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Chiens de lièvre

Lorsque l'animal de chasse (1) est passé sur des champs ou des routes nauséabondes, il ne laisse derrière lui aucune senteur perceptible. La voie a disparu. Les chiens les plus ajustés et les plus fins de nez sont incapables de relever le défaut sur place. Il faut nécessairement aller chercher la voie ailleurs, dans les endroits plus propices, où elle subsiste.

Dans les équipages montés, il est bien rare qu'un cavalier ne soit pas tout près des chiens. Il arrive même souvent que l'un des cavaliers ayant pris les devants ait vu la ruse du lièvre. En y portant immédiatement, mais doucement, la meute, la difficulté est résolue sans retard.

Si personne n'a été témoin de la ruse, les cavaliers sont tout de suite prêts à faire manoeuvrer les chiens.

Lorsqu'il n'y a que des suiveurs à pied, il en est tout autrement. Ils ne peuvent pas être régulièrement et tout de suite aux chiens au moment du défaut. Il faut donc que les chiens, de leur propre initiative, se débrouillent seuls. Les chiens très sages et très ajustés, chassant exclusivement en chiens d'ordre, n'ont généralement point assez d'initiative.

Si la plupart des races qui constituaient la majorité des meutes de lièvre d'autrefois ont disparu, c'est surtout parce qu'elles ne répondaient plus aux besoins des nouveaux coureurs de lièvre à pied. Dès qu'une race manque de clientèle ; elle se raréfie et est menacée de s'éteindre.

Aucune variété, parmi les races qui subsistaient ne s'imposait réellement au choix des petits veneurs.

Les petits Poitevins, qui, sans conteste, étaient les meilleurs chiens de courre à utiliser, paraissent trop importants pour beaucoup, à une époque où l'on y regarde non seulement à l'encombrement, mais surtout aux dépenses d'entretien.

Au surplus, lorsqu'on chasse en plaine, une meute de grands chiens évoluant au milieu des récoltes est plus mal vue des paysans qu'un lot de chiens de taille et de poids réduits.

Les Harriers ? Exclusivement pour les équipages montés.

Les purs Français ? Pas assez d'initiative livrés à eux-mêmes.

Les Beagles et les Bassets vendéens ? Pour beaucoup, pas assez de taille pour pousser vigoureusement et rapidement l'animal.

Je comprends d'autant mieux leurs inquiétudes et leurs hésitations que j'ai éprouvé la même grande perplexité, après la guerre 1914-1918. Je partais de zéro, avec l'idée bien arrêtée de chasser plus spécialement le lièvre à courre, avec des chiens relativement vites.

Avant 1914, j'avais essayé pas mal de chiens de différentes races, sans être très emballé ni par les unes ni par les autres. Naturellement, pour l'immédiat, je me suis procuré des Briquets, mais, pour l'avenir, allais-je acquérir des chiots de race reconnue ? Allais-je tout simplement élever une chienne qui me restait, fille d'un Harrier-briquet et d'une Beagle-harrier, l'un et l'autre excellents meneurs et chiens de chemin ?

Un de mes amis possédait — curieuse idée ! — comme chien de compagnie, car il ne chassait pas au chien courant, un superbe Harrier porcelaine d'excellente origine, de fin nez et très allant avec du train. J'ai donné ma chienne à ce Harrier-porcelaine — j'étais définitivement lancé dans le petit anglo-français, — que j'ai sélectionné de mon mieux et qui m'a donné entière satisfaction.

Bon nombre de coureurs de lièvre ont, eux aussi, adopté le petit Anglo-français et, devant sa popularité croissante, je me suis évertué de faire reconnaître officiellement cette variété.

D'autres ont pris du Beagle, d'autres du Harrier ou Briquet-griffon, d'autres du Beagle-harrier.

Les épreuves de meutes ne donnent pas une idée totale de l'ensemble des meutes, mais elles sont tout de même le reflet de l'orientation de chasseurs vers telle ou telle variété.

Le premier concours de meutes sur lièvre qui fut organisé en France eut lieu à la Bastide-de-Sérou. En pleine Ariège, il n'y eut que des meutes composées d'Ariégeois ou de chiens de sang bleu.

Plus tard, la première épreuve organisée en Vendée, il y a déjà 25 ans, réunit uniquement des Bassets et des Briquets griffons vendéens.

Mais, rapidement, on constata une orientation toute nouvelle.

Aux épreuves de Resteau d'avant-guerre, il y avait surtout des Beagles. Il y eut aussi des Ariégeois et des Bleus, des Porcelaines et (chose tout à fait invraisemblable) il y eut un lot de Bassets artésiens normands ! C'est comme si, dans une compétition sportive ou une démonstration gymnique, un facétieux ou un inconscient s'avisait d'exhiber une section de rachitiques, de bossus et de bancals.

