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Athlétisme

Les parents pauvres

Les championnats d'Europe d'athlétisme se déroulent actuellement à Bruxelles. Quelles que soient les vastes et légitimes ambitions que nous pouvons nourrir dans les épreuves de courses en général, il existe au moins trois concours dans lesquels nous sommes assurés d'une timide figuration. Ces trois concours sont : le javelot, le marteau et le triple saut.

À quoi est due notre faiblesse régulière et traditionnelle dans ces épreuves ? Il apparaît utile aujourd'hui que l'athlétisme français arrive à son apogée de chercher les causes de cette anomalie et de faire la lumière sur cette persistante insuffisance.

On pourrait croire, à première vue, qu'il s'agit d'un manque de facultés d'adaptation de la race, d'une faiblesse généralisée de caractère ethnique, tout comme les Finlandais, qui ne produisent pas de grands sprinters, ou comme les Américains, qui sont inaptes aux courses de grand fond. Or il serait bien surprenant que nous comptions parmi les premiers pays européens en saut en longueur et que nous ne soyons pas susceptibles de produire de bons spécialistes de triple saut. Il apparaît également surprenant que nous puissions révéler des discoboles de valeur internationale et que nous soyons incapables de découvrir un lanceur de javelot de qualité égale.

Les sources de notre déficience ne résident pas dans les vertus ou les faiblesses de la race. Les responsabilités sont ailleurs. Elles incombent à la fois à la presse spécialisée, à la Fédération française d'Athlétisme et aux dirigeants de clubs. Depuis quelques années, il n'existe plus, pour une certaine presse, en matière d'athlétisme, que le demi-fond. Alors que, dans ces épreuves, quelques vedettes brevetées, genre Hollywood, font l'objet de chroniques, les concours, en général, sont traités comme des parents pauvres, comme des attractions secondaires destinées à meubler les temps morts d'un meeting.

Cette presse a des prétextes, des motifs et quelquefois des excuses pour agir ainsi.

La Fédération française d'Athlétisme ne peut invoquer, par contre, aucun motif de justification pour sa carence dans ce domaine.

En 1950, année des championnats d'Europe, il n'y a eu aucune épreuve préparatoire pour les lanceurs de marteau et les spécialistes du triple saut, sinon les championnats régionaux et les championnats de France. Si on excepte deux ou trois initiatives isolées, dues à la présence au sein d'un club d'une vedette de ces concours (Laborde à Tarbes, Legrain à Thumeries), il n'a jamais été donné à ces athlètes l'occasion de participer à un meeting où leur épreuve figurait au programme.

Quand on considère qu'en dépit de cette invraisemblable inertie des pouvoirs officiels nos spécialistes ont continué à s'entraîner dans l'ombre, sans aucun encouragement et sans même pouvoir manifester leur talent, on hésite entre ces deux sujets d'étonnement : l'incapacité des responsables et l'opiniâtreté des athlètes. Nous ne sommes pas de ceux qui chargent systématiquement la F. F. A., qui injurient grossièrement M. Méricamp quand notre équipe nationale est battue et qui concluent : « C'est malgré les dirigeants » lorsqu'elle est victorieuse.

Nous nous étonnons seulement que les pontifes de notre Fédération, qui ont fait par ailleurs un effort considérable en ce qui concerne les courses, continuent à témoigner une indifférence de chef de bureau aux concours athlétiques et singulièrement aux trois que nous citions plus haut.

Il a fallu une patience prodigieuse, une persévérance au-dessus de tout éloge à ceux qui, comme Tissot, Bobin et Legrain, ont amené, dans le dédain général, nos records nationaux en ces trois spécialistes à un niveau moyen dans la hiérarchie européenne. Que n'eussent-ils fait s'ils avaient été encouragés, aidés, choyés, comme les vedettes du demi-fond !

Le problème que posent ces trois spécialités peut se résumer dans ce dilemme : ou nous considérons le javelot, le marteau et le triple saut comme des concours secondaires, des passe-temps accessoires et indignes de notre intérêt, et nous les supprimons définitivement de notre calendrier, ou nous les regardons comme ce qu'ils sont, c'est-à-dire des traditions olympiques égales aux autres épreuves sur n'importe quel plan (et ni plus ni moins conventionnelles qu'une course de haies, ou qu'un saut à la perche). Dans ce cas, il est urgent de prendre les mesures qui s'imposent pour ne pas décourager à jamais les obstinés héroïques qui s'acharnent à leur survivance.

Gilbert PROUTEAU.

Le Chasseur Français N°642 Août 1950 Page 477