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Chronique ménagère

Conserves et vitamines

À l'entrée de l'hiver, légumes et fruits frais deviennent plus rares et plus chers, et on a tendance à utiliser les conserves en plus grande quantité que pendant l'été. Et les vitamines ? s'écrieront les ménagères avisées. Ne sont-elles pas irrémédiablement tuées par la chaleur pendant la stérilisation ? Eh bien ! non. La plupart des produits conservés par la chaleur, grâce surtout aux techniques modernes de fabrication, sont encore pourvues de vitamines en quantités suffisantes.

Les vitamines ne se comportent d'ailleurs pas toutes de la même façon vis-à-vis des agents destructeurs, dont les principaux sont la chaleur, l'oxydation, le milieu (milieu alcalin défavorable, milieu acide favorable à la conservation des vitamines), le temps (qui, en cas d'action lente mais persistante des trois autres facteurs, permet toujours à ceux-ci de détruire totalement les vitamines).

La vitamine A, appelée vitamine de croissance, est rapidement détruite au contact de l'air à température élevée ; mais elle résiste à la chaleur en l'absence d'oxygène (trois heures à 120° en atmosphère sèche, huit heures à 130° en atmosphère humide). Rappelons qu'on rencontre la vitamine A dans les foies de poissons (morue, flétan, thon) et d'herbivores (veau), dans les légumes verts (épinards, salades, choux, pois, haricots verts), les carottes, les tomates, etc.

La vitamine B1, ou antibéribérique, est détruite par l'oxydation ; l'action de la chaleur varie selon la réaction du milieu : elle résiste à une température de plus de 100° en milieu légèrement acide (deux heures à 120° en atmosphère humide), mais est détruite en milieu alcalin dilué. On trouve la vitamine B dans les plantes vertes (choux, poireaux, petits pois, salades), dans les graines de céréales (blé, orge) et de légumineuses (haricots, pois, lentilles), les pommes de terre, la tomate, le foie, etc.

La vitamine C, ou antiscorbutique, est la plus fragile des vitamines ; elle s'oxyde rapidement à toutes les températures, mais résiste à la chaleur à l'abri de l'air si le milieu est acide : en atmosphère humide, la destruction est seulement partielle en une heure à 120°. La plupart des légumes verts et des fruits frais, la tomate, le citron, le lait contiennent la vitamine C dont sont à peu près dépourvus viandes et poissons.

La vitamine D, ou antirachitique, est très stable et, à l'abri de l'air, elle résiste à la chaleur, au milieu alcalin ou acide ; cependant, elle s'oxyde lentement à l'air à la température ordinaire. Les sources principales de cette vitamine sont les poissons (hareng, thon, sardine, morue) et surtout leurs foies. On la trouve aussi dans le lait et le beurre d'été. Les rayons du soleil transforment en vitamine D le cholestérol qui se trouve sous la peau (d'où les bienfaits du soleil dans la décalcification).

Les vitamines sont donc plus résistantes aux agents de destruction qu'on pourrait le croire, et principalement à la chaleur, et la plupart des conserves contiennent encore une bonne partie des vitamines que ces mêmes aliments contenaient à l'état frais.

Pour les légumes, on stérilise aux environs de 115-120°, en atmosphère toujours humide, pendant un temps ne dépassant pas quarante-cinq minutes pour une boîte 4/4 (format le plus courant, correspondant à peu près à 1 kilogramme de légumes). Il n'y a donc qu'une destruction partielle de la vitamine C, tandis que les vitamines A et B résistent. Pour la vitamine D, le problème ne se pose pas, les légumes en contiennent très peu.

Pour les poissons, les températures de stérilisation oscillent entre 155° et 116° pour un temps très variable suivant les formats des boîtes : trente minutes pour les petites boîtes, deux heures et demie pour les grandes. Les vitamines A, D et B sont donc abondantes dans les conserves de poisson. Il en est de même pour les conserves de viande.

Les techniques modernes ont permis de réduire au minimum la durée des différentes opérations nécessaires à la fabrication des conserves alimentaires. Actuellement, toutes ces opérations sont faites à la machine et même à la chaîne ; il faut souvent moins de quatre heures pour transformer des pois sur pied en pois en boîte : une fois fauchés, les pois sont battus, puis transportés à l'usine en camions, et sont aussitôt lavés, triés, emboîtés et stérilisés mécaniquement.

Mais les conditions de stockage ont aussi une importance assez grande sur la teneur en vitamines des conserves : d'une façon générale, les principales vitamines présentes à l'origine dans la boîte se conservent bien à des températures comprises entre 0 et 10°, tandis qu'à des températures de 30-35° leur disparition est assez rapide : ainsi le jus de tomate, après trois mois de stockage, perd, par rapport à sa teneur initiale en vitamine C ; 50 p. 100 à 43° ; 7 p. 100 à 5°. Le flageolet vert perd 90 p. 100 de sa vitamine A en trois mois de stockage à 43° et 33 p. 100 en trois mois à 5°.

Il est donc préférable d'emmagasiner les conserves dans un endroit frais — sinon un frigidaire. Par exemple, une cave dont la température oscille entre 8° et 12° convient parfaitement à l'entreposage du stock familial.

Les conserves de ménage, surtout faites en bocaux de verre à bords rodés et caoutchouc, sont en général très bonnes : au cours de l'ébullition au bain-marie, l'air contenu au-dessus de l'aliment s'échappe, et il n'y a plus dans la boîte que de la vapeur d'eau ; après la stérilisation, la vapeur se condense, la pression à l'intérieur du bocal est inférieure à la pression atmosphérique, le couvercle est fortement appliqué contre la rondelle de caoutchouc, et on peut enlever le ressort sans que le couvercle s'en aille : c'est d'ailleurs un moyen de vérifier que la conserve est réussie ; ainsi, à l'abri de l'air, l'aliment se conserve parfaitement.

On peut donc affirmer que, dans une boîte de conserves convenablement préparée et conservée dans un endroit frais, il y a des vitamines en quantité suffisante.

Mais il ne faut pas manger que des conserves : une nourriture fraîche et variée, simple et saine, nous convient mieux que des menus « préfabriqués ». Pourtant si, de temps en temps, une boîte de conserves vient corser un menu ou suppléer à une déficience de l'approvisionnement journalier, l'organisme humain y trouvera une source très riche non seulement de vitamines, mais aussi d'éléments nutritifs de première valeur, et il ne s'en portera pas plus mal, au contraire.

A. PEYREFITTE.

Le Chasseur Français N°645 Novembre 1950 Page 692