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Résurrections

J'ai lu, il y a quelques mois, la mésaventure arrivée à ce chasseur qui, venant d'abattre une oie sauvage qu'il contemplait avant de la mettre dans son carnier, vit surgir brusquement devant son chien, en bordure du marais où il chassait, un renard auquel, laissant tomber son oie à ses pieds, il envoya son deuxième coup. L'animal, bien touché, fit une centaine de mètres poursuivi par le chien, puis s'affala, pris par ce dernier. Le chasseur y courut et, revenant enfin sur ses pas avec son renard pour aller ramasser son oie, eut la désagréable surprise de la voir reprendre son vol et disparaître avant qu'il ait eu le temps de recharger son arme.

Cette « résurrection » n'est certes pas un fait isolé. Combien de chasseurs ont été les témoins d'aventures semblables arrivées à des confrères ou à eux-mêmes. Combien de pièces de gibier qui, prises pour mortes, ont brusquement repris goût à la vie et leur ont, sinon définitivement faussé compagnie, comme l'oie en question, du moins ont cherché à le faire et ont pu être arrêtées à temps.

On m'a raconté, il y a peu de temps, cette histoire arrivée à un chasseur invité à une chasse au marais où il abattit un canard, le premier de sa vie. Tout fier de son exploit, il admirait le bel oiseau qui se débattait encore dans ses mains quand son hôte voulut lui montrer la belle façon dont son jeune chien rapportait. Prenant le canard, il le lança aussi loin qu'il put, donnant au chien le commandement habituel : « Apporte ! » Mais, au moment où l'animal se précipitait, le long cou s'envolait, laissant nos deux nemrods cloués de stupeur et de dépit.

Je me souviens d'un jour, bien lointain, hélas ! où mon père rentra à la maison avec un perdreau dans son sac. Ouvrant le carnier pour en retirer l'oiseau, celui-ci ne lui en laissa pas le temps et s'envola dans la cuisine, où, durant quelques minutes, ce fut une poursuite endiablée. Heureusement, le risque de perte n'existait pas, mais, dehors, c'eût été certainement une autre affaire.

Il y a aussi l'histoire de ce lapin pris dans une bourse au trou d'un terrier que l'on furetait. Assommé du coup classique derrière les oreilles, il fut posé à terre, car un autre de ses congénères venait à son tour de s'engouffrer dans une bourse voisine ; et, tandis qu'on s'occupait de ce dernier, l'autre, revenant à lui, prenait la poudre d'escampette et se perdait dans le fourré. Cette histoire n'est pas vieille : elle date seulement de la veille du jour où j'écris ces lignes.

Il m'est arrivé une fois, étant jeune, d'abattre une pie, non point, alors, pour le seul but de détruire un oiseau nuisible, mais parce que je faisais mes premières armes et que tout ce qui était à portée était bon à tuer, et aussi parce que la pie en salmis, disait ma mère, c'est aussi bon à manger qu'un pigeon. Je les affûtais au coin d'un bosquet de pins où elles venaient passer la nuit. Je l'avais posée à terre à côté de moi, attendant la suivante, quand, brusquement, je la vis bouger et chercher à s'envoler. J'allongeai précipitamment le bras pour la prendre, mais n'attrapai que sa longue queue qui me resta dans la main, tandis qu'enfilant un fossé plein de ronces elle disparaissait à jamais. J'ai vu voler, précisément, étant à la chasse il y a quelques jours, une Margot dépourvue de son panache caudal, ce qui m'a rappelé cette aventure de mes jeunes années de chasseur. C'est, je vous assure, un drôle d'oiseau qu'une pie sans queue ; elle paraît vraiment bien désemparée et on voit bien qu'il lui manque quelque chose !

