Deux douloureux accidents d'aviation ont jeté, il y a
quelques mois, la consternation dans les milieux aéronautiques.
Je veux parler des catastrophes de Bahrein. La grande presse
fit à l'époque grand bruit autour de ces accidents.
Sabotage, déréglage des appareils de bord, erreur visuelle
des pilotes : telles furent les différentes hypothèses sur les causes des
accidents. La commission d'enquête, commission anglaise, puisque les accidents
eurent lieu dans une possession anglaise, n'a pas transmis officiellement ses
conclusions.
Il est certain que ces accidents demeurent assez mystérieux.
J'ai voulu présenter aujourd'hui aux fidèles lecteurs de
cette rubrique une étude succincte sur la navigation aérienne.
À Orly, l'aéroport international, les ingénieurs, les
navigateurs d'Air-France ont bien voulu me documenter sur les dernières
réalisations de la science au service de la navigation aérienne.
Navigation aérienne.
— La première forme de navigation aérienne fut bien
humble : elle fut celle que pratique le promeneur, le touriste au cours de
sa randonnée : observation et reconnaissance des lieux qui se présentent à
lui ... Ce fut celle des premiers avions, des premiers pilotes.
Mais, bientôt, le rayon d'action des appareils,
l'accroissement de leur vitesse, l'intérêt que présentent les vols à haute
altitude rendirent ce procédé hasardeux et insuffisant.
Il exigeait, d'autre part, la limpidité de l'atmosphère et
une connaissance préalable des régions parcourues.
La navigation aérienne prit donc naissance de la nécessité
moderne d'offrir aux navigateurs aériens une méthode de repérage qui fût
applicable en tous lieux et en toutes circonstances.
Je souligne tout de suite qu'elle résulte d'une adaptation
des méthodes de navigation maritime aux nécessités de la navigation aérienne.
On peut la diviser en trois parties : la navigation estimée, la navigation
astronomique, la navigation radio-électrique.
Quelques mots sur des procédés plus récents termineront
cette étude.
Navigation estimée.
— Cette dernière a comme principe qu'un mobile de
vitesse connue qui parcourt pendant un temps donné une route donnée se trouve à
un point connu sur cette route. Ce point, calculé à l'aide d'une carte, d'un
compas (boussole) et d'une montre, s'appelle le point estimé.
Théoriquement, ce point doit être exact. Il n'en est cependant rien dans la
pratique et, si ce point estimé n'est pas vérifié et corrigé de temps à autre,
par un point observé et connu au sol, il devient très vite une indication
extrêmement vague de la position de l'avion.
Les observations au sol redonnent donc à l'estime un nouveau
point de départ correct.
La plupart de nos pilotes d'avions de tourisme voyagent
cependant ainsi, puisque leurs appareils sont très rarement équipés pour le
pilotage sans visibilité ou la navigation radio-électrique.
Une bonne boussole, une montre précise, de bonnes cartes, du
beau temps, un peu de pratique ... c'en est donc assez pour ces derniers
pour effectuer des voyages de plusieurs centaines de kilomètres sans histoire.
Navigation astronomique.
— L'on se doute aisément qu'il ne saurait en être de
même lorsque, de nuit ou de jour, nos avions géants décollent d'Orly ou
d'ailleurs pour des destinations lointaines, New-York, Rio-de-Janeiro, Saigon.
Les insuffisances de la navigation estimée sont palliées par l'observation
astronomique et le système de navigation qui en découle.
Elle exige une disposition particulière de l'avion pour
pratiquer l'observation du ciel dans tous les azimuts et la présence d'un
navigateur exercé. Elle se fait à l'aide du sextant aéronautique. C'est un
appareil qui applique le principe du sextant marin en fournissant à
l'observateur, par un « horizon à bulles », un horizon artificiel.
L'observateur prend une série de hauteurs d'un astre au-dessus de ce plan ;
il obtient ainsi une hauteur moyenne observée qui s'applique à la vraie
position de l'avion sur la surface terrestre.
Il calcule, d'autre part, la hauteur qu'il devrait avoir à
son point estimé. La différence des deux hauteurs et l'azimut de l'astre lui
permettent de définir un lieu géométrique de sa position. Ce lieu s'appelle une
« droite de hauteur ».
À l'aide d'une deuxième observation astronomique ou d'un
relèvement radio-électrique, il définit une deuxième droite de position :
son point exact se trouve au recoupement de ces deux droites. Le calcul d'une
troisième droite ne peut donner que plus de précision à la méthode.
Navigation radio-électrique.
— Il est cependant des cas où l'état du ciel ne permet
pas l'observation astronomique. C'est alors qu'intervient la navigation radio-électrique
qui permettra au navigateur de fixer sa position avec tout autant de sécurité.
Des postes au sol émettent des signaux. Par le radio-compas,
le pilote sait la direction de ces postes émetteurs. Il les « relève »,
comme on dit en langage technique, c'est-à-dire qu'il définit leur position par
rapport au nord. S'il « relève » simultanément deux postes, il
obtient, au recoupement des deux « relèvements », un point exact.
Pratiquement, l'emploi de ces deux méthodes exige une
critique assez serrée des conditions de l'observation et des résultats.
Ainsi, un relèvement radio-électrique pratiqué à longue
distance ne peut être utilisable pour fixer le point qu'après le calcul d'une
correction appelée « correction Givry ». L'analyse de ces diverses
corrections dépasserait le cadre de cet exposé.
Le système « Loran ».
— Quelques mots sur le plus récent procédé de
navigation radio-électrique, actuellement le plus employé sur certaines lignes
à grand trafic, le « Loran » (long range navigation).
Un poste émet un signal qui est reçu et retransmis
instantanément par deux stations éloignées, appelées stations esclaves.
L'émission primitive et les deux retransmissions sont captées par l'avion avec
des différences de temps ; elles sont proportionnelles aux différences de
distance entre la première station et les deux esclaves.
Une telle différence de distance implique à chaque fois un
lieu géométrique de position de l'avion : il se trouve sur une hyperbole
définie par cette différence de distance entre les stations qui sont les foyers
de l'hyperbole. Ainsi, avec deux stations esclaves, se trouve définie
l'intersection des deux hyperboles.
Des cartes spéciales portant tracés des réseaux d'hyperboles
permettent de situer la position à l'intersection de deux d'entre elles.
Ces cartes sont du type marine et elles sont bien connues
sous le nom de cartes « Mercator ». Elles présentent l'avantage de
conserver les angles. La route suivie a un cap déterminé, c'est-à-dire à angle
constant avec les méridiens, est alors représentée par une droite.
Voici donc très sommairement exposées les différentes
méthodes de navigation aérienne. Il y aurait beaucoup à dire sur les
installations au sol, les tours de contrôle, le balisage et l'atterrissage sans
visibilité. Ceci fera l'objet d'une prochaine étude.
Les méthodes de navigation aérienne employées actuellement
ont fait leurs preuves ...
Cependant, les appareils que nous apporte la science ne sont
pas à l'abri de certaines défaillances.
Une commande d'aiguillage qui ne répond plus, un sémaphore
qui se bloque sur une grande ligne de chemin de fer ... c'est une
catastrophe. « Les robots trahissent », écrivait, quelques heures
avant de disparaître, l'extraordinaire navigateur du ciel, le grand écrivain
Pierre Vire.
Oui, c'est peut-être vrai, quoique excessivement rare ...
Des hommes sont encore penchés sur ce problème. Demain, les
robots ne pourront plus trahir.
Maurice DESSAGNE.
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