vos considérations, à la fois plaisantes et sévères, à propos du
tourisme à bicyclette, je me crois autorisé de penser que la trop fameuse « noble
conquête de l'homme » ! n'a pas fait la vôtre, ce pourquoi vous la
traitez de « carcan ».
Je pense aussi que vous auriez dû persévérer dans votre
intention première — ne dit-on pas qu'il faut toujours se méfier de son
premier mouvement, parce qu'il est souvent le bon ? — pour la
rédaction de votre papier, qui n'eût pas rencontré moins de lecteurs amusés,
auxquels je prends la liberté d'apporter un supplément d'information.
Et je ne le ferai pas seulement quant au fond ... de la
peau de chamois que vous avez évoquée, mais au nom d'une complète « vieille
culotte de peau », qui fut, en des temps déjà trop lointains, férue de
tous les sports, et de l'équitation en particulier.
Je n'ai pas eu occasion de lire, et je le regrette, le récit
de la randonnée cavalière au sujet de laquelle vous laissez entendre, ou
presque, que ceux qui y ont participé, dames et messieurs, ont chevauché à la
manière des quatre fils Aymon, montant ensemble leur légendaire palefroi
Bayard. Cela eût été vraiment monumental en fait de sport hippique, sport au
ralenti, peu pratique pour le tourisme, et contre lequel « la ligue pour
la protection du cheval » n'aurait pas manqué de protester.
Mais mon propos vise plus loin que ce fait particulier et a
l'ambition de plaider devant vous, fervent de la bicyclette, la cause du
cheval, l'agrément et les avantages de l'équitation, sinon la grande attraction
des différentes compétitions du sport hippique.
Je vous accorde bien volontiers que le tourisme à bicyclette
est d'une réalisation beaucoup plus facile et aussi, généralement, plus
économique que le tourisme à cheval, mais il ne m'apparaît pas qu'il y ait de
commune mesure entre ces deux sports aussi différents entre eux que le sont la
machine inerte constituée par le « vélo » le plus perfectionné et la
machine vivante que représente un cheval avec son instinct, sa volonté, sa
force, son endurance, voire même son courage, et encore d'autres qualités à la
disposition de qui sait les utiliser. C'est ce qu'on a pu voir, au cours des
plus récentes manifestations du tourisme hippique, durant les randonnées de
Paris-Mayenne, Paris-Le Touquet, Paris-Souzay (près de Tours), Souzay-Fontainebleau,
et des séjours de camping, où il y eut là aussi plus de cavaliers que de
chevaux disponibles.
C'est pourquoi le sport hippique a contre lui un préjugé
défavorable qui le fait considérer comme un sport de luxe, réservé à une
aristocratie pouvant dépenser sans compter et disposer du personnel
indispensable pour les soins des chevaux. Autant qu'il en peut rester, car
certains assurent que l'espèce chevaline est en voie de disparition et que ses
derniers représentants ne peuvent plus espérer d'autre utilisation que
l'approvisionnement des boucheries hippophagiques.
Or, si paradoxale que la chose puisse paraître en nos temps
de motorisation et de mécanisation à outrance, la cause du cheval n'est pas
aussi désespérée qu'on le dit souvent, et la pratique du sport hippique peut et
a déjà pu lui apporter d'appréciables concours et encouragements, au grand
profit de notre économie nationale.
Peut-être serez-vous surpris d'apprendre que, malgré la
crise indiscutable de l'élevage hippique, la dernière statistique, à la date du
1er octobre 1949, accuse un effectif de 2.414.000 chevaux,
alors qu'il n'en existait que 2.407.000 en 1947, mais contre 2.692.000 en 1938.
D'autre part, il ressort que l'effectif des chevaux de selle dans le seul
département de la Seine a doublé depuis la guerre du fait de l'augmentation
constante des sociétés hippiques, urbaines et rurales, dont le but est de
permettre à des jeunes gens de condition moyenne et modeste de monter à cheval
autant qu'ils le désirent pour leur plaisir et pour leur santé.
Des sociétés hippiques urbaines existent à Paris, une
douzaine environ, et dans un grand nombre de villes de province :
Bordeaux, Nantes, Angers, Toulouse, Tours, Nancy, Lyon, Rennes, etc., où elles
contribuent avec succès à la formation et à la vocation de véritables escadrons
de jeunes cavaliers, sous le patronnage de la « Fédération des sports
équestres ».
Dans les campagnes, une propagande aussi active a donné des
résultats non moins probants, mais, contrairement aux sociétés urbaines (S. H. U.),
les sociétés rurales (S. H. R.) dépendent de l'administration des
haras, qui les a fondées dès 1934 pour lutter contre l'abandon du cheval de
service, dans ses divers emplois, attelé et surtout monté. Plus de 200
de ces sociétés, groupées en fédérations, comptent près de 20.000 chevaux dont
les cavaliers, qui en sont le plus souvent les propriétaires, se réunissent à
l'occasion de fêtes régionales ou sportives, de raids à travers le pays ou de
randonnées touristiques leur permettant de fraterniser dans un commun amour du
cheval et dans la belle confiance de l' « esprit cavalier ». À
ce propos, je signale à toutes fins utiles que les personnes désirant
constituer ou faire partie d'équipes de cavalerie urbaine ou rurale peuvent
s'adresser au directeur du dépôt d'étalons de la circonscription à laquelle
appartient leur département, ou à la direction des haras au ministère de
l'Agriculture, 78, rue de Varenne, à Paris (7e), où tous
renseignements nécessaires leur seront fournis. En conclusion, si j'ose dire,
car le sujet est loin d'être épuisé, je crois qu'il est sage de laisser chacun
prendre son plaisir où il le trouve, que la pratique cycliste et celle de
l'équitation sont deux formes de sport sinon comparables, du moins également
recommandables, à condition d'en user avec discernement, selon ses goûts et
préférences, ses moyens physiques et ses disponibilités budgétaires. Et, pour
les partisans de notre ami le cheval, qui sont moins bien partagés sur le
dernier point, je leur rappelle en matière de consolation le précepte du Coran
qui enseigne, que « Dieu vient en aide à ceux qui s'occupent des chevaux
et allège les dépenses qu'on fait pour eux ».
J.-H. BERNARD.
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