Tous les pêcheurs d'eau douce connaissent, au moins de vue,
certains mollusques de nos rivières et de nos lacs et, tout au moins, la grande
moule, d'une part, et l'escargot d'eau, d'autre part. Il y en a d'autres, et
nous allons les passer en revue, car ils constituent une des composantes les
plus intéressantes de la « sitèse ichtyenne », mot savant et
compliqué, qui veut tout simplement dire la nourriture que peut trouver le
poisson dans son habitat.
Nous classerons ces mollusques en univalves ou gastéropodes
s'ils n'ont qu'une seule coquille, comme l'escargot d'eau, et en bivalves ou
lamellibranches s'ils ont deux coquilles, comme la moule.
Parmi les gastéropodes, l'ancyle (Ancylus fluviatilis)
est la plus petite ; sa coquille a un demi centimètre à trois quarts de
centimètre et est semblable à un petit bonnet phrygien collé, à la manière des
patelles sur les roches marines, sur les cailloux des cours d'eau à truites.
C'est un appât recherché des truitelles, car on les trouve souvent en abondance
et toujours dans les eaux pures. Elles constituent un test caractéristique des
eaux à truite non polluées, autant que peut l'être le cresson dans le règne
végétal.
Nous trouvons ensuite les divers escargots d'eau qui
rampent, en effet, sur le fond et sur les herbes aquatiques et de forme qui les
fait plutôt ressembler au bigorneau.
La bithynie (Bithynia tentaculata) est
celle qui peut vivre dans les eaux relativement froides de la partie inférieure
de la zone à truites ; c'est également un bon test biologique de pollution.
Comme tous les mollusques, d'ailleurs, c'est un végétarien ; il se nourrit
de la couverture de diatomées qui tapissent le fond et aussi de mousses,
d'algues vertes et surtout du cresson et des callitriches. La bithynie est
également très recherchée par la truite de moyenne et grosse taille.
Les limnées et les paludines sont de taille
beaucoup plus grosse, et leurs coquilles atteignent 3 à 4 centimètres. Elles
vivent dans les rivières lentes à courant modéré, dans les bassins et dans les
étangs ; on en trouve parfois des quantités dans les touffes d'herbes
aquatiques. Ces mollusques sont très recherchés par les poissons d'eau douce.
Le planorbe a le même habitat et présente une
coquille enroulée sur le même plan. Tous ces mollusques sont souvent l'hôte de
vers parasites ; c'est ainsi que le Distome hépatique (ce ver plat qui est
l'auteur de la douve ou cachexie aqueuse du mouton et du bœuf, et qui pullule
sur leurs poumons) a un embryon qui colonise les limnées.
Le mollusque d'eau douce le plus connu est un lamellibranche ;
c'est la grande moule d'eau douce ou anodonte. Elle atteint
jusqu'à 25 centimètres de longueur, et la coquille ouverte laisse voir, à
l'intérieur, un mollusques gros à chair forte et résistante. Les coquilles sont
blanchâtres ou jaune verdâtre, avec des stries d'accroissement très nettes.
L'anodonte vit dans les fonds sableux ou sablo-vaseux, où elle s'enfonce en
laissant sortir de la coquille, vers le bas, sa partie charnue ou pied ;
le tiers ou le quart seulement de la partie supérieure sort du sable, les deux
coquilles étant légèrement entr'ouvertes pour laisser passer les siphons qui
aspirent d'une façon continue l'eau nécessaire à sa respiration, ainsi que les
débris animaux et végétaux dont elle se nourrit.
On les trouve aussi bien dans les eaux à courant vif que
dans les étangs, avec une nette préférence pour les eaux acides ou granitiques,
bien que leurs coquilles soient calcaires. L'anodonte est de trop grosse taille
pour être recherchée par les poissons ; aussi son importance piscicole
est-elle assez faible. Sa présence ne donne aucun renseignement au point de vue
pollutions, car elle les supporte bien.
L'anodonte est comestible pour l'homme, et on peut la manger
cuite, comme on le fait des moules marines ; mais la chair est très dure
et de médiocre saveur. En revanche, les rats d'eau l'apprécient beaucoup ;
ils savent la rechercher, la tirer sur la rive et casser la coquille pour la
dévorer. On voit souvent sur les berges de petits tas de ces coquilles
d'anodontes brisées sur les lieux de festin des rats d'eau.
