La truffe disparaît : l'homme en est cause plus encore
que les grandes sécheresses qui sévissent depuis le commencement du siècle.
On peut dire qu'avant les deux dernières invasions, qui
dateront, dans l'Histoire, la destruction de tant de choses, seuls, ou presque,
les truffiers de profession exploitaient le précieux tubercule : beaucoup
d'entre eux même exerçaient ce métier de père en fils depuis de longues
générations, et personnellement nous en avons connu deux, dont l'un descendait
en ligne paternelle d'une famille déjà citée comme telle avant Louis XIV et
dont l'autre d'ascendance truffière au moins aussi ancienne affirmait remonter
là-dessus à Charles V.
Bien entendu, ces hommes-là n'opéraient qu'à l'aide de
chiens ou de porcs (on a parfois, paraît-il, employé des chats) se contentant
d'extraire la truffe indiquée par leur auxiliaire, mais se gardant bien de
piocher à tort et à travers comme le font aujourd'hui tant de braconniers, il
n'y a pas d'autre mot, aussi nuisibles qu'incapables, qui mettent les
truffières sens dessus dessous et, en deux ou trois ans de ce régime, en
causent l'extinction totale.
C'est que rien n'est plus facile à reconnaître que
l'existence d'une truffière, de l'espèce tardive surtout, attendu que la terre
y est complètement nue et toute végétation bannie.
Si encore le produit de ces dévastations était bon à quelque
chose ! Ces destructeurs savent-ils seulement que, si la truffe d'été
mûrit entre août et novembre, par contre celle d'hiver ne mûrit qu'entre le 15 décembre
et le début d'avril et qu'une truffe verte est sans la moindre valeur culinaire ?
Du moins s'ils le savent, en tout cas une grande partie du
public l'ignore, puisqu'ils arrivent à écouler de tels produits.
Que les acheteurs éventuels se méfient donc. Surtout qu'ils
ne se laissent pas tromper par certaine odeur de madère exhalée par maintes
conserves et destinée à remplacer le parfum inexistant de truffes déterrées
prématurément.
Ce n'est pas tout : rien ne se communique aussi vite
que le parfum de la truffe ; si bien que vertes et mûres mises dans le
même sac procurent à peu près les mêmes sensations olfactives. Mais avec cette
différence essentielle que les mûres ont un parfum beaucoup plus pénétrant ;
voilà ce qu'il importe de se rappeler.
Par parenthèse, cette rapide transmission d'odeur est
précieuse et économique au point de vue culinaire : mettez ensemble en
vase clos un jour ou deux des truffes et des œufs, et vous pourrez, avec
ceux-ci tout seuls, faire omelettes ou œufs brouillés aussi parfumés que s'ils
étaient accompagnés de leurs voisines.
La truffe d'été est aussi parfumée que celle d'hiver, mais
l'arôme en est moins fin. Extérieurement, ses aspérités sont plus grandes,
souvent en forme de pyramide. À la cuisson, la chair prend la teinte café au
lait.
L'espèce d'hiver devient au contraire noire à la cuisson.
Quant à la qualité, dès lors que le degré de maturité est
atteint, on peut dire qu'elle est à peu près la même partout pour une variété
donnée, qu'il s'agisse du Périgord, du Comtat venaissin ou de la Bourgogne :
c'est du reste dans une minuscule truffière de cette dernière qu'il m'a été
donné, certain jour d'avant 1914, de trouver les produits au parfum le plus fin
et le plus original qu'il m'ait jamais été donné d'apprécier.
A. D.
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