Le scaphandre autonome Cousteau-Gagnan (1) permet à l'homme
d'équilibrer sa densité avec celle de l'eau, le poids étant au besoin réglé par
l'adjonction de plombs à la ceinture. Il permet aussi, par le jeu du détendeur
spécial, de respirer l'air distribué, par des bouteilles portées sur le dos, à
une pression exactement équilibrée avec celle de l'eau, et cela quelle que soit
la profondeur.
La pression de l'air dans les poumons et celle de l'eau sur
la poitrine étant donc égales, le plongeur ne subit plus aucun écrasement de la
cage thoracique. Et la pression étant, de même, compensée des deux côtés du
tympan, il ne ressent aucune gêne aux oreilles. Il devrait donc pouvoir
descendre très profondément sans aucun malaise. Mais ...
L'oreille interne ne communique avec les voies respiratoires
que par un canal étroit : la trompe d'Eustache ; ce canal est
normalement fermé et ne s'ouvre que lorsque nous faisons des mouvements de
déglutition. Imaginons que nous plongeons avec un scaphandre. À dix mètres, le
tympan subit de l'extérieur, du fait de l'eau, une pression de 1 kilogramme (en
plus de la pression atmosphérique, soit 2 kilos au total) ; les poumons
sont pleins d'air à la même pression ; mais, si la trompe d'Eustache ne
s'est pas ouverte, l'oreille interne demeure à la pression atmosphérique ;
alors, évidemment, on ressent une gêne, une douleur autant que si les poumons
n'étaient pas en surpression. Pour qu'il n'y ait aucun risque d'éclatement du
tympan, pour que l'on ne souffre d'aucun malaise, il faut que la trompe
d'Eustache s'ouvre.
Pour cela, le plongeur doit faire des mouvements de
déglutition. Mais ce n'est pas toujours facile. S'il est débutant, il est tout
occupé à respirer posément dans son embout, aspirer, expirer, et ce n'est pas
commode de rompre ce mécanisme pour déglutir : on a l'impression (certes
ridicule) qu'on étoufferait si on l’arrêtait une seconde. Mais on prend quand
même sur soi d'imposer à sa gorge les mouvements nécessaires. Hélas ! l'air
ne passe pas toujours ; on n'entend pas le psch ... caractéristique
de la pression qui s'équilibre entre les poumons et l'oreille interne. Pourquoi ?
Parce que la trompe d'Eustache est mal constituée, ou parce qu'elle est
tuméfiée par une congestion. Comme chantait à peu près Chevalier jadis : « On
ne peut rien faire à ça ... ça pass' ou ça ne pass' pas ... »
Ainsi, votre serviteur ne peut pas entendre le psch ... Il doit donc se
limiter à 6 ou 7 mètres, profondeur où le déséquilibre de la pression sur les
tympans devient douloureux.
Mais tous les plongeurs entraînés sont d'accord : sauf
les moments où l'on est enrhumé (la trompe d'Eustache est alors tuméfiée),
l'équilibre s'établit facilement ; et, une fois que le passage s'est
ouvert pour l'air, l'équilibre se maintiendra, aussi profondément que l'on plonge.
Il ne s'agit donc là que d'un obstacle à franchir, et encore
la plupart des plongeurs ne le connaissent-ils pas ! Il semble donc que
rien ne doit pouvoir interdire de descendre très, très profondément. En pure
théorie, du moment que la pression est équilibrée entre l'intérieur du corps et
l'extérieur, on ne voit pas ce qui pourrait stopper la plongée vers les abîmes.
Mais un autre phénomène intervient malheureusement : la dissolution de
l'azote dans le sang.
À la pression atmosphérique, le sang ne dissout de l'air que
le seul oxygène ; l'azote est à peu près insoluble. Mais, quand la
pression augmente, le taux de dissolution de l'azote s'accroît également. En
profondeur, le sang du plongeur contient donc de l'azote. Et après ? direz-vous.
Est-ce dangereux ? ... Oui, c'est dangereux, et pour deux raisons.
