Je ne me doutais certes pas, il y a vingt ou vingt-cinq ans,
quand je pêchais au cordeau sur les plages sableuses, que je faisais du
surf-casting sans le savoir. Actuellement, on ne pêche plus au cordeau ou au
libouret ; il est beaucoup plus distingué de dire qu'on pêche au
surf-casting quand on lance d'une plage, à l'aide d'une canne et d'un moulinet,
une ligne fortement plombée en tête et munie de 2 ou 3 hameçons qui pêchent
dans les brisants ; surf-casting signifie, en effet, lancer dans les brisants.
Le surf-casting connaît actuellement une grande vogue sur
toutes nos côtes plates et sur bien des jetées.
Il était rare, quelques années avant la guerre de 1939, de
trouver, notamment sur les côtes landaises et girondines, quelques pêcheurs en
mer munis de cannes à lancer, alors qu'aujourd'hui ils y sont nombreux. La
pêche se faisait alors au cordeau, qui correspond exactement au libouret des
plages de la Manche ; actuellement, cette pêche au cordeau n'est plus
pratiquée sur les plages que par quelques attardés ; j'excepte toutefois
les pêcheurs aux poissons plats, tels que le turbot, qui, à l'automne,
connaissent de belles réussites.
Le cordeau ou libouret se compose d'une ligne en lin câblé
ou en soie, longue de 60 à 100 mètres, continuée par un bas de ligne un peu
plus fort, de 8 à 10 mètres, terminé par un plomb en forme d'ancre ou de poire
de 200 à 300 grammes. Ce plomb porte 4 fils de cuivre malléables, ce qui lui
permet de s'accrocher dans le sable, de ne pas être emporté par les brisants et
de pouvoir être retiré facilement par le pêcheur grâce à la souplesse du fil de
cuivre.
La ligne s'est peu à peu améliorée ; on a employé pour
le bas de ligne du gut ou du nylon, et, actuellement, la ligne est souvent
entièrement en nylon de 50 ou 60 centièmes, ce qui évite au pêcheur, après une
journée de pêche, d'avoir à tremper son cordeau dans l'eau douce et de l’étendre
pour le faire sécher, ce qui est une corvée indispensable avec les lignes en
lin, sous peine de les voir pourrir.
Sur le bas de ligne, on place 2 ou 3 hameçons à une distance
de 80 centimètres, le premier étant placé à 50 centimètres environ du plomb.
L'hameçon doit être solide, de forme légèrement carrée et est monté sur nylon
50 centièmes ; un avançon d'une vingtaine de centimètres est accroché au
bout. Sur les plages rocheuses et sur les jetées, le plomb en forme d'ancre,
qui risquerait trop de s'accrocher et de se perdre, est remplacé par un plomb
plat sans fil.
Le cordeau ou libouret était autrefois lancé à la main :
le pêcheur faisait tournoyer d'une main au-dessus de sa tête la ligne portant
hameçons esches et plomb, et lâchait son fil tel une fronde ; le fil,
préalablement déroulé sur le sable, suivait le plomb dans la mer sur une
longueur atteignant parfois 30 mètres. Le pêcheur a évidemment avantage à se
mettre en maillot de bain et d'avancer le plus possible, en profitant du
retrait de la vague pour gagner le maximum de distance.
Cette méthode présente des dangers pour les voisins du
lanceur et pour le lanceur lui-même ; on a vu parfois des hameçons lancés
d'une main vigoureuse, labourer l'oreille ou les doigts du pêcheur. Il est
évident que le montage du bas de ligne doit être fait, en ce cas, suivant la
taille du lanceur. Nous ne saurions trop recommander d'avoir des avançons
courts, surtout sur le premier hameçon, le plus rapproché de la main du
pêcheur.
Un progrès très net a été accompli par l'usage de la perche.
C'est un bambou de 2m,50 à 3 mètres, terminé par une petite fourche en bois ;
le pêcheur passe le bas de ligne dans la fourche, balance deux ou trois fois le
plomb au bout du bas de ligne et lance le tout à la mer ; on atteint ainsi 40
ou 50 mètres, mais il est bon de prendre un plomb assez lourd, de 300 à 400
grammes, et de dérouler rationnellement son fil sur le sable. Le lancer exécuté,
le fil de lin est tendu et attaché perpendiculairement à la rive à un piquet
souple, planté sur la grève ; ce piquet permet, par les oscillations de sa
pointe, de déceler les touches du poisson. La touche peut aussi se sentir à la
main ; cela permet au pêcheur de s'allonger mollement sur la grève et de
goûter une douce somnolence sous le soleil, le fil enroulé sur l'index ;
la moindre touche aura vite fait de le réveiller, surtout si elle est due à un
camarade malicieux trop heureux, à l'aide d'une secousse sur la ligne, de voir
sa victime sursauter comme mue par une décharge électrique.
Cette pêche se pratique également la nuit ; la pêche
nocturne est d'ailleurs plus fructueuse, notamment pour des poissons comme le
bar ou le maigre. J'ajoute que, si la pêche de nuit est interdite en rivière,
elle ne l'est pas en mer.
Chaque pêcheur ayant à surveiller 2 ou 3 cordeaux, il est
bon de placer, à chaque piquet, un petit grelot dont le tintement avertira le
pêcheur à chaque touche, qu'il arrivera vite à distinguer des oscillations dues
aux vagues.
Les appâts employés sont surtout le gros ver marin ou
arénicole, divers coquillages comme le lagagnon et des morceaux de seiche ;
ces appâts sont surtout appréciés par le maigre, la verrue, le bar et les
petits squales. Sur les côtes bretonnes de la Manche, on prendra des poissons
plats, et notamment des carrelets, des lieux, des tacauds et même, l'hiver, des
morues. En automne, et surtout sur les côtes landaises, on eschera avec des
morceaux d'anguilles, pour capturer des turbots.
J'ai moi-même pratiqué cette pêche le long des côtes
landaises ; les pêcheurs avant 1939 y étaient fort rares, et les pêches de
nuit de 10, 20, 30 livres de poisson y étaient assez fréquentes. Chaque année,
des poissons de belle taille y étaient enregistrés : verrues allant de 10
à 15 livres, maigres allant jusqu'à 30 à 40 livres ... Il est vrai que,
jusqu'à 1939, les pêcheurs au cordeau étaient rares, le lancer était pénible,
la récolte des appâts assez difficile et le surf-casting, dans sa forme
actuelle, n'était pas encore né. D'autre part, les chalutiers n'étaient pas
aussi nombreux qu'aujourd'hui. Ces chalutiers se rapprochent tout près des
côtes, capturent et tuent de nombreux petits poissons qu'ils rejettent
inutilement à la mer ; ces ravages se traduisent quelques années après,
par une diminution massive de poissons.
Il est de fait qu'avec l'apparition du surf-casting et la
très forte augmentation du nombre des pêcheurs, la pêche au cordeau ou au
libouret ne donne plus guère de résultats convenables, sauf, je le répète, pour
les poissons plats.
Nous parlerons, la prochaine fois, du surf-casting
proprement dit qui, malgré l'importance de ces pratiquants, permet encore de
belles journées de sport sur nos plages de sable.
Pierre LARTIGUE.
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