Enfin, on m'a raconté, un jour, l'histoire de ce lièvre qui faussa in extremis compagnie aux chasseurs qui l'avaient abattu juste avant l'heure du déjeuner. Ils étaient quatre joyeux compagnons, en train de deviser devant la porte de la ferme, arme déchargée, le capucin étendu, mort, près du seuil. Soudain, l'un d'eux toucha la bête du pied. D'un bond, celle-ci fut en l'air, traversa la cour en deux sauts et, avant que les spectateurs fussent revenus de leur stupeur, passa la route et gagna le bois distant de quelques dizaines de mètres seulement. Les chiens mis sur la piste allèrent cependant le retrouver à quelque distance de là ; mais l'alerte avait été chaude et on en parla longtemps.

Des faits de ce genre sont assez courants et je suis certain que, si l'on pouvait les recueillir tous de la bouche des chasseurs, on arriverait à en former un joli recueil. L'explication de ces « résurrections » est donnée par diverses raisons : nerf touché par un grain de plomb qui a frappé le gibier, pour un temps plus ou moins long, d'une espèce de paralysie sans qu'il ait reçu de blessure mortelle ; choc brutal du coup de fusil qui a assommé la bête, frappée comme d'un évanouissement dont elle revient ensuite ; le tout accru par une grande terreur qui achève de l'immobiliser et qui, ensuite, avec le calme revenu, disparaît peu à peu et rend de nouveau la victime consciente. Et tant d'autres raisons physiologiques qu'expliqueraient mieux que moi les gens de science. Mais ce n'est pas surtout pour expliquer que j'écris ces lignes. C'est, uniquement, pour rappeler aux chasseurs, à certains du moins, que, si nous tuons oiseaux et quadrupèdes, nous devons le faire avec le souci de les faire souffrir le moins possible. Le but de la chasse n'est pas de tuer des êtres vivants pour le seul plaisir de leur ôter la vie ; car s'il en était ainsi ce serait à juste titre que les âmes sensibles qui prennent les chasseurs pour des êtres cruels et sans pitié pourraient leur en faire grief. Beaucoup d'entre nous, d'ailleurs, sont incapables de saigner un lapin ou un poulet, alors que tant de ménagères le font sans sourciller. La chasse pour nous, c'est le plaisir de la recherche, l'imprévu de ses rencontres, les difficultés vaincues, le beau et difficile travail du chien, la satisfaction d'un joli coup de fusil bien réussi qui flatte intérieurement notre amour-propre et aussi la joie de rapporter à la maison une belle pièce de gibier. Tuons donc, mais en abrégeant le plus possible la souffrance du gibier. Et, quand nous mettons une pièce dans notre carnier, assurons-nous qu'elle a bien cessé de vivre. Ne faisons pas comme certains pêcheurs qui glissent vivant dans leur musette le poisson qu'ils viennent de prendre en le laissant agoniser par asphyxie lente pendant un temps assez long. Je n'ai jamais, quant à moi, mis une truite dans mon panier sans lui avoir cogné, d'un coup sec, le crâne sur le bout de ma botte ou sur une pierre, ou plié brusquement sa tête en arrière, ce qui amène une mort instantanée.

À la chasse, un oiseau désailé ou autrement blessé : perdreau, pigeon, poule d'eau, bécasse ou tout autre, ne doit pas, comme on le voit souvent, être étouffé par une pression des doigts sur les flancs, ce qui n'amène la mort que lentement et fait se débattre lamentablement la victime pendant plusieurs minutes ; un bon coup frappé avec sa tête sur le canon du fusil est plus expéditif et provoque une mort immédiate, évitant ainsi au gibier une souffrance inutile. Pour le lièvre et le lapin, le coup classique bien appliqué derrière la nuque est également radical. Mais, de grâce, pas de ces plumes enfoncées au bas du crâne par la pointe, comme je l'ai vu faire ; pas de ces torsions du cou lentes et cruelles, pour le canard blessé notamment. Ne faisons pas office de bourreaux. La chasse est un trop beau sport, trop sain, trop plein de jouissances profondes et pures, pour que nous en gâtions le charme par des pratiques cruelles et inhumaines. Soyons de bons chasseurs, certes, mais aussi des chasseurs bons.

FRIMAIRE.

Le Chasseur Français N°646 Décembre 1950 Page 706