La technique, en athlétisme, a fait chaque jour des progrès
qui expliquent l'amélioration progressive des records. Il est bien certain que
les athlètes d'aujourd'hui ne sont pas supérieurs à ceux d'il y a dix ou vingt
ans en tant qu'hommes, car une race ne se transforme pas en si peu de temps, et
les qualités physiologiques et morphologiques de l'homme, à partir d'une
certaine classe, ne se traduisent que par des différences très minimes.
Mais deux facteurs expliquent que les records, malgré les
hauts chiffres qu'ils ont atteints, continuent à être dépassés chaque saison.
Le premier réside dans ce fait que la vulgarisation du sport a permis, dans une
masse de pratiquants devenue considérable, de faciliter le recrutement et la
trouvaille de « phénomènes » qui, sans cet engouement pour
l'athlétisme, si longtemps délaissé, seraient restés ignorés. Le second, et
sans doute le principal, est dans les progrès de la technique. On vient de le
constater encore aux récents championnats d'Europe, où les Français se sont
fort bien comportés d'ailleurs.
Parmi ces techniques, l'une des plus spectaculaires et des
plus efficaces à la fois est celle du saut en longueur, qui, en quelques
années, a permis de porter de 6 à 8 mètres le record mondial, où, dans cette
spécialité, l'homme saute aussi loin que le cheval ou le chien policier !
Elle consiste dans l'utilisation du « ciseau ». Le
saut en longueur avec ciseau, adopté dans tous les pays, n'a pas pour but,
comme on le dit souvent, de prolonger la trajectoire du sauteur. En effet,
celui-ci n'a aucun point d'appui pendant la phase de suspension du corps. Le
changement de position des segments jambes, bras et tronc, réalisé par le coup
de ciseau, a surtout pour effet de réaliser une élongation parfaite des muscles
de la partie antérieure des cuisses et du tronc (abdominaux en particulier).
L'opinion de Maurice Baquet semble pertinente lorsqu'il dit : « Cette
élongation musculaire, provoquée par le temps combiné d'extension dorsale et de
ciseau, prépare une contraction énergique des mêmes groupes musculaires,
réalisant une contraction balistique qui aura pour effet de faciliter
l'élévation des genoux et des jambes. Cette élévation permet, dans la phase
terminale, de reculer le point de chute. »
C'est donc pour réaliser une meilleure chute que l'on
pratique le ciseau. On le réalise pratiquement ainsi : l'impulsion
terminée, le corps du sauteur, qui prend l'appel du pied gauche, par exemple,
s'élève rapidement jusqu'au sommet de sa trajectoire dans la position suivante :
la jambe d'appel (gauche) traîne à demi fléchie en arrière ; la cuisse
libre (droite) est lancée en haut, jambe pendante, genou très élevé. Le tronc
est droit ainsi que la tête, les épaules sont élevées ainsi que les bras, le
gauche en avant, le droit latéralement. Au moment où le sauteur arrive au
sommet de sa trajectoire — ni trop avant, ni trop tard, — il effectue
une sorte de foulée dans l'air, en déroulant énergiquement en avant et en bas
la jambe droite, tandis que la jambe d'appel s'abaisse involontairement et se met
sensiblement au même niveau, à moins que le sauteur ne fasse un double ciseau.
En même temps, les bras changent de position, soit par une
circumduction simultanée par en bas, soit par une élévation opposée, l'ensemble
de ces gestes réalisant une extension générale de tout le corps permettant au
sauteur de ramener les jambes en avant, afin de porter ses talons le plus loin
possible de la planche d'appel.
La difficulté est de déclencher le coup de ciseau juste au
bon moment. Il faut pour cela, pendant la phase de suspension, penser à :
1° s'enlever ; 2° déclencher le ciseau une fois atteint le sommet de la
trajectoire ; 3° avancer le point de chute.
Au moment de la chute, se recevoir sur les talons, en
fléchissant le tronc sur les jambes et en ramenant franchement et énergiquement
les bras en avant, afin d'éviter la chute en arrière.
Tout ceci, direz-vous, est fort compliqué. En apparence
seulement. Vous y parviendrez facilement avec un peu de volonté et d'attention,
tout comme vous arrivez avec l'habitude à compter et régler des foulées pour
trouver votre appel au ras de la planche avec le maximum de vitesse, ce qui est
l'autre condition du succès.
Et puis vous avez sur vos anciens un privilège considérable :
la multitude de bonnes photos publiées à chaque grande épreuve par des revues
spécialisées, qui vous permettent, en les recoupant et les comparant, de
préciser la position des grands champions à chaque instant de leur saut ou de
leur course, et d'essayer de les imiter, ou tout au moins de corriger vos défauts
en comparant avec les leurs vos propres photos. Et, si possible, l'observation
attentive des films au ralenti, qui, mieux qu'un long discours, vous
décomposent un style.
Enfin, dernier conseil, n'oubliez pas que le style du saut,
comme celui du tireur ou du tennisman, est fait d'attention et de précision.
Aussi est-il nécessaire de vous « concentrer » tout au long d'une
compétition, de ne pas vous laisser distraire, entre vos essais, par le public
ou par les incidents du stade. Un bon appel est la condition première d'une
bonne performance.
Dr Robert JEUDON.
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