Généralités.
— Originaire d'Amérique du Nord, entre le 30° et 70° de
latitude Nord, on le trouve aussi bien dans les régions chaudes du Mexique que
dans les régions glacées du Canada. Il prend les noms d'Ondatra et de loutre
d'Hudson.
En 1905, il fut importé en Europe centrale, en
Tchécoslovaquie, comme gibier ! Puis la guerre de 1914-1918 lui permit
d'envahir l'Autriche et la Bavière. Il fut ensuite importé en France, où l'on
escomptait beaucoup de sa fourrure en négligeant les dégâts qu'il allait causer.
Il est actuellement dans toute l'Europe coté comme nuisible à l'état sauvage.
Il est interdit de l'importer en Angleterre depuis le 1er avril
1933, même au titre d'élevage. En France il a causé, et cause encore des dégâts
considérables dans la région de Belfort et le long de l'Ill et du canal du
Rhône au Rhin, et dans l'Orne.
L'animal.
— C'est un rongeur aquatique qui ne s'écarte de l'eau
qu'au moment des migrations. Il ne peut être confondu ni avec le ragondin de 90
centimètres de long et 6 à 7 kilogrammes de poids, ni avec le campagnol d'eau
(rat d'eau), dont il est au moins le double de grosseur, ni avec le surmulot
(rat d'égout) vivant souvent au bord de l'eau, dont il n'a ni le museau pointu,
ni les oreilles larges et décollées. Ce qui le différencie de ces trois espèces
vivant dans le même habitat est en outre la forme de sa queue aplatie sur les
côtés. Le rat musqué mesure de 50 à 65 centimètres de longueur totale, dont 20
à 28 centimètres de longueur de queue. Un adulte pèse de 1 kilogramme à 1kg,500.
Le rat musqué possède une glande anale musquée plus développée chez le mâle. La
queue est plate sur les côtés, renflée au milieu, écailleuse à petits poils
raides. Les oreilles sont rondes, courtes, perdues dans la fourrure ; le
museau orné de grosses moustaches raides. Le cou est court. Les pattes arrière
sont palmées et armées de longues griffes. On admet quatorze nuances
différentes, selon la région d'origine. Ceux de la région de New-York sont les
plus grands.
La fourrure offre une bourre ou duvet dense, soyeux, cendré,
et une jarre brune plus ou moins foncée (la noire est la plus chère ; on
l'éjarre souvent pour imiter la loutre).
Reproduction.
— C'est en mars et septembre qu'elle se manifeste et
donne lieu à déplacements migrateurs.
En liberté, le rat musqué est polygame. La femelle donne 3 à
4 portées par an (avril, juin, septembre) de 2 à 8 petits (5 en moyenne), après
vingt-sept jours de gestation. La femelle reproduit à un an, donnant 3 à 4
petits en première portée, qui naissent aveugles onze jours et ne quittent le
nid qu'à trois semaines, n'étant capables de plonger qu'à deux mois. Ils
restent avec leurs parents jusqu'au printemps suivant.
Habitation.
— Inférieur en taille au ragondin, il est infiniment
plus nuisible que lui par les galeries qu'il fait dans les berges, talus,
chaussées, digues des étangs ou des canaux.
Dans ses pays d'origine, il a en général deux habitations :
une hutte et des terriers.
Hutte.
— Elle est constituée par un amas de végétaux
aquatiques : joncs, roseaux et autres plantes et racines entassées et
cimentées de boue ou de vase. Cette édification se fait en commun entre
adultes. C'est le refuge d'hiver quand les eaux gelées interdisent l'entrée des
terriers. Cette hutte est rarement constatée en France, surtout à l'état
sauvage. Dans la zone sud de son habitat d'origine (Louisiane), il n'en
construit pas non plus. La hutte affecte la forme d'une meule de foin
atteignant 1 mètre à 1m,50 de haut et 2 mètres de diamètre
extérieur, avec au centre une chambre de 0m,60 de diamètre environ
reliée à l'extérieur par une galerie (au moins) débouchant sous l'eau. La hutte
est montée en pleine eau sur un tas de joncs dès le début d'automne et est
occupée jusqu'au printemps.
Terriers.
— Le gîte du rat musqué présente une coupe identique à
la catiche de la loutre, avec une galerie d'accès ayant son entrée sous l'eau,
puis remontant pour aboutir à une chambre-dortoir, nid ou gîte, aéré par un
trou soigneusement camouflé par l'animal. Les galeries ont un diamètre de 10 à 15
centimètres de diamètre selon la taille de l'animal. Leur longueur est des plus
variable, car, contrairement à la loutre, l'animal creuse des galeries dans le
sol parallèles à la rive de 15 à 20 mètres de long, avec des rameaux pointant
dans les terres. Si la rive est élevée, des galeries étagées, reliées entre
elles, offrent des trous de sortie superposés. Plusieurs terriers de secours
sont creusés par l'animal, mais un seul est habité. En étang, l'entrée est à
peu de profondeur et difficile à repérer, cachée par une touffe de joncs. Dans
les régions où le rat musqué se bâtit des huttes d'hiver, il revient au terrier
au printemps, sauf si la nature des rives s'oppose à la création de galeries
et, dans ce cas, les huttes sont entretenues tout l'été. Quand les berges sont
trop dures (rochers, pierres) ou trop molles (vase, sable) pour permettre à
l'animal de creuser, le terrier débouche alors au-dessus ou au niveau de l'eau,
de même en cas d'abaissement du plan d'eau.
La famille, composée de six à dix individus, habite un
terrier.
Habitudes.
