En cette fin de vacances, qui sent déjà l'automne, le bassier
continuera à pratiquer avec fruit toutes les pêches aux crustacés et aux
mollusques.
Le tour des poissons côtiers va venir, ceux qu'on capture
aux cordes, et je vous en entretiendrai sous peu. Mais, dès maintenant, le
moment semble opportun de vous parler d'un certain petit poisson dont on
parvient à ramener souvent des quantités considérables — et qui donne de
succulentes fritures : le lançon ou l'équille.
Pour être exact, il serait préférable de dire le lançon et
l'équille. C'est à tort en effet que, sur la plupart des côtes de France, on
confond ces deux espèces de poissons, d'ailleurs presque semblables. Ce sont
l'un et l'autre des ammodytes, de l'espèce anacanthine, le lançon étant un
ammodyte lancéolé, l'équille un ammodyte tobianus. Mais vous vous en moquez
bien. Moi aussi, d'ailleurs ...
Qu'il vous suffise de savoir qu'il s'agit là d'un petit
poisson de forme allongée, d'un blanc ou d'un gris argenté, teinté parfois de
reflets bleus ou verdâtres, et d'une quinzaine de centimètres en moyenne,
l'équille demeurant généralement plus courte et plus mince, le lançon plus long
et souvent plus gras. La caractéristique principale de l'ammodyte, que les
ignorants prennent pour de jeunes anguilles, est son extrême agilité. Animé
d'une mobilité surprenante, il nage très vite et présente le pouvoir de
disparaître d'un coup de queue dans le sable — d'où son surnom de trouquesable,
usité dans le Midi — en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
L'équille, comme le lançon, vit en bancs extrêmement denses,
à la manière du maquereau ou du hareng, et croise en général à une assez faible
distance des côtes. Les professionnels la pèchent en bateau, avec des filets
spéciaux à mailles serrées et en ramènent parfois de véritables cargaisons.
L'équille étant d'une conservation difficile, bien que de chair excellente,
s'exporte rarement et est surtout consommée sur le littoral. Les pêcheurs
l'utilisent aussi pour amorcer nombre de leurs lignes, car c'est une boette de
premier ordre.
Eh bien ! et nous, qu'est-ce que nous faisons ? me
demanderez-vous. Nous ne disposons ni de barques, ni de filets spéciaux, et
vous nous laissez sur notre appétit !
Patience ! Certes, je ne vous donnerai pas le moyen
de pêcher l'équille, en toute saison, à pied sec et à la main. Mais ce mois-ci
se trouve être favorable à la capture de notre ammodyte, avec les procédés les
plus sommaires.
Aux équinoxes en effet, et singulièrement aux grandes marées
de septembre, l'équille se rapproche des côtes, sans doute pour y frayer, et
vient provisoirement gîter dans le sable des estuaires, en colonies fort
nombreuses qui confinent à la pullulation. Il faut avoir assisté à une partie
de pêche à l'équille, à l'embouchure d'une rivière à alluvions, pour comprendre
que je n'exagère nullement ainsi.
Pullulation, oui, mais dans certaines conditions seulement.
D'abord, l'équille ne « s'enterre » guère que de la mi-septembre à la
première semaine d'octobre — avec éventualité d'extension en deçà et au
delà. Ensuite, on ne trouve alors l'équille que dans des sables à gros grain,
presque toujours sous des ridains (on appelle ainsi les rides formées par les
ondulations de sable, serrées régulièrement côte à côte, vestiges laissés dans
certaines larges baies par la mer baissante). Enfin, ce séjour sableux de
l'équille n'est jamais constant ni permanent, dans la mesure où il ne perdure
point, jour après jour, pendant les trois semaines que je viens de dire. On
trouve ainsi, une fois, l'équille en abondance dans certains coins d'où elle
aura disparu le lendemain, sans qu'on puisse exactement déterminer les causes
de cette affluence ou de cet exode. De vieux pêcheurs tiennent cependant pour
absolue la présence de l'équille dans de tels sables deux jours avant et deux
jours après la nouvelle lune. Je n'ai pas toujours constaté, pour ma part — et
en raison de ma part ! — la rigueur de cette loi. Il y a donc là un
aléa à courir, et tel équilleur risque de revenir bredouille qui, la veille,
avait ramassé au sec une pleine « poche » d'équilles ...
