À côté de la radiovision apportant à domicile un spectacle
de la rue ou de la scène, il existe une télévision peu connue du grand public,
mais dont les progrès sont destinés à bouleverser totalement les conceptions de
l'océanographie et du génie maritime, surtout en matière de sous-marins.
Radiovision sans fil et télévision avec fils sont toutes
deux issues des applications de l'électronique, découverte par le grand savant
de Broglie. Toutes deux utilisent, en particulier, la télécamera pour prendre
les vues et la lampe-tube à rayons cathodiques pour la vision.
Dans l'état actuel de la technique, on peut comparer les
résultats obtenus pour l'image avec ceux du film réduit de format 16
millimètres du cinéma d'amateur. Ils autorisent une parfaite transmission d'images,
mais aussi de textes, dessins, schémas, cartes et autres, et ce en une durée si
minime que l'on peut la tenir pour négligeable.
Toutefois, il existe des inconvénients que l'on ne peut
ignorer : la transmission des images par fil en télévision, ou sans fil,
en radiovision, demande des appareillages extrêmement complexes, délicats,
fragiles et coûteux. La présence de circuits pluraux oscillants,
amplificateurs, modulateurs, synchronisateurs, signalisateurs et autres impose
un grand nombre de lampes aux réglages délicats. L'onde porteuse de l'image
doit, en outre, utiliser de très hautes fréquences, décuple, vingtuple et plus
de celle de modulation.
En matière de radiovision, la distance de transmission est
limitée par le rayon de l'horizon optique, soit 60 à 80 kilomètres pour les
émetteurs les plus élevés. La télévision a des prétentions infiniment moindres,
se limitant à 2 ou 3 kilomètres, mais n'encombrant pas l'éther comme sa sœur,
car il faut se souvenir qu'une seule image de 819 lignes accapare une bande de
fréquence qui, en matière phonique, autoriserait quelques 2.000 transmissions.
La première idée de télévision adaptée à l'océanographie est
due au savant français G. Neuroi, peu après le début des préparatifs pour
descendre en bathyscaphe dans les abysses océaniques, par le professeur Bebee.
En présence des énormes frais de l'expérience, et aussi de ses dangers, G. Neuroi
proposa aux milieux savants de l'océanographie de France de faire descendre
tout simplement une caméra de télévision, dans un protecteur étanche, et de
recevoir sur un bateau les images du fond sous-marin exploré, convenablement
éclairé, d'autre part, au moyen de projecteurs électriques très puissants.
Ces propositions ne furent pas retenues, pas plus que
celles, analogues, de 1932, du professeur Hartmann. Renouvelées en 1949, après
le retentissant échec de l'expérience Picard, elles vont recevoir une première
application pratique pour l'exploration des fonds marins aux approches
d'Abidjan, où l'on travaille à l'installation d'une usine électrique utilisant
comme force motrice l'énergie thermique des mers, selon les procédés G. Claude.
Mais, à côté de ces utilisations pour les travaux maritimes,
le génie naval a prévu l'emploi de la caméra électronique pour que les
sous-marins ne soient plus sourds et aveugles. Ce véritable périscope
électronique est appelé à provoquer un bouleversement beaucoup plus grand que
celui réalisé par le Schnorckel pour l'alimentation en air des moteurs et
l'expulsion des gaz d'échappement.
Jusqu'à la dernière guerre, il n'y avait pas, à proprement
parler, de sous-marins, mais des « submersibles ». La différence
réside en ce que la coque étanche est interne et les ballasts extérieurs, la
navigation en plongée étant l'exception. Avec le Schnorckel, le principe est
changé, et à plus forte raison quand aura été mis au point le moteur à eau
oxygénée, dont le coût d'utilisation actuelle est de plusieurs millions à
l'heure. Or les submersibles actuels descendent facilement à 100 et 120 mètres
de profondeur, et on a eu la certitude que les ingénieurs allemands étaient
parvenus à des profondeurs doubles, de l'ordre de 250 mètres. Avec de telles
plongées, l'engin est totalement aveugle et navigue au jugé.
