Accueil  > Années 1950  > N°645 Novembre 1950  > Page 654 Tous droits réservés

Tribune libre

La réorganisation de la chasse

Un abondant courrier continue à nous parvenir sur cette question. Voici quelques opinions :

Pour M. Caramagnolle, de Chorges, les maires devraient être habilités pour interdire la chasse, chaque année, sur une partie du territoire de la commune. Des ententes intercommunales permettraient ainsi de créer de vastes réserves, ou le gibier, tranquille, pourrait recompléter ses effectifs.

M. Bordes, de Tarbes, suggère que la ristourne soit versée à la caisse de la société communale plutôt qu'à la Fédération départementale, les petites communes, éloignées du chef-lieu, ne bénéficiant que rarement, à son avis, de lâchers de gibier ; une majoration du prix du permis pourrait également être envisagée. M. Bordes se déclare adversaire de la limitation des jours de chasse : aux jours permis, il y aura ruée de chasseurs et il y aura toujours d'éternels défavorisés que leur profession retiendra précisément ces jours-là. Est adversaire de l'ouverture au 1er octobre, la caille — principal gibier de sa région — étant déjà partie. Il demande de sérieuses primes aux agents verbalisateurs et la confiscation immédiate de l'arme ; réclame, enfin, l'interdiction de la chasse à la palombe aux filets.

M. P ..., de La Rochelle, voudrait que chaque chasseur reçût par les soins de la Fédération, lors de la délivrance du permis, une carte valable pour un territoire de chasse déterminé, destinée à remplacer les cartes délivrées par les multiples sociétés locales.

M. Lescalvura, des Basses-Pyrénées, après nous avoir donné un aperçu de la densité du gibier dans sa région, où les migrateurs constituent le fond de la chasse, voit une solution dans un groupement aussi large que possible des sociétés communales, ce qui permettrait l'organisation de vastes réserves ; il souhaiterait également que la vente du gibier fût interdite, afin que la chasse reste un sport et ne soit pas source de profits. Enfin, un renforcement des pénalités trop bénignes : un braconnier notoire pris sur le fait s'en tire avec 5.000 francs d'amende avec sursis et 1.000 francs pour son arme.

M. Chaussonnaud, retraité charentais, estime que l'opinion des petits chasseurs doit également être apportée aux débats. Dans sa commune existent 411 propriétaires pour 3.277 hectares ; 300 d'entre eux ont des exploitations inférieures à 5 hectares ; 12 seulement possèdent plus de 60 hectares. Terrain très morcelé, chasse gardée sur une propriété de 50 hectares et trois de plus de 60 hectares. Tout le reste est inorganisé, malgré les efforts faits pour créer une société de chasse. Toute tentative pour rassembler les propriétaires de parcelles minuscules est vouée d'avance à l'insuccès, en raison des divergences d'opinions. Or la situation sur l'ensemble du territoire français lui paraît être à l'image de son petit pays. Il faut se hâter de voter une loi sur la chasse, sinon, dit notre abonné, je plains les jeunes générations !

Pour terminer, laissons parler M. M ..., abonné ardéchois :

« Petit-fils et fils de chasseurs, dès l'âge de douze ans j'accompagnais mon grand-père à la chasse ; à seize ans, en 1917, je prenais mon premier permis. Mon petit village, 500 habitants, presque méridional, a pour limite, à l'est, le Rhône, puis, en allant vers l'ouest, se succèdent la plaine avec ses cultures diverses, vergers et vignes, puis un coteau de vignes avec ravins, ronciers, rochers, yeuses et genévriers ; enfin la montagne, avec ses fermes isolées, ses prés, ses cultures, ses bois. L'altitude d'est en ouest varie de 80 à 350 mètres. Avant l'année 1921, où je pris la tenue militaire, lièvres et lapins y faisaient bon ménage, de même que merles, grives et écureuils ; des perdrix et des alouettes partout. Cailles, tourdes, mauvis et litornes, gibier d'eau de toutes espèces nous fréquentaient régulièrement, sauvagines et oiseaux de proie y abondaient autant que le gibier ; ajoutez-y les petits bergers, tous dénicheurs.

« Il n'y a plus de petits bergers, plus de nuisibles et plus de gibier, tout a disparu à la fois, sauf de petites corneilles de rochers, héritage de 1914-1918. Je dois avouer qu'avant 1914 il y avait ici une dizaine de chasseurs, quatre ou cinq avec permis, le reste sans, pour narguer les gendarmes. On ne vendait pas le gibier et tout le monde en goûtait. À présent, nous sommes une armée — bien année — de 50 à 60 fusils, la bredouille ne fait plus honte et, si on tue quelque chose, tout le village l'a vite su.

« Ni chasse gardée ni lâchers n'ont repeuplé. Pour ma part, je crois que nos anciens étaient des sages, chassant par plaisir et sachant toujours laisser des reproducteurs, ce qui est plus utile que lois et gardes et sans allocations familiales au gibier. Tout allait, tandis qu'à présent on traque jusqu'au dernier lapin. Je ne donnerai pour preuve que, si le gibier ici se raréfiait à mesure que le nombre de chasseurs augmentait, en Alsace, où j'ai fait cette guerre, les braves Alsaciens où j'avais mes bureaux me disaient que le nombre des battues était fonction du nombre de gibier ; aussi, Dieu sait s'il y avait lièvres, lapins, perdrix et faisans dans ce bon village, à six kilomètres du Rhin, et de la moralité si ancrée qu'un jour où nous avions fait une brochette de merles on nous a reproché d'avoir tué ces oiseaux si utiles ; quant à tuer une faisane, c'était un crime. Nous n'en avons tué qu'une, n'en sachant encore rien, et laissé la vie aux merles.

« Il y a aussi corrélation avec l'emploi de produits plus ou moins français comme insecticides et dont la courbe d'emploi ascendante s'est traduite par une courbe descendante de notre gibier, de ses ennemis et, hélas ! de ces charmants oiseaux que nous, campagnards, nous aimions tant. Connaissant tous les ceps où une fauvette nichait, l'arbre fruitier où un pinson ou chardonneret avait son nid pour ne pas les déranger par nos travaux. Adieu, ces jolis chanteurs et compagnons !

« J'en arrive à haïr le progrès, tant en balistique qu'en insecticides, le snobisme de la chasse, pour revenir à trente-quarante ans en arrière, où je pouvais donner à manger aux pinsons et rouges-gorges pendant la mauvaise saison et même, comme pendant un dur hiver, garder un petit roitelet, dans une vieille cuisine, qui ne me quitta qu'aux beaux jours, s'évadant par la cheminée ... ou le trou de la serrure. »

Le Chasseur Français N°645 Novembre 1950 Page 654