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De quelques réformes

Ne comparons que le comparable. Le monde des chevaux l'a compris. On ne voit pas le poulain de deux ans figurant avec les adultes dans le même concours de modèle. De ce point de vue, la cynophilie retarde. En classe ouverte, le sujet d'un an est admis ! Or le chien d'un an, dans les races atteignant une taille supérieure à 0m,50, même lorsqu'il paraît soudé, n'a pas atteint tout son développement. Pour cela, il devra attendre une autre année, encore que le chien appartenant aux races de très grande taille : 0m,65 et plus, sera à cet âge bien juste fini.

Peut-être en est-il autrement des races naines ; mais elles n'intéressent pas le sportsman soucieux des seules races d'utilité : bergères, de garde, ou de chasse, de loin les plus nombreuses et les plus dignes d'intérêt.

Les chiens de chasse intéressent particulièrement les lecteurs de cette Revue ; je les prendrai en cette causerie comme exemples.

Aucun chasseur sur terre ne considérera un chien de moins d'un an, dont la dentition n'est pas en place, pour autre chose qu'un chiot. Ce n'est pas à huit mois qu'un terrier de 0m,35 à 0m,38 peut faire figure d'adulte. C'est un devenir, c'est tout. À un an, un Beagle de 0m,38 à 0m,40 n'a pas atteint la plénitude de son développement. Il lui faut pour autant avoir au moins dix-huit mois, ou mieux deux ans. Si nous passons aux chiens de 0m,50, en prenant comme type le cob qu'est l'Épagneul breton, nous observons que le meilleur à un an ne présente alors ni le corsage, ni l'étoffe qu'il aura l'année suivante après une saison de travail. Engagé en classe ouverte, il sera sans aucun doute battu par des adultes, auxquels à la saison prochaine il peut être supérieur, et de loin. Il peut aussi ne pas s'améliorer et même déchoir.

Qu'on comprenne donc que le chien d'un an, un simple devenir, n'est pas ici à sa place. Concourant avec des adultes, il doit être considéré et jugé comme tel. Situation illogique dont son classement et sa note se ressentent.

Il y a bien le miracle de la précocité, apparente tout au moins, mais combien trompeur ce miracle qu'on peut constater même chez le chien de 0m,60 et au delà. C'est en présence de tel jeune phénix que le juge peut être mis en mauvaise posture, lorsque l'objet est de la meilleure venue et donne l'impression du fini et soudé. J'illustre cette proposition d'un exemple. J'eus un jour en classe de jeunes seulement (et fort heureusement pas en classe ouverte) un ravissant Braque allemand de la meilleure structure, distingué et typé à souhait. Age : un an. Il faisait l'admiration de deux de mes collègues du septième groupe, qui le voyaient justement très haut même en classe ouverte. En jeune, il eut la note « excellent » qu'il méritait, et je ne cachai pas ma satisfaction au propriétaire.

Or chacun sait qu'un adolescent peut tourner soit à l'Hercule, soit à l'Apollon, soit même mal tourner. Certains standards postulent l'Hercule (pour tous les cobs par exemple), tandis que les termes d'autres chartes prescrivent la grâce unie à la distinction et à la force.

L'an d'après, mon jeune prodige reparaît avec sa bonne structure et sa bonne tête, mais, s'étant développé uniquement en largeur, il avait perdu la silhouette élégante exigée des représentants de la race. Voyez le désastre, si ce chien avait été auparavant hautement primé en classe ouverte.

