La course à pied Paris-Strasbourg ne passionne pas assez
le grand public. Quoi de plus beau qu'une course à pied sur très longue
distance ? Entre l'homme et l'espace, aucun intermédiaire mécanique.
L'homme a été créé pour marcher et pour courir. Il y a une couleur antique dans
ce genre d'épreuves. La valeur du coureur s'y affirme avec une loyauté
parfaite. Pas d'incidents mécaniques, de crevaisons, de chutes, de combines. Le
vainqueur est séparé du second non par une demi-roue ou un quart de tour de piste,
mais par des heures entières. Même l'épreuve cycliste contre la montre, la
seule loyale et dont les résultats paraissent d'une indiscutable clarté, n'est
pas aussi « pure » que la lutte du bipède humain contre la distance
et la souffrance au cours de ce calvaire qui se nomme Paris-Strasbourg, qui fut
autrefois Paris-Brest et Toulouse-Paris, au temps de Péguet et de Ramogé, ce
dernier, de son état, porteur de journaux et qui dut s'incliner, sur 800
kilomètres, devant un garçon coiffeur !
Car ils sont obscurs, ces héros de la marche, et tirent bien
peu de profit de leurs prodigieux exploits. Tout au plus peuvent-ils
momentanément faire de la bonne publicité à leur fournisseur de souliers ou
d'espadrilles. Ils sont obscurs et le savent. Ils sortent de l'ombre et y
rentrent pour longtemps, contrairement aux Bouin, aux Nurmi et autres
professionnels de l'heure dont le champ de combat est le stade et qui jamais ne
se lanceraient dans ces épreuves de ville à ville, beaux et purs athlètes, trop
précieux pour les exposer à pareil labeur de galérien et qui y risqueraient
leur forme et leur gloire.
Considérons maintenant ces deux sports : le cyclisme et
la course à pied, et comparons-les quant à l'avantage de celui-là sur celui-ci
sous le rapport de la vitesse. Il est généralement admis qu'un cycliste normal
va trois fois et demie plus vite qu'un piéton et trois fois plus loin à égalité
de fatigue. Cela nous donne respectivement 5 et 17,500 de moyenne horaire. Nous
admettons aussi que le piéton qui couvre 25 kilomètres dans sa journée
correspond au cycliste qui en parcourt 87. Déjà l'estimation est fausse. Pour
une journée de route facile et sans vent, j'estime qu'un piéton couvrant 25
kilomètres vaut un cycliste qui en additionne au moins 100. Rapport 1 à 4.
Maintenant, tâchons d'être plus précis et considérons les
coureurs de vitesse pure.
Je crois ne pas trop me tromper en disant qu'au sprint le
coureur à pied atteindra 36 à l'heure et que jamais un coureur cycliste, même
en le temps d'un éclair, n'a atteint (sans entraîneur, bien entendu) le 72.
Donc, en vitesse pure, calculée sur 100 mètres au maximum, le rapport est à
peine de 1 à 2.
Voyons à présent le record de l'heure. En chiffres ronds, il
est de 19 et de 45 (rapport 2,36). De Nurmi à Coppi, donc : 2,36 approximativement.
Enfin, demandons-nous le temps qu'aurait mis un coureur
cycliste de bonne classe et isolé, pour couvrir Paris-Strasbourg. Le
Martiniquais, qui a triomphé cette année, a réalisé 6km,900 de
moyenne. Je ne crois pas que, contre la montre, un excellent coureur
cycliste puisse dépasser 30 kilomètres de moyenne sur une pareille distance.
Nous obtenons le rapport 4,34.
Et voici la conclusion : plus le chemin à parcourir est
long, plus l'avantage est pour le cycliste. Sur 100 mètres, le cycliste ne va que
deux fois plus vite. Sur 500 kilomètres, il va quatre à cinq fois plus vite.
Entre les deux, nous plaçons l’heure, qui donne, régulièrement
chronométrée, le rapport 2,36. Et nous pouvons encore prendre pour exemple le
marathon (40 km.), généralement réalisé en 2h.30, distance que Coppi ou autres
spécialistes couvriraient en 1h.05. N'est-il pas surprenant pour vous, pour
moi, qui utilisons le vélo pour aller beaucoup plus loin qu'à pied et au prix
d'une fatigue bien moindre, que, si nous voulions lutter contre un marcheur de
très grande classe, c'est lui qui nous battrait, comme il voudrait sur 100
mètres, peut-être sur l'heure, et même sur Paris-Strasbourg, car n'oublions pas
que 6km,900 de moyenne, cela fait 165 kilomètres par journée !
Il est un autre sport, intermédiaire entre le cyclisme et la
marche, c'est le patinage à roulettes, parfaitement praticable sur route depuis
la généralisation du goudronnage. Je n'ignore pas que le patin à roulettes de
buis se pratique, en principe, sur plancher ; mais il existe des roulettes
spéciales pour la route, et chaque année l'on peut voir des patineurs à
roulettes se mesurer sur le classique parcours L'Alouette-Arcachon (50 km.),
qu'ils couvrent à une vitesse très élevée, que bien des cyclistes leur
envieraient. On m'a parlé de 30 et 35 à l'heure !
Cependant, l'on peut dire que nous ne rencontrons jamais un
patineur à roulettes au cours de nos promenades. Ce mode de transport n'a
jamais eu la moindre vogue, et je voudrais en savoir la cause.
Même dans certaines villes (il en existe dont toutes les
rues et avenues sont de véritables pistes) serait-il si ridicule de se déplacer
sur patins à roulettes caoutchoutées ? Et combien de kilomètres un bon
patineur pourrait-il couvrir dans sa journée ? J'avoue que je n'en ai aucune
idée.
Je lirai avec beaucoup d'intérêt les renseignements que
voudraient bien me donner mes lecteurs. Patinage sur route ! Il y a là un
sport nouveau à lancer, bien que j'aie vu, dans mon enfance, au temps où le
skating de l'avenue Rapp venait non de remplacer, mais de doubler le Pôle
Nord de la rue de Clichy, où l'on patinait sur glace, une vague tentative
de tourisme sur patins dont les roulettes, à rayons et garnies de caoutchouc,
étaient placées soit toutes deux sous le pied du patineur (en tandem,
naturellement), soit chacune à l'extrémité du pied, qui prenait appui dans une
sorte de berceau.
Je ne crois pas qu'on allait très loin avec ça, mais
rappelez-vous ce qu'on appelait alors de bonnes routes, et comparez avec celles
d'aujourd'hui.
Mercure, dieu de l'éloquence, du commerce et des voleurs,
avait de petites ailes aux pieds. Sans êtres avocats, commerçants ou gangsters,
ne pourrions-nous trouver quelque chose dans ce genre, ne serait-ce que pour
éviter les trop longues attentes de l'autobus ?
Henry DE LA TOMBELLE.
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