Un abondant courrier continue à nous parvenir sur cette
question. Voici quelques opinions :
Pour M. Caramagnolle, de Chorges, les maires
devraient être habilités pour interdire la chasse, chaque année, sur une partie
du territoire de la commune. Des ententes intercommunales permettraient ainsi
de créer de vastes réserves, ou le gibier, tranquille, pourrait recompléter ses
effectifs.
M. Bordes, de Tarbes, suggère que la ristourne
soit versée à la caisse de la société communale plutôt qu'à la Fédération départementale,
les petites communes, éloignées du chef-lieu, ne bénéficiant que rarement, à
son avis, de lâchers de gibier ; une majoration du prix du permis pourrait
également être envisagée. M. Bordes se déclare adversaire de la limitation des
jours de chasse : aux jours permis, il y aura ruée de chasseurs et il y
aura toujours d'éternels défavorisés que leur profession retiendra précisément
ces jours-là. Est adversaire de l'ouverture au 1er octobre, la
caille — principal gibier de sa région — étant déjà partie. Il
demande de sérieuses primes aux agents verbalisateurs et la confiscation
immédiate de l'arme ; réclame, enfin, l'interdiction de la chasse à la
palombe aux filets.
M. P ..., de La Rochelle, voudrait que
chaque chasseur reçût par les soins de la Fédération, lors de la délivrance du
permis, une carte valable pour un territoire de chasse déterminé, destinée à
remplacer les cartes délivrées par les multiples sociétés locales.
M. Lescalvura, des Basses-Pyrénées, après nous
avoir donné un aperçu de la densité du gibier dans sa région, où les migrateurs
constituent le fond de la chasse, voit une solution dans un groupement aussi
large que possible des sociétés communales, ce qui permettrait l'organisation
de vastes réserves ; il souhaiterait également que la vente du gibier fût
interdite, afin que la chasse reste un sport et ne soit pas source de profits.
Enfin, un renforcement des pénalités trop bénignes : un braconnier notoire
pris sur le fait s'en tire avec 5.000 francs d'amende avec sursis et 1.000
francs pour son arme.
M. Chaussonnaud, retraité charentais, estime
que l'opinion des petits chasseurs doit également être apportée aux débats. Dans
sa commune existent 411 propriétaires pour 3.277 hectares ; 300 d'entre
eux ont des exploitations inférieures à 5 hectares ; 12 seulement
possèdent plus de 60 hectares. Terrain très morcelé, chasse gardée sur une
propriété de 50 hectares et trois de plus de 60 hectares. Tout le reste est
inorganisé, malgré les efforts faits pour créer une société de chasse. Toute
tentative pour rassembler les propriétaires de parcelles minuscules est vouée
d'avance à l'insuccès, en raison des divergences d'opinions. Or la situation
sur l'ensemble du territoire français lui paraît être à l'image de son petit
pays. Il faut se hâter de voter une loi sur la chasse, sinon, dit notre abonné,
je plains les jeunes générations !
Pour terminer, laissons parler M. M ..., abonné
ardéchois :
« Petit-fils et fils de chasseurs, dès l'âge de douze
ans j'accompagnais mon grand-père à la chasse ; à seize ans, en 1917, je
prenais mon premier permis. Mon petit village, 500 habitants, presque
méridional, a pour limite, à l'est, le Rhône, puis, en allant vers l'ouest, se
succèdent la plaine avec ses cultures diverses, vergers et vignes, puis un
coteau de vignes avec ravins, ronciers, rochers, yeuses et genévriers ; enfin
la montagne, avec ses fermes isolées, ses prés, ses cultures, ses bois.
L'altitude d'est en ouest varie de 80 à 350 mètres. Avant l'année 1921, où je
pris la tenue militaire, lièvres et lapins y faisaient bon ménage, de même que
merles, grives et écureuils ; des perdrix et des alouettes partout.
Cailles, tourdes, mauvis et litornes, gibier d'eau de toutes espèces nous
fréquentaient régulièrement, sauvagines et oiseaux de proie y abondaient autant
que le gibier ; ajoutez-y les petits bergers, tous dénicheurs.
« Il n'y a plus de petits bergers, plus de nuisibles et
plus de gibier, tout a disparu à la fois, sauf de petites corneilles de
rochers, héritage de 1914-1918. Je dois avouer qu'avant 1914 il y avait ici une
dizaine de chasseurs, quatre ou cinq avec permis, le reste sans, pour narguer
les gendarmes. On ne vendait pas le gibier et tout le monde en goûtait. À
présent, nous sommes une armée — bien année — de 50 à 60 fusils, la
bredouille ne fait plus honte et, si on tue quelque chose, tout le village l'a
vite su.
« Ni chasse gardée ni lâchers n'ont repeuplé. Pour ma
part, je crois que nos anciens étaient des sages, chassant par plaisir et
sachant toujours laisser des reproducteurs, ce qui est plus utile que lois et
gardes et sans allocations familiales au gibier. Tout allait, tandis qu'à
présent on traque jusqu'au dernier lapin. Je ne donnerai pour preuve que, si le
gibier ici se raréfiait à mesure que le nombre de chasseurs augmentait, en
Alsace, où j'ai fait cette guerre, les braves Alsaciens où j'avais mes bureaux
me disaient que le nombre des battues était fonction du nombre de gibier ;
aussi, Dieu sait s'il y avait lièvres, lapins, perdrix et faisans dans ce bon
village, à six kilomètres du Rhin, et de la moralité si ancrée qu'un jour où
nous avions fait une brochette de merles on nous a reproché d'avoir tué ces
oiseaux si utiles ; quant à tuer une faisane, c'était un crime. Nous n'en
avons tué qu'une, n'en sachant encore rien, et laissé la vie aux merles.
« Il y a aussi corrélation avec l'emploi de produits
plus ou moins français comme insecticides et dont la courbe d'emploi ascendante
s'est traduite par une courbe descendante de notre gibier, de ses ennemis et,
hélas ! de ces charmants oiseaux que nous, campagnards, nous aimions tant.
Connaissant tous les ceps où une fauvette nichait, l'arbre fruitier où un
pinson ou chardonneret avait son nid pour ne pas les déranger par nos travaux.
Adieu, ces jolis chanteurs et compagnons !
« J'en arrive à haïr le progrès, tant en balistique
qu'en insecticides, le snobisme de la chasse, pour revenir à trente-quarante
ans en arrière, où je pouvais donner à manger aux pinsons et rouges-gorges
pendant la mauvaise saison et même, comme pendant un dur hiver, garder un petit
roitelet, dans une vieille cuisine, qui ne me quitta qu'aux beaux jours,
s'évadant par la cheminée ... ou le trou de la serrure. »
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