Nul ne pouvant prédire comment évoluera un animal dont la croissance, ou, pour mieux dire, le développement n'est pas terminé, il serait sage de n'admettre même en classe de jeunes que les chiens de dix-huit mois. Celui d'un an (même avec les mois de nourrice en plus), s'il est éblouissant, et surtout en ce cas, peut n'être qu'un trompe-l'œil. S'il persévère tel le nègre historique, tant mieux ; mais rien ne le peut garantir. C'est pourquoi est-il périlleux de le noter « excellent », alors qu'étant ce qu'il est, c'est-à-dire de superbe apparence, il n'est aucune raison valable de lui refuser cette note, en dépit des conséquences que cela peut comporter pour l'avenir. La sagesse commanderait donc de ne point engager les chiens de moins de deux ans en classe ouverte et une supersagesse de n'admettre en classe de jeunes que ceux de dix-huit mois. Ne soyons pas trop sévères, afin de ne pas décourager les tenants des habitudes prises (secondes natures comme on le sait), et contentons-nous de demander l'absence de chiens trop jeunes des classes d'adultes. On objectera que le sujet susceptible de jouer sur les deux tableaux n'aura désormais devant lui qu'une brève carrière. De deux choses l'une, ou les expositions sont conçues pour y faire sérieux travail en vue de l'avenir, ou ce sont des amusettes à l'usage de personnes désireuses de collectionner des distinctions. Je pense qu'il n'est aucune hésitation. La valeur d'un prix est d'autre importance que le nombre — ce pourquoi on a justement supprimé ces classes parasites inaugurées durant un temps. Le prix intéressant est celui remporté en classe ouverte, bien qu'il n'y ait nullement à dédaigner le vainqueur de la classe de jeunes, pour peu que ce ne soit pas un enfant d'énigmatique avenir.

On se demande aussi pourquoi certains trialers résolument affreux, méritant au plus une mention simple, viennent se présenter sur les bancs. Les propriétaires de trialers gagneraient à ne pas faire voir des animaux sortant par trop du type de leur race et souvent de structure peu harmonieuse par surcroît. L'exposition et le trial sont institutions conçues pour se compléter et s'épauler l'une l'autre. C'est pourquoi le chien sans beauté, ni type, n'est à sa place nulle part. Ici, on sélectionne des reproducteurs, et toute sélection autre qu'intégrale est une plaisanterie. Un bel inutile n'est pas plus recommandable qu'un chien de type quelconque dont on peut légitimement suspecter la pureté, quelle que soit sa qualité sur le terrain. Ni l'un ni l'autre ne peuvent être considérés comme désirables reproducteurs. C'est pourquoi, très justement, le candidat au championnat de beauté doit faire ses preuves de qualité avant de recevoir le titre. Quant au vilain chien, quels que soient ses lauriers en trial, il demeure un reproducteur suspect. Si l'on raisonne autrement, toutes les opérations sélectives doivent être tenues pour duperies. Or l'expérience a confirmé leur valeur, prouvant qu'en dehors de leur concours on tombe sans tarder dans la sélection purement utilitaire du chasseur moyen. On sait à quoi avaient abouti nos races nationales de chiens d'arrêt soumises à ce régime, dont personne ne prendra la défense. La question est donc jugée.

Si les chiens au physique quelconque ne sont pas à leur place aux expositions, les beaux aux origines inconnues ne le sont pas davantage. Au concours de chevaux, des papiers en règle sont exigés. Il n'y a aucune raison valable à présenter pour qu'il n'en soit pas de même aux expositions canines. Le plus bel animal sans papiers peut être de race pure, comme aussi un métis de premier degré. J'ai cité en de précédents articles le cas de pointers et d'une fox-terrier de la plus belle venue, qui étaient métis de provenance assez surprenante. Les métis méritant les meilleurs notes (et il y en a) ne sauraient inspirer aucune confiance comme reproducteurs. Autre est le cas de ces chiens que l'ignorance ou les négligences de l'éleveur, ou encore un cas fortuit a privés de leurs papiers. Que le registre initial leur soit largement ouvert, ce n'est que justice. Quant aux beautés sorties d'on ne sait où, il serait sage de les soumettre à l'épreuve de la reproduction avant de les y admettre. Il y aurait autrement des surprises. C'est pourquoi le rôle du juge est très ingrat d'être appelé à noter une de ces beautés à l'ascendance mystérieuse. Là, encore, on lui demande d'accorder confiance dans la nuit, beaucoup plus encore que lorsqu'il s'agit du problème posé par le puppy en règle, mais trop jeune.

Les quelques réformes proposées en cette causerie m'ont été suggérées par les faits observés au cours de longues années d'activité. Elles ne présentent pas physionomie révolutionnaire, mais bousculent seulement quelques habitudes de penser ou surtout de ne pas penser, s'abandonnant sur le mol oreiller, non du doute, hélas ! mais de l'indifférence.

R.DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°644 Octobre 1950 Page 592