Mais oui, vous avez bien lu ! De la bienséance !
Ah ! comme les difficultés seraient aplanies si la bienséance régnait
parmi nous. Vous ne serez un chasseur, un vrai, que si vous appliquez
strictement les principes immuables de la bonne éducation et de la bonne tenue.
Écoutez donc Eugène Fromentin dans son Dominique et
jugez :
« ... Un perdreau partit à l'arrêt de mon chien juste
au moment où nous nous trouvions à peu près à demi-portée de fusil l'un de
l'autre. Il (M. Dominique) occupait la gauche, et le perdreau parut incliner
vers lui. « À vous, monsieur ! » lui criai-je. Je vis, à
l'imperceptible temps d'arrêt qu'il mit à épauler son fusil, qu'il examinait
d'abord si, rigoureusement, ni le docteur ni moi n'étions assez près pour
tirer. Puis, quand il se fut assuré que c'était un coup perdu pour tous s'il ne
se décidait pas, il ajusta lentement et fit feu.
» L'oiseau, foudroyé en plein vol, sembla se précipiter
plutôt qu'il ne tomba et rebondit, avec le bruit d'une bête lourde, sur le
terrain durci de la vigne.
» C'était un coq de perdrix rouge magnifique, haut en
couleur, le bec et les pieds rouges et durs comme du corail, avec des ergots
comme un coq, et large de poitrail presque autant qu'un poulet bien nourri.
» — Monsieur, me dit en s'avançant vers moi M.
Dominique, vous m'excuserez d'avoir tiré sur l'arrêt de votre chien, mais j'ai
bien été forcé, je crois, de me substituer à vous pour ne pas perdre une fort
belle pièce, assez peu commune en ce pays. Elle vous appartient de droit, je ne
me permettrais pas de vous l'offrir, je vous la rends. »
Vous entendez, amis lecteurs ? « Je ne me
permettrais pas de vous l'offrir, je vous la rends. » Voilà ce qu'est la
bienséance ; et, sans aller aussi loin dans la délicatesse, sans devenir « talon
rouge », n'hésitez pas : mettez toujours le beau rôle de votre côté.
Quoi de plus odieux que ces chasseurs débraillés, bruyants,
pour ne pas dire « gueulards », prêts à se battre pour la possession
d'une pièce dont l'origine de propriété est douteuse. Quoi de plus odieux que
ces envahisseurs hurlants, meneurs assoiffés de meutes disparates, pour
lesquels rien n'existe que le « Tableau » !
Quoi de plus charmant, au contraire, que des compagnons bien
élevés, francs et joyeux, bien décidés à jouir d'une journée de détente au grand
air, ayant des chiens calmes comme eux et « bien allants ». Quoi de
plus agréable après la chasse qu'un repas entre amis qui se comprennent et
s'estiment.
N'oubliez jamais que le gibier appartient au chien qui l'a
levé. Ne vous réjouissez pas d'une pièce abattue en fraude au détriment d'un
autre. Évitez toute discussion inutile et ne dépassez jamais sciemment les
limites qui vous ont été fixées. Seuls les mauvais chasseurs se plaignent de la
rigueur des gardes. Restez strictement dans le cadre des lois, et la sévérité
de ceux qui les représentent ne vous importunera jamais.
La façon dont vous tiendrez votre fusil ne doit gêner
personne. Ne dirigez jamais, même vides, les canons vers l'un de vos compagnons
et ouvrez votre arme lorsque vous aurez à franchir une haie, sauter un fossé,
traverser un taillis épais. N'appuyez jamais votre fusil armé contre un arbre,
un mur, une haie. Un faux mouvement, un chien en passant, une rafale de vent ...
et le coup part.
Ne perdez jamais de vue que vous tenez dans vos mains une
arme meurtrière et que votre vie et celle de vos amis dépendent de votre
prudence. Combien, tous les ans, d'accidents de chasse auraient pu être évités
avec un peu d'attention !
Ne croyez surtout pas que je ne m'adresse qu'aux chasseurs « bourgeois ».
Je compte bon nombre d'amis dans tous les milieux, et la correction, la
bienséance ne sont pas l'apanage des sus-nommés. Il y a des « rustauds »
partout, dans tous les milieux, et la bêtise comme la grossièreté ne
connaissent pas de castes. Si vous vous êtes trouvés une fois à la chasse avec
un de ces tristes représentants de l'espèce humaine, n'insistez pas, prenez-en
note et rayez définitivement de la liste de vos compagnons futurs cet
indésirable.
N'ayant pas pour but de faire éditer un manuel de savoir-vivre,
je bornerai là ce chapitre en vous demandant de le méditer et de vous bien
pénétrer de cette vérité : « La bienséance et le bons sens triomphent
toujours de la grossièreté et de la bêtise. »
P. BOURREL.
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