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Chiens de lièvre

En mars dernier, M. Paul Wilkens, au sujet d'un concours de meutes dont il était président du jury, m'écrivait : « Les épreuves ont été très réussies, mais la moitié des lots était composée de Briquets, et ils n'étaient pas les plus mauvais. Que faut-il faire pour amener les éleveurs de chiens courants à sélectionner sur un type de race reconnue ? »

Il est facile d'expliquer pourquoi les coureurs de lièvres ne s'en tiennent pas uniquement aux races reconnues.

Il est beaucoup plus malaisé d'indiquer un moyen de les encourager à n'élever et n'utiliser que des chiens d'un type pur bien fixé et officiellement reconnu.

Pour bien comprendre la situation, il est nécessaire de comparer le présent au passé. Pour cela, il faut même remonter à cent ou cinquante ans, époque à laquelle le courre du lièvre était très pratiqué.

À ce moment-là, les vrais et grands équipages spécialisés dans le courre du lièvre étaient fort nombreux. Ils chassaient, bien entendu, presque tous à cheval.

Ce détail est particulièrement important à souligner et explique bien des choses.

À la fin de son excellent Manuel de vénerie française — édition de 1902, — le comte Lecoulteux publie une statistique des équipages qui existaient alors.

Soixante équipages, sur lesquels il avait obtenu des précisions, chassaient le lièvre à courre. Trente-six avaient de vingt à quarante chiens ; trente-neuf avaient de dix à vingt chiens.

Sur quarante-trois autres meutes, comprenant de dix à vingt chiens, il n'avait aucun détail, ni sur le gibier chassé, ni sur la race employée. Il est très vraisemblable que sur cet ensemble de meutes à effectif relativement restreint bon nombre chassaient le lièvre.

Il y avait donc une centaine de meutes spécialisées sur le lièvre — sans compter un grand nombre de petits lots qui n'étaient pas considérés comme des équipages.

Il est très instructif de voir quelles étaient les races utilisées. Elles étaient fort nombreuses. Dans certains équipages côtoyaient parfois deux ou trois variétés : Français et Anglo-Français ; Anglo-Français et Anglais. Parfois même des Briquets y étaient adjoints.

Voici les équipages cités : Saintongeois (2) ; Anglo-Vendéens (2) ; petits Griffons vendéens (5) ; Porcelaines avec grands Vendéens (1) ; Beagles-Harriers (4) ; Anglo-Vendéen ( 1 ) ; Anglo-Saintongeois ( 1 ) ; Griffons de Cosse (4) ; Beagles (3) ; Harriers (4) ; Ariégeois (4) ; Gascon-Poitevin (1) ; Briquets d'Artois (2) ; Gascons (2) ; Beagle-Harrier et Harrier ariégeois (2) ; Poitevins (6) ; Anglo-Poitevins (6) et enfin des Gascons-Saintongeois, qui battent le record avec quinze meutes.

Parmi ces différentes variétés, certaines ont complètement disparu : Saintongeois, Griffon de Cosse, Anglo-Saintongeois, grands Vendéens.

Le Briquet d'Artois a été détruit par ceux qui en ont voulu faire un Artésien normand totalement inapte à la chasse à courre du lièvre.

Le Porcelaine, encore assez peu répandu en dehors de la région de l'Est, fut croisé avec le Harrier gris et constitua d'excellentes meutes de lièvres, surtout dans l'Ouest.

Le Gascon saintongeois, si prospère à cette époque, n'a plus, actuellement, qu'un effectif très réduit, de même que le Gascon lui-même.

En réalité, nous ne trouvons plus en nombre respectable que les Beagles-Harriers, les Beagles et les Ariégeois.

Les vrais Harriers sont rares.

Le Beagle-Harrier a été très éprouvé, en nombre et en qualité, par la disparition des deux meilleurs équipages de cette variété, aussi bien comme type que comme qualité : l'équipage Grandin de l'Épervier et l'équipage du baron Gérard. Il a souffert alors d'une conception erronée qui préconisait la prédominance du type Beagle. L'erreur est officiellement réparée. Mais il faut encore attendre pour que le vrai type et la qualité soient revenus.

C'est donc le Beagle qui a toutes les faveurs parmi les chiens anglais. Encore faut-il, pour avoir avec le Beagle un vrai chien de chasse à courre, ne pas tomber dans le lourdaud, ou le chien de trop petite taille.

Les premiers équipages de Beagles, en France, furent ceux du comte de Chabot et du comte de Beauregard. Ils prenaient d'ailleurs très allègrement et très couramment leur lièvre. Mais il ne faut pas oublier que le premier sélectionnait ses Beagles aux environs de 0m,43, et le second aux environs de 0m,45, c'est-à-dire sensiblement au-dessus de la taille maxima du standard. S'ils ont agi ainsi, ce n'est pas par pure fantaisie, mais parce qu'ils avaient reconnu l'utilité des grands Beagles pour prendre.

