Dès l'occupation de la partie française du Niger, nos
officiers, géologues et naturalistes constatèrent que, dans les âges
géologiques antérieurs, le Niger se dirigeait, dans son cours moyen, au nord et
vers l'ouest. L'ancien lit, complètement asséché, existe encore, ainsi que ceux
des défluents du fleuve. C'est cette région que nous appelons le delta du Niger ;
elle s'étend surtout de Sansanding au lac Débo.
Dès notre installation à Tombouctou, un petit canal,
permettant la création de quelques jardins, fut ainsi établi grâce à un ancien
défluent et à quelques travaux de curage.
Par la suite, l'ingénieur des travaux publics Bélime (au
courant des irrigations) survint et exécuta les premiers travaux de
reconnaissance permettant de lancer l'étude de l'irrigation du delta nigérien
et détermina l'emplacement des ouvrages de retenue d'eau pour alimenter les
canaux à remettre en action afin de rappeler à la vie un immense territoire.
Une première expérience fut tentée. Le barrage de Sotuba,
sur le Niger, près de Bamako, s'éleva. Il permet d'irriguer (grâce au canal de Situba)
5.100 hectares et de former deux villages destinés à fixer les méthodes de
culture et de colonisation à employer pour établir le plan complet. L'un de ces
villages est Baguineda.
Sur ce delta, s'étendant de Sansanding au lac Débo, il faut
:
1° Rétablir le Niger dans son ancien lit du nord afin
d'irriguer les terrains d'alluvions convenant aux cultures.
2° Protéger des inondations et irriguer l'autre partie du
delta, toujours en activité.
Pour cela, il a fallu établir un barrage de dérivation du
Niger, en tête du delta à Sansanding. Il alimente un canal se divisant en deux
bras principaux : l'un, le canal du Sahel, se dirige vers le nord,
irriguant des terres d'alluvions complètement desséchées. Le second, le canal
du Macina, parallèle au fleuve, irrigue également ce que l'on peut appeler le
delta vif. Les artères principales de ce système d'arrosage constituent
l'utilisation des anciens défluents du fleuve. Les eaux disponibles du Niger peuvent
permettre de prévoir l'utilisation de 450.000 hectares qui, par le jeu des
assolements, donneront 200.000 hectares de coton et 75.000 hectares de riz.
En exécutant des ouvrages de retenue sur le cours supérieur
du Niger afin de régulariser son débit, il serait possible d'augmenter encore
les terres cultivables, sans cependant arriver à la totalité qui serait de
1.000.000 d'hectares pour le coton et de 700.000 pour le riz.
Réalisations.
— L'exploitation pilote du barrage de Sotuba à Bamako
alimente un canal de 22 kilomètres irriguant 2.300 hectares de rizières dans le
centre de Baguineda, exploité par 4.000 habitants.
Le barrage de Sansanding, construit de 1934 à 1947, en
utilisant le gros matériel mécanique moderne, a une partie mobile de 816 mètres
de longueur et une partie fixe de 1.800 mètres. Il compte parmi les plus
importants du monde. Il est complété par un canal de navigation de 8 kilomètres
de long, avec écluse, centrale thermique et d'importants ateliers.
Le canal de Macina, muni d'un ouvrage de prise avec écluse,
possède un parcours artificiel de 24 kilomètres qui rejoint un ancien défluent
(la rivière de Boky-Wéré) endigué et rectifié sur 47 kilomètres. Il irrigue le
centre rizicole de Kokry, possédant 8.000 hectares de rizières exploitées par
10.000 Africains formant trente villages. Une digue de 69 kilomètres, en
bordure du Niger, protège ces aménagements des crues du fleuve.
Le canal du Sahel, pourvu en tête d'un même ouvrage que
celui du Macina, débute par un parcours artificiel de 24 kilomètres, puis
rejoint un ancien défluent du Niger (la Kala de Molodo) endigué et rectifié sur
63 kilomètres. Il irrigue le centre cotonnier de Niono (6.000 hectares, dont
2.000 hectares effectifs de coton) et le secteur rizicole de Molodo (1.000
hectares), amorce d'aménagements en cours d'extension. Ces deux centres sont
exploités par 5.500 Africains répartis en dix-neuf villages.
Aujourd'hui, la tâche de la direction de l'Office du Niger
est toujours agronomique, économique, mais surtout de colonisation africaine et
sociale.
Il faut amener des colons indigènes sur les terres
irriguées. Les volontaires ne manquent pas, il s'en présente environ 2.500 par
an — plus que de besoin. Les nouveaux admis sont placés dans des villages
de même race et même origine. Malgré cela, il y a parfois des protestations de
leur village d'origine, dont le chef réclame son ex-administré ou encore une
jeune fille pour la marier. Ces faits sont dus, même en pays fétichiste, aux
coutumes religieuses et usages locaux ; ils s'atténueront avec le temps.
Dans une famille, les nouveaux colons reçoivent un lot de 6
hectares par tête de travailleur de quinze à cinquante ans, le cheptel mort et
vif, plus des vivres jusqu'à la prochaine récolte.
Les associations agricoles et les services de l'Office du
Niger achètent la récolte du colon à un prix supérieur à celui qu'il pourrait
en tirer seul. Un fort encadrement technique lui permet d'obtenir des récoltes
supérieures à celles des villages voisins. Son revenu atteint en moyenne, pour
une famille de dix personnes, 53.100 C. F. A. (valant le double du
franc métropolitain) ; par travailleur de quinze à cinquante-cinq ans,
18.989 C. F. A., prix donné à Kokry aux riziculteurs. À Niono, centre
cotonnier, 54.100 C. F. A. par famille de dix personnes et 20.648 C. F. A.
par travailleur.
L'organisation sanitaire arrive à des résultats contrôlés :
en 1948-1949, la natalité est de 52 p. 1.000, alors que la moyenne est de
30 à 40 p. 1.000. L'excédent des naissances sur les décès est de 25,1 p. 1.000,
la moyenne de l'A. O. F. étant de 5 à 10 p. 1.000 ; la
mortalité de 26,5 p. 1.000, au lieu de 30 à 40 p. 1.000.
Tout cela fait honneur à M. P. Viguier, ingénieur
général d'agriculture coloniale, qui dirige cet Office depuis plusieurs années
et le mènera à un succès comparable à celui de l'Égypte antique.
Victor TILLINAC.
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