La première, c'est que l'azote est pour l'organisme un
narcotique : il procure un doux engourdissement, une invincible torpeur,
bientôt un sommeil totalement inconscient. C'est ainsi que certains dentistes
endorment leurs patients avec du protoxyde d'azote, ou « gaz hilarant ».
Et, en effet, à partir d'une quarantaine de mètres, jamais avant, souvent bien
plus profondément, peut apparaître une impression d'euphorie, bientôt suivie
d'une douce ivresse, qui a d'ailleurs un nom : « l'ivresse des
profondeurs ». Et après ? direz-vous encore. Est-ce dangereux, une
ivresse ? Sur terre, non. À l'air libre, le danger serait nul : le
seul risque serait de s'écrouler par terre dans une impression de béatitude.
Mais, dans l'eau, il en va tout autrement : perdre conscience, c'est
lâcher l'embout du respirateur ; ce n'est pas seulement s'endormir, c'est
s'endormir pour ne plus se réveiller. On mourrait noyé, sans s'en apercevoir ...
L'autre danger, c'est à la remontée qu'on l'affronte : l'azote,
qui, aux grandes pressions, a été dissous dans le sang, se dégage dès que l'on
remonte ; ses bulles encombrent alors plus ou moins brusquement les
vaisseaux ; ils peuvent bloquer la circulation et provoquer ce que l'on
appelle une embolie gazeuse, d'autant plus sûrement mortelle que, dès la perte
de connaissance, on lâcherait le tuyau.
Pour éviter le premier danger, il suffit de remonter dès
l'impression d'ivresse ou même, simplement, d'euphorie. Pour obvier au second,
il ne faut pas remonter trop vite et même, si possible, ménager des paliers,
afin que l'azote se dégage lentement.
Mais la meilleure garantie contre ces dangers, c'est dans
l'appareil lui-même qu'il réside : en effet, avec deux bouteilles sur le
dos, on ne peut pratiquement pas rester assez longtemps à une profondeur
suffisante pour que le risque soit réel. Cela est différent quand certains
plongeurs très entraînés s'équipent d'un « tri-bouteille », qui leur
permet de demeurer environ trois quarts d'heure sous l'eau.
Les inventeurs n'en ont pas moins calculé une table de
sécurité. Elle indique le temps maximum de séjour aux diverses profondeurs,
temps en deçà duquel on peut remonter sans précautions spéciales. Ainsi, à 20
mètres, on peut rester 1h.10 ; à 30 mètres, 25 minutes. Si l'on dépasse
ces limites, il faut procéder par palier pour revenir à l'air libre.
Mais, si l'on a vidé ses bouteilles, direz-vous, on est bien
obligé de remonter en toute hâte. Non, car c'est ici qu'intervient un
remarquable dispositif du Cousteau-Gagnan : la réserve d'air. C'est un
clapet de précision qui ferme l'air progressivement, quand la pression descend à
20 kilogrammes. Le plongeur, éprouvant alors une difficulté croissante à
respirer, sait qu'il ne lui reste plus qu'un dixième de sa charge ; il
ouvre le robinet de réserve qui se trouve bien à portée de sa main et sait
qu'il doit commencer à remonter. Ainsi lui est-il impossible d'oublier les
règles de sécurité.
Quant à tous les autres dangers du scaphandre traditionnel,
ils n'existent pas avec le scaphandre autonome : ni l'effet de ventouse du
casque en cas de chute ou de rupture du tuyau (squeeze des anglo-saxons), ni
l'asphyxie par arrêt de la pompe ou du compresseur, par rupture du tuyau ou
bris d'une vitre du casque, ni la remontée en ballon (blowing up), ni les
intoxications à l'oxygène dans les appareils à circuit fermé, ni les
intoxications par accumulation d'acide, carbonique dans le casque.
L'appareil étant ce qu'il est, les dangers étant ce qu'ils
sont, que peut-on tirer, dans la pratique, du scaphandre léger ? C'est ce
que nous verrons dans un troisième article.
Pierre DE LATIL.
(1) Voir Le Chasseur Français de juillet 1950.
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