La vitesse n'est pas exclusivement sous la dépendance de la taille, mais, au-dessous d'une certaine taille, on peut redouter que — si le train est suffisant avec ces petits Anglais, très énergiques et très résistants — la pointe de vitesse peut manquer au moment du relancer, lorsque l'animal est sur ses fins. À ce moment-là, il faut nécessairement des chiens qui soient capables de prendre le lièvre.

Bien des chasseurs de lièvre, possédant des Beagles qui chassent admirablement, et qui forcent presque leur lièvre, ne manquent la prise que parce que leurs chiens n'ont pas cette pointe de vitesse nécessaire.

J'ai eu une chienne de 0m,55, de sang harrier porcelaine, qui chassait d'une façon très ajustée et qui ne semblait pas très vite. Mais, sur le relancer final, elle avait un tel galop que c'est presque toujours elle qui happait l'animal.

Du côté du chien anglais, il y a encore de la ressource.

Mais tout le monde n'aime pas le chien anglais et sa façon de chasser. Alors ? ... En chien français, que reste-t-il ? Très peu de chose.

Le Briquet Griffon vendéen, terriblement entreprenant, pouvait faire le bonheur de ceux qui aiment des chiens qui poussent vigoureusement. Il a été éclipsé par son frère, le Basset Griffon vendéen, parce que la plupart des Vendéens, passionnés du courre du lièvre voulaient un chien un peu moins vite que le Briquet. C'est pour cela d'ailleurs qu'ils ont sélectionné un grand Basset — du type Dezamy, comme on disait alors, — un Basset qui dépassait la taille maxima et qui se rapprochait un peu du type cob. Un tel chien pouvait forcer un lièvre. Mais, depuis la libération, j'ai jugé des Bassets Griffons vendéens, très beaux par rapport au standard, mais plus faits en cigares qu'en cobs. Ils ne seraient certainement pas de vrais preneurs de lièvres.

Il existe encore quelques Harriers Porcelaines, notamment ceux de M. Mortier, qui sont très bien comme modèle, et que l'on dit excellents en chasse. Mais une famille ... c'est peu pour fournir un contingent important.

La véritable source de sang français pour le lièvre est donc l'Ariégeois.

Je ne m'explique pas pourquoi ce chien est aussi peu connu et employé. Cela tient peut-être à ce que l'on a eu ou vu comme Ariégeois ... les armoires à glace de type gascon ... qui sont évidemment trop importants et trop lents pour le courre du lièvre. J'ai eu cette impression défavorable lorsque, très jeune chasseur, j'ai voulu essayer de l'Ariégeois. J'ai reçu deux chiens qui n'étaient que des Gascons et qui traînaient derrière mes autres chiens. Mais le véritable Ariégeois — plus Saintongeois que Gascon, et avec une mentalité briquette — est un excellent chien de lièvre.

Nous nous trouvons donc devant cette certitude : la plupart des races autrefois coureuses de lièvres ne sont plus.

Mais, en supposant qu'elles existassent encore, elles ne représenteraient pas l'idéal de l'immense majorité des chasseurs de lièvre d'aujourd'hui.

Autrefois, presque tous les équipages de lièvre chassaient à cheval.

Aujourd'hui, ceux qui ont les moyens d'entretenir une meute nombreuse, avec piqueurs et chevaux, ne sont plus qu'une petite minorité. Ils sont d'ailleurs tentés de chasser chevreuils ou cerfs. Le courre du lièvre est plutôt pratiqué par des fanatiques aux moyens plus modestes, qui ne possèdent qu'une petite meute et qui suivent à pied.

C'est là un point capital.

Tels chiens qui pouvaient être très bons et prendre, conduits et secondés par les cavaliers, seraient beaucoup moins brillants et moins appréciés, suivis de loin par des hommes à pied. Ils le seraient encore bien moins qu'ils n'auraient pu l'être autrefois. La chasse au lièvre, déjà bien délicate, s'est considérablement compliquée, surtout en plaine, par la plus grande diversité des cultures, par les engrais chimiques et les acides, par les chemins empierrés de silex et par les routes goudronnées puantes des senteurs d'essence et d'huile.

Dans un prochain article, je montrerai l'énorme différence qui existe, dans les cas particulièrement désavantageux, entre la meute servie par des cavaliers et celle qui n'est suivie que par des personnes à pied ; l'embarras extrême des coureurs de lièvre modernes pour le choix d'une race ; et l'unique palliatif contre la trop grande diversité de leurs chiens.

Paul DAUBIGNÉ.

Le Chasseur Français N°643 Septembre 1950 Page 531