Depuis quelques années, nous assistons à un amenuisement
continu des conditions ordinaires qui étaient faites autrefois à cette chasse.
Dans de nombreux départements, nous avons vu la date
d'ouverture de la chasse au marais, autrefois traditionnellement fixée au 14 juillet,
être retardée, parfois même jusqu'à l'ouverture générale.
Nous avons pu voir aussi la fermeture avancée ...
La chasse à la hutte, qui, après une alerte en 1935, avait
continué à être pratiquée de nuit, selon une tradition immémoriale, a subi
cette année des atteintes fort graves : de très honorables chasseurs ont
été traités en braconniers, appelés devant les tribunaux et condamnés pour
chasse de nuit, alors qu'une tolérance passée en force de droit l'admettait
sans discussion.
Le dernier arrêté ministériel fixant les dates d'ouverture
et de fermeture a, de nouveau, restreint d'autres coutumes des chasseurs de
sauvagine. Il était passé en règle générale, et réglementé par les arrêtés
préfectoraux, que la chasse au gibier d'eau pouvait être exercée le long
des rivières, étangs, canaux, etc., en ne s'écartant pas de plus de 30
mètres des bords. Ceci s'appelait la « tolérance des 30 mètres ».
C'était, je le répète, plus qu'une tolérance, puisque explicitement codifié par
les préfets.
Or le dernier arrêté ministériel a rappelé aux
préfets qu'ils n'avaient pas le droit d'accorder cette tolérance et qu'en
conséquence, en dehors de la période d'ouverture générale, pour chasser sur les
fleuves, étangs, etc., il fallait être dans l'eau, en bottes ou en
bateau ! ...
Cette hygiénique mesure, prise évidemment dans un but de
santé publique, peut avoir quelques charmes en été, encore que, le long des
canaux et des rivières aux berges escarpées, le caleçon de bain sera de
rigueur. Mais, dans la plupart des cas, le Français moyen, n'ayant pour l'eau
qu'une estime modérée, ne pourra chasser que s'il possède un bateau.
Le prix du plus modeste bateau dépasse celui d'un fusil (et
on ne nous a pas encore payé ceux enlevés par l'ennemi), son entretien, son
garage posent des questions ... que le ministre ne se préoccupe pas de
résoudre.
À quelles préoccupations se réfère donc ce rappel de la loi
aux préfets ? Eh ! bon Dieu ! à l'unique, la sacro-sainte
sauvegarde du gibier sédentaire (!) pour lequel on ne saurait trop faire et
pour lequel la seule mesure raisonnable consistant à ne pas favoriser la
multiplication du nombre des chasseurs (je ne dis même pas la réduction de ce
nombre) ne veut être envisagée par personne ...
Le vrai ennemi du gibier, celui qui le « détruit »
réellement, ce n'est ni le braconnier, ni les nuisibles, ni les épizooties,
c'est l'homme muni d'un permis et se répétant à deux millions d'exemplaires ...
Le nombre des chasseurs croît indéfiniment ; celui du gibier ne peut
suivre la même courbe : donc il y a déséquilibre. Alors qu'on admet fort
bien que, pour voyager en première classe ou en avion, prendre un apéritif ou
aller au cinéma, il faut payer, et payer fort cher, on estime démocratiquement
que tout homme doit pouvoir chasser au moindre prix, et en aussi grand nombre
que possible. Tout est disposé pour arriver à multiplier le nombre des
chasseurs ...
Alors que le prix du permis de chasse, en 1914, représentait
le salaire de dix journées de travail d'un ouvrier agricole, il n'en représente
plus même deux, aujourd'hui, au prix actuel.
Et, comme si le nombre des chasseurs n'était pas plus que
pléthorique, la loi du 13 avril 1946, par son déplorable article 42 bis
étendant aux fermiers le droit de chasser sur les terres qu'ils louent, a
permis de désorganiser nombre de sociétés de chasse, qui fonctionnaient fort
bien, et dans lesquelles des quantités de chasseurs se sont infiltrés sous son
égide. Et comme cela ne suffit peut-être pas encore, on propose d'accorder le
même privilège (il n'y a pas d'autre mot) à tous ceux qui aident le
cultivateur, parents et amis ou ouvriers du fermier ! ...
On croit rêver ...
Si on trouve normal de donner le droit de chasser à tout
homme qui travaille la terre, pourquoi ne pas donner une automobile à tout
ouvrier d'une usine d'autos ?
Presque toutes les fédérations départementales, les
groupements organisés de chasseurs et les plus hautes autorités cynégétiques
ont déploré les ravages causés par l'application du fameux article 42 bis ...
Aussi, devant la disparition du gibier sédentaire, on prend
des mesures, on préconise des restrictions ... sur le dos des chasseurs de
gibier d'eau ...
C'est parce que, pendant que la chasse générale est encore
fermée, un chasseur pourrait, sous le fallacieux prétexte de tirer un canard,
assassiner un lièvre ou un perdreau, qu'on voudrait réduire la durée de la
chasse au gibier d'eau à la seule durée de la chasse en plaine.
Mais n'y a-t-il que le gibier d'eau qui ait le « privilège »
de voir sa chasse prolongée après la fermeture générale, par exemple ? Les
destructions de lapins et la croule de la bécasse ne peuvent-elles être aussi
prétexte à braconnage ... et même bien plus facilement que la chasse au
bord de l'eau ? ...
