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Le Mistral

Dans une causerie précédente (1), nous avons fait une révision rapide du mécanisme des vents.

Révision, succincte évidemment, destinée à rappeler les grandes lignes qui régissent les déplacements d'air, et plus particulièrement les règles propres au mistral.

Avant d'aborder la question du vent proprement dit, faisons un retour en arrière et voyons ce que les anciens disaient de ce vent.

Pline, dans son Histoire naturelle, le mentionne en ces termes : « Il n'est pas de vent plus impétueux ; il pousse les navires en ligne droite à travers la mer Ligurienne jusqu'à Ostie ; sont réputés sages ceux qui le reçoivent obliquement.

» Ce vent tempère les chaleurs dans ce pays, mais sa violence est telle qu'il enlève généralement le toit des habitations ... »

Pline exagérait sans doute, ou bien les habitations manquaient de solidité ! ...

Sénèque, de son coté, estime que « ce vent ravage la Gaule et ébranle les édifices ». Il ajoute que le divin Auguste, pendant son séjour en Gaule, lui fit élever un temple sur le Ventoux comme hommage à double fin, d'abord pour le remercier d'assainir le pays, puis pour conjurer sa colère.

Enfin, Strabon disait à son tour : « Il se précipite sur la plaine, impétueux, incisif et froid ; il se déchaîne, terrible et violent, renversant les hommes et les chars, arrachant les vêtements et emportant les armes ! ... »

Ajoutons que les Gaulois l'appelaient kirk, ce qui signifiait le « fougueux », et que les Cimbres, lors de leur venue en Gaule, deux siècles avant Jésus-Christ, renoncèrent à pénétrer en Provence tant était grand l'effroi que leur causait la violence de ce vent.

Nos lointains ancêtres étaient d'accord au moins sur deux choses, d'abord sur l'utilité de ce vent, puis sur sa violence souvent tempétueuse.

Ils ne songeaient évidemment pas à en rechercher les causes.

Ne suivons pas trop fidèlement l’ordre chronologique et sautons pas mal de siècles pour arriver au XIXe.

À cette époque, nous trouvons les Deligne, Raynaud, Teisserenc de Bort, Faconnet, l'abbé Sabarthas, etc. Tous ont consacré quelques pages au mistral. Ils sont unanimes à reconnaître que c'est un vent en général violent, qui souffle par ciel radieux bleu et pur, ou simplement parcouru par ces tout petits nuages à la fuite précipitée que les paysans et les marins pêcheurs appellent des « provençales ».

Ils rejoignent l'opinion moderne que tout le monde a sur ce vent : qu'il est très agréable quand il est faible, mais pénible à supporter quand il est fort.

Cependant, l'unanimité s'arrête là, et des divergences se montrent quand il s'agit des causes et du régime du mistral. Pour ne pas tout embrouiller, nous n'examinerons que les opinions voisines des idées actuelles (je dis « voisines » et pas « conformes »).

Le Bulletin de la Société languedocienne de Géographie de Montpellier écrivait en 1890 :

« Le mistral n'est autre chose que l'air froid des Cévennes et des Alpes se précipitant vers la Méditerranée à l'appel de l'air chaud des déserts d'Afrique.

» Ces coups de vent causent des tempêtes terribles que les navigateurs redoutent à l'égal des tempêtes océaniques. »

Vers cette même époque, Deligne, de l'Académie d'Aix, expliquait la diminution de la force du mistral, pendant la nuit, en écrivant : « La nuit, les terres basses au pied des monts perdent leur chaleur par rayonnement, et l'afflux d'air froid diminue pour reprendre le matin quand le soleil réchauffe de nouveau les plaines ... »

Enfin, en 1881, la Revue météorologique de Vienne donnait, sous la signature de Derch, une assez bonne description des causes du mistral :

« Ce vent prend naissance, écrivait Derch :

» 1° Quand un centre de dépression, dont l'origine importe peu, se trouve sur le Sud ou le Sud-Est de la Provence ;

» 2° Quand un centre de haute pression se trouve sur le Sud-Ouest ou le Centre de la France, alors que l'Italie, le Sud-Est de la France et la Méditerranée occidentale sont soumis à une pression normale. »

On n'a pas trouvé beaucoup mieux de nos jours ; nous le verrons dans les lignes qui suivront. Nous allons laisser là, à leur tour, les prédécesseurs presque immédiats de nos météorologistes modernes, et je vais m'efforcer de vous expliquer comment ceux-ci comprennent et expliquent le mistral.

Comme ma science et mon expérience personnelles ne m'auraient sans doute pas permis de traiter ce sujet avec une pertinence absolue, malgré mon origine provençale et mes trente ans de mer, je me suis inspiré des travaux de MM. les ingénieurs de la météorologie Dedebant et Viaut, du capitaine de vaisseau Rouch, de M. le professeur Bénévent, etc., ainsi que des Instruction nautiques pour les côtes Sud de France et de la collection du Bulletin de la Société météorologique de France.

Je m'excuse auprès des personnalités citées et j'espère que j'aurai assez compris leurs travaux pour en donner exactement l'esprit.

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Beaucoup de personnes ne reconnaissent comme mistral que le vent soufflant avec rage surtout aux coins des rues et qui les oblige à lutter énergiquement contre le goût d'indépendance de leur chapeau ou de leurs jupes ...

C'est là une erreur, car, si le vent est bien orienté (si les conditions de pression ou de température sont remplies), il s'agit de mistral même si la brise est légère.

Dès lors on peut dire que, dans les régions qu'il affectionne, le mistral souffle avec des forces diverses de cent soixante à cent quatre-vingts jours par an. Pratiquement, un jour sur deux.

Sur cette moitié d'année, les jours de coups de vent, c'est-à-dire les jours où le vent atteint ou dépasse 50 kilomètres à l'heure, sans dépasser 100 kilomètres à l'heure, sont à peu près d'une vingtaine, et les jours où la tempête dépasse largement 100 kilomètres-heure peuvent se compter à peu près sur les doigts d'une seule main.

Ces moyennes sont établies sur les statistiques de cinquante années consécutives. On peut, par conséquent, les prendre en considération.

Notons en passant, d'après les mêmes statistiques, que, si les tempêtes peuvent se produire en toutes saisons, on les observe particulièrement de décembre à avril, et plus spécialement entre la mi-janvier et la mi-mars.

Indiquons, pour finir la causerie d'aujourd'hui, que, dans les « bons coups » de mistral, les vitesses de 15 à 20 mètres à la seconde, c'est-à-dire 60 à 75 kilomètres à l'heure, ne sont pas rares. C'est la force 7 à 9 de l'échelle de Beaufort. Les marins donnent à ces puissances la qualification de « bonne brise » pour la force 5, bon frais pour la force 6, petit coup de vent pour la force 8, etc.

Les vitesses voisines de 100 kilomètres-heure (force 11) et au-dessus de 100 kilomètres (force 12) sont nommées tempête et ouragan. Elles sont heureusement bien moins courantes, mais cependant pas exceptionnelles, entre 90 et 140 kilomètres-heure.

Ce qui est heureusement rare, ce sont les vitesses de 150 à l'heure et plus.

En rase campagne, Crau, Camargue, et évidemment en mer, au cours de rafales, de « surventes » de courte durée, le vent peut atteindre 200 kilomètres à l'heure. Mais, à partir de ces vitesses, il est fréquent que les anémomètres (appareils destinés à mesurer la vitesse du vent) rendent au dieu mistral leur âme mécanique.

PYX.

(1) Voir Le Chasseur Français de juillet 1950.

Le Chasseur Français N°644 Octobre 1950 Page 634