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La forêt française

La culture des grumes d'œuvre

Dans notre article de juin 1950, nous avons exposé la question de l'utilisation des grumes en charpente, menuiserie et ébénisterie, et nous avons essayé de faire le point de la situation actuelle du matériau bois dans ces diverses activités. Il nous reste, pour être complet, à parler des bois de qualité exceptionnelle et, en particulier, des bois à placages. Les placages sont des feuilles minces de bois, ayant moins de 5 millimètres d'épaisseur et obtenues de nos jours soit par tranchage, soit par déroulage. Le tranchage consiste à diviser, au moyen d'une sorte de couteau, une grume préalablement équarrie, ou un quartier de grume, par des plans parallèles entre eux, soit tangentiels (débit sur dosse), soit radiaux(débit sur maille). Le déroulage consiste à tirer d'une grume tournant autour de son axe une feuille continue de bois (ce débit étant obtenu au moyen d'un couteau fixe dont le tranchant reste tangent à la grume). Les placages ainsi obtenus servent à faire des contreplaqués, des emballages, etc. ...

Pour qu'une grume puisse être tranchée, ou déroulée, il faut :

    1° Qu'elle soit suffisamment grosse (160 cm. de circonférence au milieu dans le cas du chêne et du hêtre ; 150 cm. pour le pin ; 120 cm. pour le peuplier) ;

    2° Qu'elle soit d'une essence et d'une provenance de choix : on tranche de préférence des chênes tendres à accroissements minces, plus petits que 2 millimètres, à texture faible, inférieure à un demi, ou des hêtres à bois blanc et doux, provenant de sols calcaires, ou des pins sylvestres de race noble, provenant de certaines stations de nos montagnes, ou des peupliers de droit fil dont le bois n'est ni pelucheux ni chanvreux ; les races de peuplier font, à cet égard, l'objet d'études ;

    3° Il faut enfin que la grume à placage soit nette de tout défaut ou altération apparents ou cachés, et ceux-ci sont nombreux : fibre torse, gélivure ouverte, roulures, cœur étoilé, cœur rouge, nœuds, pourritures diverses, lunure, etc. ...

Une telle grume, apte au tranchage ou au déroulage, possède alors une valeur parfois considérablement supérieure aux bois de sciage (même aux bois d'ébénisterie ou de carrosserie). Des chênes à tranchage de grande classe ont dépassé le prix de 50.000 francs le mètre cube. Le bois d'ébénisterie, lui-même, vaut sensiblement plus cher que le bois de menuiserie, et surtout que le bois de charpente.

Il importe donc de savoir produire les meilleures qualités de bois, car l'arbre forestier se cultive comme l'arbre fruitier ou la vigne. On peut toujours, si pauvres que soient les sols et si rigoureux que soient les climats, obtenir, avec une essence bien choisie, une qualité acceptable. Mais, bien entendu, on ne peut pas songer obtenir partout la qualité placage ; celle-ci, comme les grands crus de vins, n'est obtenue que dans certaines conditions de climat et de sol.

Nous nous proposons d'étudier, dans ce numéro et dans des articles ultérieurs, les méthodes à employer pour obtenir des bois de qualité avec les principales essences forestières françaises.

À tout seigneur tout honneur, nous commencerons par le CHÊNE, notre arbre national.

Nous rappelons qu'il existe, en France, plusieurs espèces de chênes, en particulier le chêne rouvre (Quercus sessiliflora), le plus répandu et le meilleur de nos chênes, celui qui est capable de produire les bois de la plus haute qualité, et le chêne pédoncule (Quercus pedunculata), à réserver aux sols compacts et plutôt humides.

Ces deux chênes se distinguent parfois assez difficilement, mais le premier a des glands à cupules non pédonculées et une feuille régulièrement ovale et pétiolée, tandis que le second a des glands dont les cupules sont portées par un pédoncule plus ou moins long, tandis que la feuille, élargie vers le tiers supérieur, n'a qu'un très court pétiole. Le chêne rouvre a généralement un bois de couleur plus homogène et de texture plus tendre, car il croît moins vite. Ses gourmands et ses nœuds sont généralement moins nombreux et moins noirs que ceux du pédonculé.

À côté de ces deux chênes, existent d'autres espèces de chênes moins répandues et dont la répartition obéit à des exigences bien déterminées : le chêne pubescent, méridional, capable de remonter dans des stations xérothermiques ; le chêne tauzin, maigre espèce du Sud-Ouest ; le chêne vert, chêne méditerranéen à feuilles persistantes ; le chêne liège, etc. Nous ne nous en occuperons pas ici.

