Mon dernier article sur les boîtes Vibert a provoqué de la
part des lecteurs un certain nombre de demandes de précisions émanant surtout
de présidents de sociétés de pêche désireux d'essayer cette méthode d'alevinage
dont on parle beaucoup dans la presse halieutique.
Je crois donc devoir revenir sur cette question qui présente
un grand intérêt puisqu'il s'agit ni plus ni moins que du maintien de la
richesse piscicole des cours d'eau à truites.
Il est bien évident qu'en raison du grand nombre de pêcheurs
la fraie naturelle ne suffit plus à maintenir une population piscicole normale
dans les rivières à truites, sauf, peut-être, dans les rivières normandes où
les parcours particuliers, soigneusement gardés, sont des réserves précieuses.
Pendant ces vacances, j'ai surtout vu pêcher dans les gaves
pyrénéens et j'ai pu me rendre compte que, pratiquement, jamais une truite, non
pas de 22 centimètres, mais même de 18 ou de 16 centimètres, n'était remise à
l'eau. Or, à 16 centimètres, même dans des cours d'eau de montagne au fond
granitique, où la croissance est faible, la truite mâle est peut-être allée
l'hiver précédent sur la frayère, mais la truite femelle est strictement
immature et n'a pas reproduit une seule fois.
Quant aux conséquences, point n'est besoin d'être un grand
aménagiste piscicole pour les deviner, et depuis bien longtemps, et même avant
Colbert, auteur de l'ordonnance de 1669 sur les Eaux et Forêts, le législateur
avait émis en principe que nul poisson ne devait être péché s'il n'avait au
moins frayé une fois. Comme, d'autre part la truite femelle ne pond environ que
1.500 œufs par kilogramme de son poids, alors que la carpe et les autres
poissons blancs atteignent facilement 100.000, 200.000 et même 300.000 œufs par
kilogramme de leur poids, il est bien évident que nous allons rapidement vers
le dépeuplement de nos rivières à salmonidés.
D'autre part, la truite est en butte à de nombreux ennemis.
Citons rapidement : la non-destruction des anguilles, grandes dévoreuses
de frai, la sécheresse, le braconnage, d'autant plus qu'il faut tenir compte
que la truite femelle de trois ans, à sa première ponte, ne pond que des œufs de
mauvaise qualité qu'en pisciculture on trouve normal de déprécier d'environ 30
p. 100.
L'alevinage est donc, je le répète, une pratique
indispensable à l'heure actuelle. Malheureusement, les déversements d'alevins
portent trop souvent sur de petits poissons sous-alimentés. D'autre part, la
société qui reçoit 5.000 ou 10.000 alevins en confie le déversement à des gens
inexpérimentés qui déversent leurs bidons dans les rivières sans tenir compte
des prescriptions qui leur sont données relativement à l'égalisation de la
température et à tous les principes qu'a si bien décrits le professeur Léger
dans son petit ouvrage si pratique et si clair sur la pratique rationnelle de
la petite salmoniculture et sur les déversements d'alevins.
La méthode Vibert supprime la plupart de ces inconvénients.
Elle est d'abord moins coûteuse, car on achète des œufs au lieu d'acheter des
alevins de quatre ou cinq mois, alevins qui sont à la merci, dans les bassins
de pisciculture, de nombreux parasites et d'épidémies et qui, déversés en
rivière, mettent un certain temps à acquérir les réflexes de la vie libre. De
plus, on ne risque pas, avec cette méthode, de voir des quantités d'alevins
achetés à grands frais souffrir du déversement effectué par des incapables.
Une seule opération est nécessaire pour la mise en place des
boîtes Vibert, j'en indiquais le principe dans ma dernière chronique. Étant
donné l'engouement soulevé par cette méthode dont je suis le premier à
reconnaître tous les mérites, je crains que le zèle des néophytes et la mise en
place par des gens inexpérimentés ne provoquent un certain nombre d'échecs ;
ces gens seront ensuite les premiers à critiquer une méthode qui, je le répète,
huit fois sur dix, donne d'excellents résultats.
Tout d'abord, dans quel cas ne faut-il pas employer la
méthode Vibert ?
1° Les rivières à fond de sable doivent être éliminées ;
c'est le cas, par exemple, de certains cours d'eau des Landes et de la Gironde,
qui ont des eaux suffisamment fraîches pour permettre la vie à des truites,
mais où l'absence de graviers empêche la fraie naturelle ;
2° Les rivières à fond lent et vaseux, telles que certaines rivières
normandes, où toutefois les boîtes Vibert pourront être placées dans les
parties rapides et caillouteuses que l'on peut trouver en aval des barrages et
des piliers de ponts ;
3° Les fonds de rivières qui se trouvent en aval de
sablières ou de carrières lavant les matériaux.
Dans tous les autres cas de rivières à truites normales,
comportant des courants rapides et un fond de cailloux, la méthode Vibert doit
normalement donner de meilleurs résultats que les déversements d'alevins, et à
moindres frais.
Le président de société de pêche qui aura passé commande de
ces boîtes chargées d'œufs devra, avec quelques volontaires, reconnaître au
préalable les emplacements de la rivière où il immergera ses boîtes. Il
recherchera, comme nous l'avons déjà dit, une rivière à courant rapide avec
fond de cailloux de taille comprise entre 3 et 10 centimètres. J'ai déjà
précédemment indiqué l'intérêt qu'il y avait, lorsque le courant n'était pas
assez fort, à provoquer une veine liquide à courant rapide par la mise en place
de deux cailloux. Je précise que la boîte de 1.000 œufs est à peine plus grosse
qu'une grosse boîte de Gitanes.
La reconnaissance étant faite, il y a lieu de distribuer les
boîtes aux volontaires à raison de cinq à dix boîtes au maximum par personne ;
un homme seul suffit à les placer, qu'on munit d'une musette humide contenant
les boîtes et d'une binette ou d'une fourche de jardinier ; s'ils opèrent
soigneusement, il faut bien compter dix à quinze minutes pour mettre en place
une boîte dans de bonnes conditions.
Deux dernières précisions : dans le cas de lacs à
truites de montagne, j'ai essayé cette année de placer des boîtes Vibert sous
les cailloux de la rive d'un lac, pensant que le batillage serait suffisant
pour entraîner le développement des œufs : j'ai eu un échec quasi total.
Au contraire, j'ai eu un succès de 90 à 95 p. 100 en les plaçant à un émissaire
ou à un affluent du lac et partout où un courant vif permettait l'apport
d'oxygène nécessaire.
D'autre part, un de mes lecteurs m'a demandé s'il pouvait
utiliser les boîtes Vibert en pisciculture. Je ne puis que le lui déconseiller,
à l'heure actuelle. Des expériences vont être faites l'hiver prochain à ce
sujet et il y a lieu d'attendre. Les résultats qui seront obtenus au cours de
l'hiver prochain par la campagne d'alevinage donneront, à mon avis, des
conclusions favorables et une certaine proportion d'échecs dont il faudra
chercher les raisons, qui, neuf fois sur dix, seront celles que j'ai déjà
exprimées plus haut, c'est-à-dire l'emploi dans des rivières ou des fonds de
rivières à fond sableux, vaseux ou pollué.
Il faudra sans doute deux ou trois ans avant que les membres
des sociétés de pêche soient bien au courant de l'emploi de ces boîtes, mais je
suis persuadé que c'est là la formule de l'avenir pour nos rivières à truites.
DELAPRADE.
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