Il y eut aussi les Anglo-français de Dagorn, qui sont des chiens qui marchent terriblement.

L'an dernier, aux épreuves de Vendée, il n'y avait plus un seul lot de Griffons, uniquement des Beagles et des Beagles-harriers, et les chiens de Dagorn, qui firent un hallali sensationnel dans les rues de La Roche-sur-Yon. Cette année, aux épreuves de Bretagne, sur les lots engagés, il y avait deux meutes de Beagles et Beagles-harriers et six d'Anglo-français plus ou moins typés, plus ou moins homogènes et où figuraient même parfois en majorité des Briquets d'aspect et de taille très divers.

Dagorn, qui ne manque pas une manifestation de ce genre, y était avec ses chiens et ceux de deux de ses camarades de chasse ; aucune autre meute n'a forcé. Le temps n'était d'ailleurs pas favorable. Mais Dagorn a pris son lièvre en cinquante-cinq minutes ! Il est certain que l'on ne devrait pas sacrifier délibérément la question du modèle et du type. L'idéal est le beau et bon chien. Mais chasser vigoureusement et prendre est tout de même un plaisir plus vif et plus passionnant que d'admirer des chiens types et homogènes au chenil.

À l'heure actuelle il n'est pas douteux que l'orientation se fasse vers l'Anglo-français de moyenne et de petite taille.

Si, dès 1930, lorsque j'ai entrepris ma campagne, on avait bien voulu se rendre compte de la réalité et mettre de l'ordre officiel dans toutes ces variétés d'Anglo-français, on serait peut-être parvenu à obtenir deux ou trois types homogènes et fixes.

Maintenant, c'est chose faite, mais depuis 1949 seulement. Et j'ai très peur qu'il ne soit trop tard !

D'abord, il règne une ambiance qui n'est pas favorable aux œuvres de patience et de longue haleine. Dans tous les domaines, la mode est de réussir très vite : honneurs, enrichissement, etc., etc. ... Pourquoi les chasseurs ne subiraient-ils pas cette ambiance ? Ils veulent avoir tout de suite des chiens qui chassent. Pourvu qu'ils chassent, peu importe la pureté et l'homogénéité ! Ensuite, les vieux, qui recommencent, n'ont pas le courage d'entreprendre une sélection nouvelle et longue.

Enfin, parce que les jeunes, qui ont le temps et l'avenir devant eux, ne sont plus dans la situation des débutants d'il y a cent ou cent cinquante ans.

Ces jeunes d'autrefois trouvaient souvent dans leurs familles même, ou chez des amis, une souche toute prête de chiens de lièvre.

Ils avaient, au surplus, des loisirs que n'ont pas les jeunes d'aujourd'hui et pouvaient s'occuper de leur élevage minutieusement. Avec la dureté de la vie, les pauvres fanatiques de maintenant ont des situations et des obligations qui ne leur permettent plus de s'occuper constamment de leur élevage.

Cet élevage se fait au hasard ; chacun sélectionne ... ou ne sélectionne pas, mais élève selon sa fantaisie et dans son type. D'où la grande diversité entre toutes ces familles de petits Anglo et même au sein d'une même famille.

Le grand problème consiste à persuader ces amateurs d'Anglo-français qu'ils peuvent et doivent chercher quelque chose de typé et d'homogène.

À l'heure actuelle, cette homogénéité me paraît difficile, parce que les souches les plus diverses ont été utilisées.

Mais, dans l'avenir, il devrait être possible d'améliorer la situation, car, en réalité, il n'y a vraiment que deux sangs français auxquels on peut faire appel : le Porcelaine par le harrier-porcelaine et l'Ariégeois.

Le gros écueil réside en ce qu'il n'y a ni suite dans les idées, ni directive dans cette production de l'Anglo-français, du fait que la plupart des amateurs d'Anglo-français disséminés dans diverses régions ne se connaissent pas.

Je ne vois à cela qu'un seul remède, je n'ose pas dire efficace, mais possible : c'est, comme je l'ai déjà suggéré dans ces mêmes colonnes du Chasseur Français, qu'ils se groupent en un club.

Ce sera pour eux le moyen de se connaître, de discuter, d'orienter l'élevage vers un ou deux types principaux, ce sera un moyen pour eux d'échanger des saillies et des chiots, pour le plus grand bien de leur élevage.

Paul DAUBIGNÉ.

(1) Voir Le Chasseur Français de septembre 1950.

Le Chasseur Français N°644 Octobre 1950 Page 595