Le chêne est traité soit en taillis simple, soit en taillis sous futaie, soit en futaie.

En taillis, il donne du bois de feu, de l'écorce à tan, un peu de bois de mine et quelques rares piquets de parc.

En taillis sous futaie, outre les produits ci-dessus énumérés, il donne des bois d'oeuvre et d'industrie, dont le classement varie suivant la grosseur des arbres abattus. Les petits chênes de 15 à 25 centimètres de diamètre donnent des bois de mine, des piquets de parc, de petites grumes de charronnage (même si elles sont un peu courbes), et, en cas de besoin, on peut en tirer quelques lames de parquets. À partir de 30 de diamètre, on peut utiliser les grumes de chêne pour faire de petits merrains, et, outre les frises à parquets, on peut y débiter des chevrons pour huisseries, ou carcasses de meuble, ou, si la grume est noueuse ou flexueuse, des traverses et traversines.

Les grumes de 40, 45 centimètres et plus de diamètre commencent à présenter un certain intérêt commercial. Avec les billes de pied, droites, cylindriques et nettes de défaut, on fait des plots menuiserie ou ébénisterie (ébénisterie si les accroissements annuels sont réguliers, fins, inférieurs ou égaux à 3 millimètres, et si la texture est inférieure à 2/3). Au-dessus de ces billes de pied, on trouvera quelque bois de secondes billes, avec quelques défauts, dont on pourra tirer, moyennant quelques pertes, des merrains, des avivés ébénisterie ou menuiserie, etc. ... Les surbilles, présentant des nœuds inférieurs à 40 ou 50 millimètres de diamètre, donneront des avivés pour charpente et fonds de wagons, etc. ... Les surbilles noueuses donneront des traverses. Bien entendu, plus les grumes seront grosses, plus on en tirera de plots et d'ébénisterie, donc d'argent.

En futaie, le chêne donnera des produits très variés, depuis les éclaircies des jeunes peuplements jusqu'aux coupes de régénération enlevant des arbres de deux cent cinquante ans et plus. Là encore, c'est la grosseur qui conditionnera la valeur argent. Une coupe ne vaut que si on y rencontre des billes de pied, saines, bien élaguées et grosses.

Comment aboutir à ce résultat ? Il faut opérer comme le jardinier qui dépresse ses carottes ou qui plante ses choux avec un large espacement.

On voit, dans beaucoup de forêts privées (et même domaniales), traitées en taillis sous futaie, des propriétaires qui réservent le plus grand nombre possible d'arbres, même si ce sont des chênes difformes, sans vigueur, dont les cimes sont déjetées par celle d'un voisin plus puissant. Puis on farcit ce mélange de baliveaux de toutes natures, principalement de charmes ou de bois blancs. Celui qui a ainsi augmenté considérablement le nombre de tiges à l'hectare de sa forêt, et un peu le volume sur pied, estime qu'ayant accru le capital générateur de bois il a accru la production de sa forêt. C'est doublement faux : d'abord, l'accroissement en volume par hectare et par an n'est pas augmenté (cet accroissement dépend surtout de la fertilité du sol et non du nombre de tiges). Ensuite, et c'est là le point important, le revenu argent est considérablement diminué. Une forêt ainsi constituée fabrique des arbres maigres et difformes, donc de peu de valeur. Les gros arbres, eux-mêmes, se trouvent gênés par leurs voisins. Ils perdent des basses branches de grosse dimension, ce qui ouvre des tares dans le tronc et amène toujours des pourritures (pourriture jaune et pourriture alvéolaire).

Mêmes remarques dans les futaies de chêne. Que de peuplements restent outrageusement denses et sans sous-étage, que d'arbres grêles, ayant cherché la lumière en sinuant vers le ciel et dont la cime n'est qu'un plumet étriqué, incapable de les nourrir !

Il faut lutter contre cet état de chose et cultiver les arbres forestiers comme n'importe quelle autre culture agricole, dans le but d'en faire les grumes saines, bien élaguées et grosses, auxquelles nous avons fait allusion ci-dessus.

Nous donnerons, dans un prochain article, les méthodes à employer, tant en taillis sous futaie qu'en futaie.

Le FORESTIER.

Le Chasseur Français N°643 Septembre 1950 Page 552