Cette grosse moule d'aspect si massif et qui semble, à
première vue, si peu intéressante, offre de très curieuses particularités. Tout
d'abord, celle de sa reproduction, qui se fait en plein été, du mois de juin au
mois d'août. Les sexes sont séparés ; la femelle aspire les spermatozoïdes
émis par le mâle avec l'eau qu'elle siphonne pour les besoins de sa nourriture
et de sa respiration ; ils fécondent entre les branchies les œufs que la
femelle y a pondus ; au bout de quatre semaines d'incubation, les œufs
éclosent et donnent des larves microscopiques, qui quittent leur mère à partir
de la fin juillet et, à l'aide de crochets dont sont munie ces valves
minuscules, vont s'implanter sur les branchies d'un poisson et, pendant une
période qui va de quinze jours à deux mois, vivent aux dépens de leur hôte
jusqu'à acquérir leur forme définitive ; alors ils le quittent et tombent
au fond de l'eau. À ce moment, la petite larve atteint 2 à 3 millimètres et est
parfaitement visible sur les branchies d'un poisson ou même sur les nageoires,
sous forme de nodosités noirâtres qui avaient fait croire autrefois à une
maladie appelée glochidiase ; mais on ne peut pas considérer cela comme
une maladie, puisque l'hôte n'en souffre nullement.
Il faut aussi signaler l'aide curieuse apportée par
l'anodonte à la reproduction de la bouvière, ce petit poisson du centre de la
France, dont la femelle, au moment du frai, pousse un long tube anal, qu'elle
introduit dans la coquille de l'anodonte pour lui injecter ses œufs. C'est un
phénomène curieux que de voir un coquillage confier ses petits à un poisson,
lequel lui confie ensuite la garde de ses œufs.
Je signale, en terminant, que l'anodonte sécrète parfois des
perles qui, pour n'avoir pas l'orient des perles marines, n'en ont pas moins
une réelle valeur. En Allemagne, la variété d'anodonte qui est la mulette
perlière a été même exploitée, notamment dans le pays de Bade où, dans certains
ruisseaux, on fait la récolte systématique des perles. Dans ces cours d'eau en
terrain granitique, se trouve une importante végétation de callitriches, avec
présence de vérons, de chabots et de truites ; les anodontes se trouvent
souvent par groupes de plusieurs dizaines de mollusques. C'est précisément
l'aménagement de ces ruisseaux qui a permis de constater que ces moules d'eau
douce vivaient soixante, quatre-vingts et même cent ans ; l'accroissement
de ces moules se fait très lentement (guère plus de 1 à 2 millimètres par an),
accroissement que l'on a pu constater grâce aux stries ; une simple moule
d'une vingtaine de centimètres a donc une centaine d'années.
L'épithélium marginal qui enveloppe le corps même de la
moule, et qui sécrète les deux coquilles, sécrète, en certains cas
particuliers, des perles. Ces perles sont dues, le plus souvent, à un corps
étranger, tel qu'un grain de sable ou un parasite. Elles présentent en surface
une couche irisée, avec un éclat argenté ou rosé (ce sont les plus rares), ou
plus souvent gris ou brun. Il faut environ de 400 à 1.000 moules d'eau douce
avant de trouver une perle d'un certain prix.
Ces ruisseaux du pays de Bade (région de l'Odenwald) sont
étroitement surveillés ; la pêche n'y est permise que tous les six ans ;
des spécialistes parcourent le ruisseau, enlèvent tous les mollusques, qui sont
recueillis dans des paniers et confiés à d'autres spécialistes qui, sur les
bords mêmes du ruisseau, font entrebâiller délicatement les deux coquilles à
l'aide d'une pince spéciale, et, éventuellement, enlèvent les perles qu'ils trouvent.
Après avoir été examinées, les anodontes sont immédiatement remises à l'eau, et
elles regagnent leur station préférée, d'où on ne les dérangera que six ans plus
tard. Cette exploitation est très ancienne au pays de Bade, où elle existe
depuis plus de trois cents ans. Nous n'avons pas connaissance que l'anodonte
soit exploitée en France en vue de la recherche des perles. Toutefois, nous
avons eu connaissance de certains cas précis, dont un notamment dans le Luy,
rivière des Landes, où une perle de prix a été trouvée dans une de ces moules.
Mais je ne voudrais pas que cet article entraîne des espoirs exagérés, qui
risquent de se traduire par la destruction trop massive de ces mollusques dans
nos rivières, mollusques qui, ne l'oublions pas, mettent près de cent ans à
acquérir leur taille.
DELAPRADE.
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