— Comme le rat d'eau et le ragondin, il est nocturne et
crépusculaire, mais on le voit cependant de jour. Il sort un peu avant la nuit,
quitte les bords de l'eau au besoin pour assurer sa subsistance, puis retourne
au terrier pour faire une nouvelle sortie à l'aube. En hiver, son activité est
ralentie, mais il circule fort bien sous la glace.
Il ne se trouve qu'au bord de l'eau, préférant tout
spécialement les bords garnis de joncs, roseaux, faux iris et autres plantes
aquatiques lui offrant un couvert sérieux et une nourriture assurée. Les eaux
calmes (étangs, lacs, rivières calmes) sont ses lieux de prédilection. En
Amérique du Nord, il vit en bons termes avec le castor. Les échantillons
échappés d'élevage en France ont cependant été remarqués dans de petites
rivières rapides sans joncs. Très curieux de nature, il visite tous les trous
de rive et est attiré par les surfaces brillantes (casseau, papier, chiffon) ;
cette habitude est exploitée par les piégeurs américains. Il nage le corps
allongé, dépassant de peu le miroir de l'eau, à la manière du rat d'eau et
s'arrêtant sur place en cas d'alerte pour plonger et filer sous l'eau ou la
glace pendant trois à quatre minutes. On le dit doué d'un bon odorat et d'une
bonne vue, mais il ne faut pas exagérer ces qualités ; comme tous les
rongeurs, il identifie mal ce qui ne bouge pas.
Comme le rat d'eau, il aime à monter sur tout ce qui flotte
(arbre, tas de joncs, planches). Il fréquente les eaux selon le courant :
au milieu si le courant est faible, rasant au contraire les rives calmes si le
courant est fort. Il aborde toujours dans une petite anse abritée en eaux
calmes. Il tient très bien son canton et ses passages, visitant les fossés qui
débouchent dans la rivière.
En mars et novembre ont lieu de véritables migrations
pouvant atteindre 10 et 20 kilomètres à la recherche d'un nouveau canton. La
création de nouvelles familles chaque année impose ces déplacements avant et
après les périodes principales de reproduction.
Nourriture.
— En rongeur aquatique, il s'attaque en premier aux
plantes poussant dans son canton : massettes, iris, joncs, potamots,
nénuphars, puis n'hésite pas à visiter les céréales et légumes du voisinage. Il
s'attaque au poisson (frai et alevins jusqu'à 100 grammes). On l'accuse même de
s'attaquer aux oiseaux d'eau et à leurs couvées. Il coupe les plantes
aquatiques au ras du collet dans le fond de l'eau ; celles-ci présentent
une coupe blanche si la coupure est fraîche. Si la nourriture se raréfie, les grains,
les coquillages (moules de rivière et d'étang) fournissent un appoint avec
quelques petits crustacés. Mais les plus gros dégâts causés sont surtout dus
aux galeries multiples creusées dans les ouvrages (digues, berges, bondes,
empellements, talus) ou dans les prés naturels. Viennent ensuite ceux causés
aux pisciculteurs par la destruction des frayères et les dégâts aux alevins.
C'est à juste titre que ce rongeur est coté comme nuisible. La région de
Belfort en sait quelque chose !
Traces.
— Elles comprennent :
1° Les huttes et les terriers signalés. Les premières sont
faciles à repérer, les seconds se décelant sur terre par une végétation jaunie
au-dessus des galeries et terriers et dans l'eau par une traînée plus clair que
le fond, propre et en forme de rigole entretenue par le passage des animaux qui
courent dessus avant de monter en surface. Cette rigole est ou unique ou
bifurquée et creusée dans les déblais de terre provenant de la confection de la
galerie. Le passage des rats musqués empêche le limon de recouvrir cette rigole
et donne cette teinte claire qu'un œil averti identifie facilement. Dans les
bordures de joncs, il en est autrement, et souvent la galerie débouche sous une
touffe d'herbes aquatiques bien cachées à la vue de l'observateur ; dans
ce cas, le terrier est parfois découvert par la présence du trou d'aération mal
camouflé ou par l'effondrement d'une galerie ;
2° Les places de repas aux herbes rongées et semées de
débris de végétaux ;
3° Les montées et les descentes visibles par le manque
d'herbes et par les traces de griffes et le sillage de la queue en terre molle
ou en vase ;
4° Les joncs fauchés par plages entières avec coulées
visibles dans les touffes restantes, ces coulées étant bien entretenues :
tout brin s'opposant au passage étant coupé. Les lentilles d'eau, où il y en a,
sont écartées ; des débris de végétaux flottent à proximité des coulées ;
5° Les fientes en forme de pilules brun verdâtre allongées,
posées aux lieux d'abordage sur une souche, une pierre ou une branche, plus
grosses que celles des rats d'eau à égalité d'âge ;
6° De petits poissons entamés par le ventre, puis les filets
et le dos ou squelette nettoyé ;
7° L'empreinte des pattes ressemblant à celle d'oiseau d'eau
avec une grosse différence de taille entre les pattes avant, beaucoup moins
importantes que les pattes arrière, qui sont larges et palmées, mais toutes
munies de griffes, dont quatre seulement de visibles ;
8° Le sillage laissé par la queue dans le sable ou la vase
et qui, lorsque les traces se croisent, ressemble avec les traces de griffes à
des opérations de calcul faites sur le sol ;
9° La proximité d'un élevage de rats musqués est un indice
donnant plus de valeur aux constatations ci-dessus. Quant au nombre d'individus
vivant sur une zone donnée, il est impossible à déterminer dans les rivières ou
étangs bordés d'une large ceinture de plantes aquatiques et de broussailles.
A. CHAIGNEAU.
|