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Le tir de chasse devant les chiens

Le bois

Refuge des perdreaux cruellement taquinés dans la plaine, il en tient lieu bien davantage aux chasseurs toujours pressés d'aller fouiller son mystère.

Tant de gens croient ce qu'ils ne voient pas qu'ils y situent, par la pensée, plus de gibier qu'il n'en contient. Quel que soit son cheptel, sa surface touffue sans grand vide leur paraît être une garantie contre celui du carnier. C'est une assurance dont le bois fait payer la prime à sa clientèle par les difficultés de tir qu'il lui impose. Elle s'en plaint quelquefois, mais lui garde la fidélité spéciale qui vous attache aux choses dont on ne peut se dispenser.

Nous n'envisageons les problèmes de tir offerts par les chasses dont il est le théâtre que sous leur aspect naturel, c'est-à-dire en compagnie des chiens : ceux d'arrêt et les spaniels pour la plume et le petit gibier à poil, les chiens courants pour le moyen et gros gibier.

Ces distinctions peuvent sembler superflues. Elles sont pourtant fort éloignées de l'être, car le départ ou le train du gibier est conditionné par l'action du chien qui le lève ou qui le mène. Elles doivent servir de principe très général, parce que la question du tir est extrêmement complexe et s'agrémente de particularités qui varient parfois d'un bois à l'autre, selon les régions où le destin les a enracinés.

La grande sentence de la chasse au bois, la sentence fondamentale des tirs qu'elle occasionne, se formule en ces quelques mots : tirer franchement comme si l'on n'avait pas de branches devant soi !

Malgré les apparences, il ne faut pas crier à l'énormité ou à la mystification ! Tirer à travers un réseau plus ou moins serré de gaules, de baguettes, de scions, d'où les arbres formant d'imperforables boucliers ne sont pas exclus, comme si ces défenses contre les projectiles et ces obstacles à la visée n'étaient que fictifs, donne l'impression, au premier abord, d'une entorse au bon sens.

Cette sentence, que connaissent bien les vieux apôtres des lieux boisés, et qu'ils mettent en pratique instinctivement sans même l'avoir jamais lue ni entendue, ne se targue pas de parenté avec la théorie. Elle n'est nullement issue de quelque cerveau fertile en constructions rigoureuses, dont le propriétaire n'abandonnait pas souvent son fauteuil. Elle est au contraire, et avant tout, enfant de la pratique, et cela se devine à la très courte phrase qui la condense. Elle se montre telle qu'elle est sans accompagnement d'explications subtiles, lesquelles ont toujours un peu l'air d'excuser à l'avance les vacillements d'une vérité nouvelle.

Elle est le fruit d'une longue suite d'observations recueillies par des hommes amoureux de la forêt non pas parce qu'ils descendaient du singe, mais parce qu'ils adoraient y chasser.

Une remarque dictée par la pratique la plus utilitaire prend presque toujours, nous le savons fort bien, une allure de théorie. Il ne faut cependant pas s'y tromper. Il suffit de raisonner un peu pour comprendre que, si l'on attend le bon plaisir des branchages pour tirer confortablement, on ne tirera pas neuf fois sur dix, car ils ne s'écarteront point pour vous être agréables. Par conséquent, si l'on ne traite point par le mépris les obstacles naturels que le bois accumule, et qu'on n'agisse pas, toutes proportions gardées, comme en terrain découvert, mieux vaut rester chez soi.

Bien entendu, le conseil de tirer comme si les branches n'existaient pas n'a rien d'impératif. Il contient implicitement la restriction : autant que faire se peut.

Avant de passer aux actes, il faut que l'endroit qu'on occupe au départ du gibier ne vous enferme pas trop et consente à vous laisser lever votre fusil. En est-on jamais sûr quand le bois est fourré ? Certainement pas, sauf le cas où l'on opère tranquillement sur les allées : coutumes ne symbolisant que de très loin ce qu'on appelle la chasse au bois, et avec laquelle il est préférable de ne pas trop fraterniser.

L'impossibilité éventuelle de pouvoir dégager son fusil pour le pointer ramène tout naturellement la question à la manière de le tenir en position de quête. Sans apporter de solution providentielle, sans même compter pour un remède infaillible, elle n'est cependant pas sans influence sur les conditions du tir.

Rien ne sert d'entasser trop d'espoirs sur le raccourcissement des canons parce que, quelle que soit leur longueur, trop de situations critiques les attendent, dont ils ne savent se dépêtrer. Ce raccourcissement peut aider, mais pas résoudre.

Au bois, on aurait tort de l'oublier, quand on est seul à chasser devant soi, on est toujours trois sans compter son chien : les branches, le fusil et soi-même. Force est donc de frayer un passage à l'avant-dernier du trio, tout en le maintenant en posture de rapidement intervenir. Ensuite, et ce n'est pas le point le plus négligeable, la marche condamne le dernier à des efforts constants pour avancer, qui s'accompagnent du légitime souci de protéger sa propre personne, pour laquelle les épines et les retours de branche n'ont pas grande considération.

Une méthode coordonnant l'action des deux éléments inséparables : chasseur et fusil, aux prises avec l'élément bois, apparaît comme un moyen offensif et défensif supérieur à l'opportunisme de la minute présente. Parfait quelquefois, catastrophique à d'autres instants, le juste milieu n'est pas son fort. Quitte à mener la lutte comme on peut quand elle vous y oblige, on n'a rien à perdre en l'appuyant sur une méthode réfléchie, inspirée par la pratique, dont le mécanisme prévoit les difficultés à la rencontre desquelles on se porte. Bien loin d'être classique, cette méthode n'en existe pas moins.

Son auteur fut un de nos bons amis, grand chasseur, excellent tireur, dont la perte récente attrista le monde des chasseurs. Nous l'exposons ici d'autant plus volontiers qu'il nous avait prié de la faire connaître à l'occasion.

Contrairement à la manière de tenir son fusil dans les positions du moment, tantôt verticalement, tantôt horizontalement, tantôt obliquement face au ciel ou au sol, elle consiste à bien appuyer la crosse contre l'extrémité de la cuisse, un peu au-dessous de la hanche — les canons par conséquent dirigés devant soi — en tenant solidement la poignée de la seule main droite. L'autre main — la gauche pour les droitiers — se réserve la mission ingrate d'écarter les branches, ce qui lui suffit amplement. Continuellement tendue en avant, elle reçoit avec aisance les canons que lui envoie le bras droit lorsque l'occasion de tirer se présente : ce qui permet de la saisir avec une grande célérité.

Pendant la marche, la position la plus commode, parce qu'elle est celle où l'arme semble le moins peser, se trouve dans une tenue légèrement oblique. Elle n'ordonne d'ailleurs pas une soumission rigoureuse et n'exclut aucune attitude d'inclinaison opposée, ou d'horizontalité complète. Il n'est pas interdit à l'initiative personnelle de compléter le principe.

Cette méthode, indiquons-le encore, n'a rien d'une panacée contre toutes les vicissitudes de la chasse au bois ; mais elle est logique et non sans efficacité réelle, surtout pour la recherche et le tir de la plume.

Elle facilite un déduit réputé peu fatigant en comparaison de la plaine et du marais. Réputation hasardée, au sujet de laquelle les purs, qui sacrifient à la bécasse derrière un chien d'arrêt, et les férus du chien courant, qui ne craignent pas de gagner au pas de course des postes plus ou moins éloignés, savent mieux que personne à quoi s'en tenir.

Raymond DUEZ.

Le Chasseur Français N°645 Novembre 1950 Page 645