Il n'en est plus de même avec le périscope électronique, pouvant
atteindre largement le kilomètre de longueur, sans que l'image soit altérée. Il
est constitué par une bouée étanche avec un miroir tournant, balayant l'horizon
et réfléchissant ses vues dans le champ de la caméra. Celle-ci à son tour
envoie l'image par fil au sous-marin, où un appareil à lampe-tube cathodique
permet la vision.
Un autre emploi, non moins important, de la télévision se
concrétise dans la « télémétrie électronique », où l'appareil optique
servant à apprécier les distances se voit substituer deux télécameras
conjuguées. L'immense avantage, c'est que l'on n'est plus alors limité par un
montage métallique pour constituer une base aussi grande que possible en
écartant au plus les prismes de réflexion. C'est toute la largeur du navire,
soit jusqu'à 32 mètres, et même toute sa longueur, pouvant être de l'ordre de
300 mètres, qui devient utilisable. En matière navale, cela a une immense
importance, car de l'estimation très exacte des distances résulte la précision
du tir. Et, dans un combat naval, il y a d'abord l'effet de surprise envers
l'adversaire, mais aussi l'importance de l'efficacité des premiers obus :
il en résulte la mise immédiate hors de combat, se traduisant par une économie
de munitions, de matériel et de vies humaines.
Beaucoup moins important, par contre, est l'emploi de la télécamera
pour voir la surface de la mer : son cercle de vision est identique à
celui de l'optique, et le seul intérêt résulte de ce que l'œil électronique
voit à travers brumes, brouillards et fumées, ce qui détruit l'efficacité du
camouflage par nuage de fumée. Les radiations infra-rouges lui sont en effet
perceptibles.
La télécamera se trouve, dans ce cas, supérieure encore au
radar. Celui-ci émet des radiations qui vont se réfléchir sur l'objet, côte,
roche, navire ou autre à signaler, mais, en contrepartie, cette émission se
trouve repérable par l'adversaire. Inversement, la télécamera, ne faisant que
recevoir des radiations lumineuses, reste absolument discrète et secrète.
La mise en évidence de ces perceptions infra-rouges se fait
alors par la méthode classique de la photographie de ce nom.
Un autre intérêt de l'emploi de ces périscopes électroniques
est la possibilité de grouper dans le poste de commandement des appareils
récepteurs contrôlant les indications des appareils de mesures ou de
surveillance des machines : compte-tours, manomètres, indicateurs de
niveaux et autres. Une transmission d'indications peut se fausser, mais il n'en
est pas de même de la lecture d'appareils directs, car ou la transmission de
l'image fonctionne, ou elle se paralyse, mais, en aucun cas, une indication
fausse ou altérée ne peut être fournie.
Après la télévision avec fil, la marine utilisera la
radio-vision sans fil dans des cas plus spéciaux. Le premier est celui de
l'augmentation du cercle d'horizon, grâce à une radiocamera portée par un avion
de reconnaissance. Avec lui, le cercle passe de 30 kilomètres de rayon à plus
de 100, et c'est indispensable, car les canons modernes de 405 ont une portée
de plus de 50 kilomètres. Une autre application est celle de la transmission
instantanée d'un message écrit avec des figures, plans et cartes. On est même
arrivé là à une merveille technique. La transmission du message est précédée de
celle d'un signal modulateur, accordé sur un récepteur qu'il enclenche. L'image
reproduite sur l’écran du tube cathodique se trouve alors filmée
automatiquement, et l'appareil comporte un « photomaton »
perfectionné qui, en moins d'une demi-minute, fournit à la fois une pellicule
développée et séchée et une bande de papier sensible présentant les épreuves
multiples de la transmission.
Le seul malheur est que tous ces progrès aient dû être
réalisés pour une marine de guerre avec l'immense œuvre de mort et de
destruction qu'elle représente. Mais on peut estimer que l'exploration
scientifique des abysses et grands fonds marins l'utilisera au même titre que
les navires d'explorations des régions inconnues ou de déserts marins comme des
étendues circumpolaires.
Marcel PAYS.
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