Les aloses sont des poissons migrateurs, comme le saumon, et
c'est pourquoi j'en parle aujourd'hui. On les trouve dans toutes les mers qui
baignent nos côtes françaises et elles viennent dans tous nos fleuves. Elles
habitent au large pendant la plus grande partie de l'année. C'est au printemps
que leurs troupes, composées d'individus des deux sexes, s'approchent des
rivages et pénètrent dans les estuaires. La remontée commence en mars, mais,
comme elles ne parcourent guère plus de 20 kilomètres par jour, ou plutôt par
nuit, il leur faut un temps appréciable pour arriver dans la partie haute des
fleuves où elles frayeront.
De 1896 à 1904, j'ai pu constater leur présence dans
notre Loire, aux environs d'Andrézieux, que j'habitais alors, dès le 10 mai
habituellement. Elles ne remontaient guère plus haut que
Saint-Victor-sur-Loire, où l'on en prenait quelques-unes. L'arrêté préfectoral
permettait de les pêcher la nuit, jusqu'à 23 heures. C'est au grand épervier
clair qu'on en prenait le plus, sur les lieux de fraie et aussi à l'aide d'une
espèce de truble d'assez grandes dimensions, répondant au nom bizarre de « péligasse ».
À la ligne, les captures étaient très rares parce que, dans le jour, ces
poissons restent immobiles dans les fosses profondes. Elles frayent de 21 à 23
heures environ, dans des courants assez rapides, graveleux, propres et peu
profonds (0m,60 à 1 mètre). Leurs ébats s'entendent de loin et
alertent les pêcheurs.
À partir de 1904, année de chaleur et de sécheresse
anormales, où elles périrent presque toutes, je n'en ai plus revu chez nous.
Il existe deux espèces différentes d'aloses :
1° L'alose commune (Alosa vulgaris), qui
appartient, comme le hareng, à la famille des Clupéidés. Mais, alors que le
hareng, auquel elle ressemble beaucoup, ne mesure guère que 0m,25 de
long, l'alose adulte atteint couramment de 0m,70 à 0m,80.
Cependant, son poids ne répond nullement à cette belle taille. Alors qu'un
saumon de 0m,80 pèse environ 15 livres, l'alose de même taille
n'arrive que difficilement à 3 kilogrammes. Cela tient à la minceur de son
corps, très comprimé latéralement, comme celui du hareng. Ce corps est assez
élevé, aminci vers la queue. Les nageoires, sauf la caudale, grande et
fourchue, sont de grandeur médiocre.
La tête est plutôt petite, la bouche fendue presque jusqu'à
l'œil, n'a de dents qu'à la mâchoire supérieure, et encore sont-elles peu
visibles. Le dos est verdâtre, les flancs et le ventre d'un blanc argenté
brillant. En arrière des ouïes existent deux taches noires très apparentes.
2° L'alose finte (Alosa finta) est très
voisine d'aspect de la précédente. Cependant, elle paraît plus mince encore et
plus allongée ; ses flancs sont ornés de 5 ou 6 taches noirâtres ; elle
a des dents aux deux mâchoires. Sa taille ordinaire est de 0m,45, avec
un poids d'un kilogramme environ.
Elle a les mêmes mœurs que l'alose vraie, mais son frai a
lieu un peu plus tard et se fait plus en aval ; elle remonte moins haut.
Sa chair est sèche, farcie d'arêtes, nettement inférieure à
celle de l'alose commune, qui, dit-on, gagne en qualité après un séjour de
quelques semaines en eau douce.
Après le frai, les aloses, quelle que soit leur espèce,
deviennent maigres, épuisées, malades, et se laissent redescendre vers la mer
par les courants. Bien peu, dit-on, revoient l'eau salée, et leurs cadavres
jonchent les grèves aval des grands fleuves, en juillet-août.
L'incubation des œufs, pondus dans les graviers, est courte
(dix à douze jours). Les petites aloses, qui ressemblent à nos ablettes,
grandissent assez vite. En septembre, elles ont de 8 à 10 centimètres de long
et redescendent à la mer ; elles ne reviendront qu'à l'état adulte, pour
frayer à leur tour.
Comme nous l'avons constaté, les aloses ont beaucoup diminué
de nombre dans nos cours d'eau ; on en accuse la multiplicité des barrages
et la pollution des eaux. Il serait cependant possible, dans une certaine
mesure, d'y remédier, mais qui y songe au milieu de nos tracas ? Laisser
faire semble être le mot d'ordre.
Voici la liste des cours d'eau de France où remontaient
régulièrement autrefois de très nombreuses aloses : l'Aisne, l'Allier,
l'Ardèche, la Cèze, la Dordogne, le Gardon, la Garonne, l'Hérault, l'Isère, la
Loire, le Lot, l'Oise, le Rhône, la Saône, la Seine, le Tarn et la Vilaine ;
sans doute j'en oublie quelques-uns. Dans combien de ces rivières la migration
s'est-elle continuée ? Je ne le saurais dire, mais, en tout cas, elle a
fortement diminué d'intensité.
J'ai lu quelque part que des essais de repeuplement en masse
de ces poissons avaient été tentés aux États-Unis, mais je n'en connais pas les
résultats. La nage des aloses étant très puissante, il a été affirmé que les
lamproies en profitaient pour se faire véhiculer par elles en s'attachant à
leur corps par leur bouche-ventouse ; ce n'est pas impossible.
Dans nos pays du Centre, la pêche à la ligne de l'alose ne
donne que des résultats décevants, mais il n'en est pas de même en certains
estuaires au moment de la remontée. On les prend aux gros vers, au vif, aux
poissons morts, à la petite cuillère brillante, et même aux mouches
artificielles de taille moyenne (hameçons nos 6, 7 ou 8), qui
servent à pêcher la truite de mer ou les saumoneaux de printemps. Sans doute
réussirait-on aussi avec l'arénicole, la gravette, la petite civelle, ou même
la crevette crue ou cuite ; je n'ai pas eu le temps d'expérimenter ces
dernières esches, et les seules aloses que j'aie capturées l'ont été à la
mouche ou à la cuillère.
La touche de l'alose est franche, parfois même brutale,
surtout aux leurres artificiels. Sa défense, assez vive au début, ne dure pas
longtemps ; elle est vite fatiguée et se laisse amener assez aisément.
Il est bon, cependant, de la brusquer un peu et de faire
intervenir au plus tôt la gaffe, plus efficace que l'épuisette pour ce poisson
au corps allongé qu'il est peu facile d'empocher.
R. PORTIER.
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