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Grande culture

La pluie est venue

Il y a quelques mois, à cette place, nous entretenions nos lecteurs des conséquences possibles d’un hiver qui paraissait avoir une allure sèche ; les soucis de 1949 allaient-ils revenir ? La météorologie a enregistré autre chose : il pleut, et, depuis les derniers jours de juin, il convient d'envisager les choses agricoles sous un autre aspect. Je sais la réponse que feront pas mal de personnes, une réflexion entendue l'autre jour dans le train, alors que la pluie ruisselait sur les carreaux, m'a une fois de plus édifié : « Mon vieux, disait l'un, qu'est-ce que tu veux que cela nous fasse ; l'année dernière, les paysans criaient misère parce qu'il faisait sec et les légumes se vendaient cher; cette année, ils vont dire que tout pourrit et qu'il n'y à rien de bon à vendre, les prix ne changeront pas », et au fond, raisonnant au titre de consommateur, il n'avait pas tort ; c'est le raisonnement du paysan que l'on n'admettait pas.

Singulier métier, écrivais-je en janvier, oui, bien singulier métier, suis-je obligé de répéter, n'innovant rien, mais cherchant tout de même ces mesures de sécurité auxquelles je faisais allusion. Immédiatement, c'est le problème fourrager qui se présente à nos yeux. L'herbe est abondante, les animaux en trouvent à profusion et, dans les exploitations où le compartimentage a été mis en vigueur, pour éviter le gaspillage, même avec la rotation rapide et le passage successif d'animaux groupés par besoins, il y aura des suppléments. C'est alors qu'apparaît l'utilité de prévoir la mise en réserve des excédents ; il ne saurait être question de faner, car il importe de débarrasser rapidement le terrain, de ne pas manquer le programme pour les périodes suivantes et, même, on peut concevoir que ce temps humide favorisera l'absorption des substances fertilisantes ; par conséquent, l'emploi d'engrais azotés est tout à fait à sa place, il faut jouer la carte de l'herbe et en tirer parti. L'ensilage est le seul moyen de travailler convenablement : fosse ou meule recevront les suppléments.

L'ensilage apparaît encore comme un moyen intéressant de ne pas gaspiller la matière verte que les prairies permanentes ou temporaires de toutes sortes offrent aux instruments de fauchage ; on a prévu l'ensilage dans le programme général de la ferme et on applique les disposition prises, ou bien il faut innover ; là encore, il n'y a pas lieu de se lancer dans des dépenses excessives de premier établissement : des fosses simples, des meules bien montées absorberont le fourrage ; on n'en sera pas à attendre un soleil illusoire provoquant une dessiccation superficielle qui, suivie d'une nouvelle pluie, expose le fourrage à des pertes formidables d'éléments nutritifs.

Il s'agit donc, pour les productions fourragères, d'utiliser au maximum ce que le temps nous donne et de ne pas avoir en vue que la rentrée de denrées dépourvues de valeur alimentaire ; au lieu d'avoir à corriger une ration constituée par des éléments que l'on gaspille, autant envisager un accroissement net des productions animales. Il est possible que le prix diminue, mais la multiplication restera favorable, à la condition que le travail soit organisé en conséquence, afin de diminuer le prix de revient ; remuer à longueur de journée du fourrage coûte cher, se préparer à emmagasiner en travaillant rationnellement vaut mieux. En même temps, songeant au consommateur, l'abondance améliorera son pouvoir d'achat à condition évidemment que des taxes insidieuses ou d'innombrables intermédiaires ne se glissent pas inlassablement entre la production et la consommation. Autrement, c'est le découragement général. La pluie est revenue et les céréales, qui languissaient en 1949, sortant en hâte leurs épis pour mieux se défendre contre l'anéantissement, s'allongent ; l'épi progresse à l’intérieur de la tige ; une feuille qui veut tout masquer, une gaine qui prodigue sa protection retardent l'épiaison. En même temps, les tiges nombreuses produites par le tallage cherchent à monter, tout s'épaissit dans le champ, et les protagonistes des semis clairs s'apprêtent à confondre ceux qui restent attachés aux fortes quantités de semences. En fait, l'année dernière, ceux qui avaient semé clair en terres bien conditionnées, soulignons-le, ont déjà obtenu de belles récoltes, car il n'y avait pas trop de concurrence entre les plantes pour utiliser une eau raréfiée ; cette année, les semis moins drus donnent des plantes moins étiolées qui vont tenir debout. Car, ce que redoutent les producteurs de céréales, c'est la verse ; des champs d'orge d'hiver, de blé, commencent à verser de très bonne heure ; on note le développement du piétin et, en définitive, après de belles apparences, il n'est pas certain que l'on ait à rentrer autant de quintaux qu'en 1949. Singulier métier qui explique la sagesse des anciens et qui fait comprendre l'origine du bas de laine, moyen d'épargne que l'on peut discuter, mais qui n'en reste pas moins la base de la garantie contre une trésorerie effarée.

Plantes fourragères aux herbes variées, céréales de toutes catégories viennent de nous livrer bien des sujets de méditation ; mais d'autres compartiments sollicitent l'attention. Les mauvaises herbes se réjouissent aussi de ce temps « poussant » ;

Il faut voir la lutte entre les betteraves naissantes, qui se gênent, et les herbes qui menacent de les étouffer ; le bineur, courbé vers la terre, ne cesse de gratter sur son outil la terre qui empêche de faire un travail rapide et précis ; le bineur ne voit pas venir la fin de sa parcelle et il suppute que sa tâche ne sera pas aussi profitable qu'en terre de bonne prise. Les pommes de terre avaient levé plus ou moins correctement, suivant la qualité du plant et les soins de conservation ; elles grandissent, mais, si la bineuse a nettoyé l'interligne sur le rang, les mauvaises herbes s'épanouissent et l’on voit des champs couverts de moutardes, sanves, jottes ; il va falloir intervenir, et sévèrement, car une culture sarclée mal entretenue, c'est aussi une garantie certaine de réensemencement pour des années.

Faut-il aller faire un tour dans les jachères ? Car il en existe encore ; certains même, préoccupés par la baisse des produits agricoles, laisseraient volontiers chômer la production pour avoir moins de frais, oubliant leurs frais généraux qui grèveront la partie maintenue en état. Il faut travailler les jachères ; attention toutefois, sous prétexte d'occuper le temps, de ne pas préparer des mottes qui sécheront au prochain soleil, qui donneront de la terre gâtée ; et c'est 1951 déjà compromis. Singulier métier devant lequel il faut tirer son chapeau quand dans l'atelier couvert, on produit mathématiquement ce que le calcul a prévu.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°642 Août 1950 Page 487