Après avoir choisi un cheval dont le modèle répond au
service qu'on se propose de lui demander, après avoir examiné sa dentition
(n°638 du journal) pour connaître son âge et en déduire la durée approximative
de ce service, il faut encore en plus, si on ne le voit pas au travail,
s'efforcer de présumer les moyens et qualités dont il dispose pour le bien
faire. À défaut de l'assistance d'un vétérinaire, qui, en plus de sa science et
de son expérience, possède méthodes et appareils d'investigation lui permettant
d'apprécier exactement la « qualité ouvrière » d'un animal,
l'acheteur éventuel d'un cheval, présenté en main « à la montre », ne
voit que ce qu'il regarde, et, bien souvent, le marchand y aidant de la parole
et du geste, son attention ne se trouve pas attirée — quand elle n'est pas
détournée ! — justement là où il faudrait qu'elle s'arrête. Et voilà
pourquoi on entend si souvent des clients se plaindre d'avoir été enrossés par
leurs vendeurs, alors qu'ils ont été les propres artisans de leur infortune en
ne sachant pas regarder ni voir — ce qu'ils auraient dû faire — non
seulement de tous leurs yeux, mais aussi avec les doigts et la main. Rappelons
à leur intention ce vieux dicton d'observation pratique : « Un cheval
n'est jamais si beau et si bon que le jour de la vente ! », et ce
jour-là, pour le marchand qui connaît son métier, il n'existe pas de chevaux
vicieux, ni de chevaux tarés.
En hippologie, on désigne sous le nom de « tares »
tout ce qui diminue la valeur effective d'un animal, mais sur ce point les avis
restent très partagés et très discutables pour des raisons d'appréciation ou de
convenances personnelles, certains chevaux tarés ou porteurs de tares ayant
fait une longue carrière d'excellents chevaux de service. De même qu'il y a des
tares apparentes (déformations, traces de feu, boiteries, etc.) et d'autres
cachées (cornage, emphysème pulmonaire, fluxion périodique, etc.), il en existe
une très grande variété de nature et de gravité dont il est nécessaire de
savoir discerner l'importance pour se faire une opinion exacte et définitive du
cheval que l'on examine.
Les membres du cheval, étant pour son corps ce que la roue
est à la machine, il va de soi que les tares nombreuses et fréquentes dont ils
peuvent être le siège, en provoquant boiteries et indisponibilités, apportent
toujours un sérieux obstacle à sa bonne utilisation, en même temps qu'un
préjudice plus ou moins sensible en perte de temps et d'argent pour le
propriétaire.
Les tares des membres comprennent les tares dures ou tares
osseuses (suros, éparvins, formes, etc.) et les tares molles
(mollettes, vessigons articulaires et tendineux, hygromas, etc.), dont le siège
se trouve soit sur les membres antérieurs soit sur les membres postérieurs.
Les tares dures ou osseuses sont constituées par des tumeurs
de grosseur variable plus ou moins régulières. Elles sont le plus souvent le
résultat de la fatigue et la manifestation extérieure de lésions profondes,
mais parfois aussi elles résultent d'un tiraillement ou d'un effort ligamenteux
(entorse) ou d'une contusion (traumatisme) et ne se forment qu'aux dépens du
périoste, couche superficielle de l'os. Les premières sont héréditaires, ce qui
en fait la gravité, tandis que les accidentelles et les traumatiques ne le sont
pas.
Les suros sont des tumeurs osseuses qui se
développent sur les os des canons antérieurs, soit en dedans, soit en dehors,
ceux-ci étant, la plupart du temps, moins graves que ceux-là. Les trois os des
canons antérieurs se soudent au cours du jeune âge, de deux à cinq ans environ,
selon les races, le genre de travail et le régime alimentaire, et c'est au
cours de cette évolution, surtout quand elle s'accompagne de manifestations
douloureuses (boiteries) qu'apparaissent les suros. Leur volume varie
ordinairement entre celui d'une petite noisette et celui d'un œuf de poule ;
mais leur gravité dépend surtout de leur situation, et c'est lorsqu'ils siègent
sur la face postérieure du canon, dans la gouttière réservée au ligament
suspenseur du boulet, dont ils gênent le fonctionnement, qu'ils sont le plus
mal placés et occasionnent des arrêts de travail plus ou moins longs.
Les tumeurs osseuses des phalanges sont désignées sous le
nom de formes ; suivant le siège, on les divise en « formes du
paturon » et en « formes de la couronne », ou formes coronaires.
Ces dernières se divisent elles-mêmes en « formes phalangiennes »
quand elles sont développées sur l'os de la couronne et en « formes
cartilagineuses » quand elles sont situées sur le fibro-cartilage
complémentaire de l'os du pied.
Les formes phalangiennes se développent souvent aux membres
postérieurs, tandis que les formes cartilagineuses affectent surtout les
membres antérieurs ; elles sont toujours une tare sérieuse chez le cheval,
notamment pour les chevaux de selle ou de trait léger.
L'articulation du jarret peut être le siège de plusieurs
tumeurs osseuses : jardon, courbe, jarde et éparvin ; ces deux
dernières sont les plus fréquentes, mais l'éparvin les dépasse toutes en
gravité. Celui-ci siège en bas de la face interne du jarret, un peu en avant,
mais il arrive qu'il envahit tout le pourtour de l'articulation, ce qu'on
constate en disant que le jarret est « cerclé ». S'il est le résultat
d'une inflammation profonde soudant entre eux les osselets de la base du tarse,
on le qualifie d'éparvin métatarsien ; il ne provoque alors qu'une
boiterie temporaire disparaissant la plupart du temps quand le travail
d'ossification est achevé, tandis que, s'il englobe aussi les os de
l'articulation du jarret pour former l'éparvin tarso-métatarsien, il présente
un caractère exceptionnel de gravité, parce qu'il provoque une ankylose plus ou
moins prononcée du jarret.
La courbe, très rare, est une exostose située à la
partie supérieure et interne du jarret ; le jardon, constitué par
un développement exagéré de la tête du métatarsien rudimentaire externe, n'a
pas d'autre inconvénient que de déformer le profil extérieur du jarret ;
quant à la jarde, située au même niveau, elle résulte du claquage d'un
ligament qui s'attache, en la recouvrant, sur la tête de ce métatarsien. En
conclusion pratique, formes et éparvins, ceux-ci encore plus que celles-là,
doivent être considérés comme les tares osseuses dépréciant le plus la valeur
utilitaire et marchande d'un cheval, si séduisant qu'il soit dans son aspect
extérieur ou le brillant d'allures plus ou moins provoquées.
J.-H. BERNARD.
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