Et je vois ce paradoxe : tandis qu'on restreint les
droits des chasseurs de sauvagine, en leur supprimant cette modeste tolérance « des
30 mètres », on augmente considérablement les facilités des chasseurs « à
la croule » en réduisant à deux hectares la superficie des bois (jusqu'à
cette année fixée à cinq) où cette chasse sera autorisée jusqu'au 31 mars.
Et c'est le même arrêté qui réglemente cette double mesure.
C'est le cas de le dire : deux poids, deux mesures.
Ce n'est pas tout : une circulaire ministérielle, en
date du 6 mai 1950, a indiqué aux préfets que, là où la chasse de la
sauvagine n'est qu'exceptionnelle, elle ne pourrait s'exercer que durant la
période d'ouverture générale. Cependant, si on chasse la sauvagine, même
exceptionnellement, c'est qu'il y en a — même très peu, si l'on veut, mais
il faut qu'il en existe ; c'est donc une nouvelle restriction apportée aux
chasseurs de ce gibier. Et qui sera juge de dire si cette chasse est exceptionnelle ? ...
Voici plus de quinze ans que cette politique est suivie ;
restrictions sur la chasse du gibier d'eau, sous prétexte d' « éviter le
braconnage du gibier sédentaire ».
Éviter le braconnage ? Faites donner les gardes, donc ! ...
Et qu'on « sale » à outrance les vrais braconniers, qui tuent un
lièvre baptisé « canard », ou une perdrix surnommée « sarcelle ».
Mais qu'on ne s'acharne pas à empoisonner le chasseur de hutte, qui tire quand
il passe le gibier qui tombe la nuit à sa mare. Il faut bien prendre l'argent
là où il est ... Et pourquoi pas le gibier, quand il est là ? ...
Voilà où nous en sommes. Et cela continuera de mal en pis,
tant que les chasseurs de sauvagine ne sauront pas imposer le respect de leurs
intérêts. Pourtant, c'est le nombre qui compte ; mais seul vraiment compte
le nombre organisé, c'est-à-dire groupé, et officiellement représenté par des
dirigeants agissants.
Or le nombre, nous le sommes : il y a plus de 600.000
chasseurs qui sont surtout chasseurs de gibier d'eau. Certains estiment même
que nous sommes un million ! ...
Mais, pour le groupement, c'est autre chose : combien
de ces 600.000 appartiennent à un groupement ou une société spécialisée de
chasseurs de gibier d'eau ? Combien appartiennent à l'Association de
huttiers et chasseurs de gibier d'eau, le Groupement national des chasseurs de
sauvagine de France, dont j'ai l'honneur d'être le président depuis sa
fondation, en 1935 ? ...
Étonnons-nous, après cet examen de conscience, de n'être pas
écoutés ...
Il faut être le nombre organisé ; le nombre,
c'est la cohue ; le nombre organisé, encadré, c'est une armée. Ce cadre,
nous l'offrons aux chasseurs de sauvagine, las d'être traités en parents
pauvres et qui craignent de voir encore restreindre les rares libertés qui leur
restent.
Et qu'on ne croit pas que seules les restrictions que
j'expose ici sont les seules menaces qui guettent notre chasse : il en est
d'autres encore, et ce sera l'occasion d'un autre article.
Qu'on ne croit pas non plus qu'il suffise de déplorer, voire
même de protester bruyamment contre une réglementation peu opportune : il
faut faire plus, il faut, à la fois, proposer des réglementations et des
améliorations de la chasse au gibier d'eau.
Nous avons vu, pour la chasse en plaine, que, quand le péril
de la destruction totale du gibier s'est présenté, on a tenté quelque chose ;
que les fédérations départementales en sont nées ; qu'elles sont devenues
une puissance, qu'elles obtiennent de très sérieux résultats (car je ne
méconnais nullement le mérite de leurs présidents et les efforts qu'ils font
pour remédier à la disparition du gibier ; je proteste seulement quand ils
vont trop loin et molestent le chasseur de sauvagine, sous prétexte — parfois
peut-être fondé — d'éviter le braconnage).
Que faisaient — et que pouvaient faire — les
chasseurs de plaine isolés ? Rien. Qu'ont fait les fédérations quand,
organisées, dotées de ressources raisonnables, aidées de gardes sélectionnés,
elles ont vraiment formé des groupements avec lesquels on compte ? Elles
ont peut-être freiné pour un temps la destruction totale du gibier sédentaire
en France !
Il faut faire pour le gibier d'eau ce qui a été fait pour le
gibier sédentaire. Partout dans le monde on y songe. Déjà des réalisations, et
qui donnent des résultats inespérés — dans d'autres nations que la France,
hélas ! — ont été entreprises. Le Conseil international de la
chasse a créé une commission permanente du gibier migrateur ; on peut
constater ce que d'autres pays ont fait et ce qu'ils ont obtenu.
Si les chasseurs de sauvagine veulent sauver leur chasse,
il faut qu'ils renoncent à leur particularisme, à leur individualisme, qu'ils
se groupent, s'organisent et s'unissent. Alors, nombre organisé, ils
auront la force, et ils pourront à la fois se défendre contre des mesures
injustifiées à leur endroit et sauvegarder leur gibier, et par conséquent
sauvegarder l'avenir de leur plaisir.
Leur sort est entre leurs mains.
Chasseurs de sauvagine, si vous aimez votre chasse, il faut
vous unir pour la défendre. Il en est temps.
Comte DE VALICOURT,
Président de l'A. H. C. G. E.
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