Mais, si risques il y a, ceux-ci demeurent légers, tant
l'appareillage nécessaire est simple et peu coûteux. Ni lignes, ni hameçons, ni
cordes, ni bôcains et pas davantage de bateau, vous vous en doutez : une
pelle ou une fourche, tout bêtement.
Depuis des siècles, les pêcheurs du littoral ont pu observer
que, puisque en de semblables temps l'équille s'enterrait dans le sable, le
meilleur moyen de la capturer était de l'en défouir. D'où l'utilisation
prosaïque et paradoxale, bien imprévue aussi sauf en logique, du louchet ou du
fourchet. Ce n'est du reste pas le seul instrument aratoire dont se servent les
bassiers, nous aurons souvent l'occasion de le constater.
Le procédé de pêche consiste alors tout naturellement à
extraire du sable, à coups de pelle, l'équille qui s'y « muche ».
Mais cela exige une technique assez particulière. Il s'agit surtout d’effeuiller
le sable et d'éparpiller la pelletée, au lieu de la retourner d'un bloc, pour
mettre au jour l'équille. Débusquée, celle-ci frétille immédiatement au ras du
sol, semble y voleter l'espace d'un éclair et se dépêche de s'y renfoncer, en
moins de deux (secondes), avec une prestesse qui tient de l'escamotage,
vraiment. Le pêcheur doit alors cueillir à pleine main l'équille et la jeter au
panier, en évitant qu'elle ne lui glisse entre les doigts, ce qui est fréquent.
Le double travail du pelletage et du ramassage exige du
pêcheur une gymnastique des plus fatigantes. Aussi nombre d'équilleurs
aiment-ils à faire équipe, par groupe de deux ou trois hommes. L'un se charge
de manier la bêche sans arrêt, l'autre ou les deux autres de cueillir les
poissons désablés. Ils limitent ainsi au maximum les risques de perte — perte
de temps, perte de prises — et parviennent à remplir, en deux heures de
basse eau, des mannerées étonnantes. Dans la plupart des cas, les ramasseurs et
le pelleteur se relaient, répartissant entre eux, avec équité, ampoules et
tours de rein.
Il tombe sous le sens qu'une telle pêche requiert de ses
pratiquants une attention soutenue, une grande rapidité de coup d'œil et une
parfaite sûreté de réflexes. On peut d'ailleurs simplifier le travail du défouissage
en utilisant une petite charrue ou un soc à deux manches — engin spécial
employé dans quelques estuaires de France. Mais, s'il économise de la dépense
musculaire, ce système empêche l'exploitation totale d'un coin vraiment
productif. Or, quand l'équille se met à « donner », elle le fait
généreusement. Il n'est pas rare qu'on parvienne à faire toute sa pêche dans un
simple carré de quelques mètres de côté : on sort ainsi fréquemment une
demi-douzaine d'équilles à chaque pelletée, et ces « montées » ne
cessent parfois de se renouveler durant les deux heures du bas flot. À
l'équille, comme au bouquet, il vaut mieux travailler un bon coin jusqu'à
épuisement, plutôt que de s'amuser à battre les grèves à l'aveuglette, ici et
là.
À certaines dates bien connues, notamment à la Saint-Denis,
l'équille pullule de telle manière qu'on la pêche « d'assis ». Les
Normands du Calvados l'affirment et, une fois au moins dans ma vie, j'ai pu
voir, en fin de marée, des pêcheurs prendre des équilles par la queue,
en les tirant tout simplement, à la main, du trou où elles nichaient, tout à
fait knocked-out après deux heures de chasse dans des sables remués. Il est de
fait que, dans certains estuaires connus pour être riches en équilles, les
pelleteurs sont si nombreux que cela grouille autant dessus que dessous. Rien
de surprenant à ce qu'un tel pourchas, dans des sables qui vont en s'asséchant,
finisse par paralyser les ammodytes traqués.
Si vous devez tenter, cette saison, votre chance à
l'équille, retenez les dates des 9 au 14 septembre et, plus profitablement
(en principe), du 22 au 28. Mais notez aussi que le 9 octobre vous donnera
toutes les facultés de succès : la légende de la Saint-Denis y rejoint, en
effet, le fameux « deuxième jour antélunaire » cher aux traditions
côtières.
Maurice-Ch. RENARD.
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