Le « Grand Prix de Paris » du demi-siècle a, comme
chaque année, clôturé en apothéose la « Grande Semaine hippique »,
qui reste, contre vents et marées, une des attractions de premier plan de la « saison
parisienne », durant laquelle le cheval, déjà notre plus noble conquête
(M. de Buffon dixit ...), suscite l'intérêt et l'admiration de
foules innombrables.
Quoi qu'en disent certains, dont les appréciations sont
sujettes à caution parce que souvent intéressées, le cheval, que les progrès de
la traction mécanique n'arrivent pas à « tomber » du piédestal qui
lui a été élevé pour son utilité et son agrément, reste à nos yeux « comme
l'éternelle image du monde qui change et ne change pas », ainsi que l'a
écrit Léon-Paul Fargue, dans une chronique consacrée aux courses, et dont les
chevaux, disait-il, sont des « dieux de promptitude et d'aisance » !
Environ le même temps, un autre écrivain, doublé d'un homme
de cheval accompli, parlant du cheval de pur sang, disait qu'il était « la
seule beauté qu'ait créée le monde moderne » ! (M. Boulanger). Nous
enregistrons avec grande satisfaction ces deux opinions autorisées et résistons
à la tentation d'en citer beaucoup d'autres semblables, notre intention étant
de nous cantonner ici dans le relevé des faits particuliers, appelés à prendre
place dans l'histoire anecdotique d'une compétition sportive de réputation
mondiale. La création de ce Grand Prix, désigné pour la circonstance « Prix
de cent mille francs », remonte à l'année 1863, où plusieurs propriétaires-éleveurs,
énergiquement encouragés par le duc de Morny, demandèrent à la Société
d'encouragement d'inscrire dans son programme un prix d'une importance sans
précédent où seraient admis les chevaux de tous pays dans une lutte
internationale. Les conditions de l'épreuve et les allocations étaient ainsi
fixées : « Un objet d'art offert pas Sa Majesté l'Empereur et 100.000
francs en espèces, donnés moitié par la ville de Paris et moitié par les cinq
grandes Compagnies de chemin de fer, pour poulains entiers et pouliches de trois
ans, de toutes espèces et de tous pays. Le second reçoit 10.000 francs et le
troisième 5.000 francs sur les entrées de 1.000 francs chacune. Poids 55 kilos.
Distance 3.000 mètres. » L'inauguration eut lieu le 3 mai de la même
année, et les rédacteurs sportifs de l'époque s'accordèrent pour reconnaître
que jamais réunion de courses n'avait attiré en France une assistance aussi
considérable, provoquant un tel encombrement que beaucoup de spectateurs furent
empêchés de voir ou de suivre les péripéties de la course.
Bien qu'il y eût, parmi les douze concurrents, quatre
chevaux anglais de haute lignée et réputation, qu'accompagnaient de nombreux « supporters »,
remplis d'espoirs, il n'y avait aucun turfiste pour mettre en doute la victoire
d'un de nos représentants, la célèbre jument La Toucques, à M. de
Montgomery, qui venait de gagner, à huit jours d'intervalle, les prix « de
Diane » et du « Jockey-Club », contre tous les « cracks »
de sa génération. Malheureusement ces prévisions, pourtant légitimes, ne se
réalisèrent pas, et la favorite, bien en course pendant toute la durée du
parcours, fut débordée sur la fin par le cheval anglais The Ranger, à M.
Lavile, qui la battit d'une longueur.
La consternation fut générale, et, parmi les fervents du
sport hippique, il y en eut beaucoup à se demander si, au point de vue de la
production et de l'entraînement des chevaux de courses, nous n'étions pas
condamnés à rester les élèves de ceux-là qui, jusqu'alors, avaient été, à juste
titre, considérés comme nos conseillers et nos maîtres. Mais nos éleveurs, ne
s'étant pas laissé désorienter, ni décourager par cette mauvais fortune qui,
dans les luttes du turf, se rencontre si souvent sous les pas des chevaux,
n'eurent pas longtemps à attendre pour prendre une éclatante revanche. Dès
l'année suivante, 1864, le Grand Prix de Paris était gagné par le cheval Vermont,
appartenant à M. Henry Delamarre, son propriétaire-éleveur, devant le cheval
anglais Blair-Athol, dont la qualité était mise en relief du fait qu'il
venait de gagner le « Derby d'Epsom ».
En 1865, ce fut mieux encore, le cheval du comte de
Lagrange, Gladiateur, que l'on qualifiait alors de « cheval du
siècle » ou d'« Éclipse moderne », gagna « sans avoir à
galoper » le Grand Prix de Paris, mais après avoir triomphé aussi
brillamment en Angleterre dans les « Deux mille guinées » et dans le
« Derby », ce qui avait occasionné stupéfaction et ...
admiration des turfistes ayant assisté à ses performances.
« Quand Gladiateur galope, écrivaient les
journaux anglais, les autres chevaux semblent ne pas bouger de place ! »
S. A. R. le prince de Galles témoigna sa haute
sympathie au comte de Lagrange, en réunissant dans un dîner les plus hautes
personnalités du monde anglais, dont Lord Derby, descendant du fondateur de la
course nationale, qui félicita notre compatriote, dans un discours plein de
courtoisie et de sympathie pour la France.
Depuis ces temps lointains, l'institution des courses et les
Grands Prix de Paris qui se sont succédé ont connu des fortunes diverses, qui
n'ont pas entravé leur popularité ni leur prospérité, et les chevaux français,
de la classe des grandes épreuves classiques, nationales et internationales,
ont surabondamment prouvé la vitalité des élevages qui les font naître, par
leurs qualités intrinsèques, en s'affirmant capables de rivaliser avec les
meilleurs chevaux étrangers, qu'ils battent de plus en plus souvent sur leurs
propres hippodromes.
J.-H. BERNARD.
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