Les épreuves d'utilisation, dites field-trials, sont
d'une conséquence majeure pour l'avenir des races. Non que leur conception,
bien imparfaite, soit de nature à satisfaire la plupart des utilisateurs ;
mais, étant ce qu'elle est, les trialers étant toujours recherchés comme
reproducteurs, leur influence est grande sur l'orientation de l'élevage. Il
importe donc que cette sélection des qualités fonctionnelles soit faite à bon
escient.
Exprimant l'opinion de maints chasseurs, nous avons exposé
souvent les errements de ces épreuves, considérées, ainsi qu'elles devraient
l'être, comme moyen de sélection de chiens utilisables pour la chasse avec le
maximum de rendement et d'agrément pour le chasseur. Mais, si leur conception
est imparfaite, l'action des juges pourrait tendre, même dans le cadre des
règlements actuels, à faire cette sélection moins théorique. Le choix des juges
de field-trials est donc une chose importante ; car de leurs jugements
dépend pour une large part l'orientation et la réputation de races ou familles,
et donc leur avenir.
Or, si le choix des juges d'expositions est, en principe,
aisé, en ce sens qu'il est toujours possible, si on le veut, de s'assurer de la
valeur d'un candidat, celui des juges de field-trials est autrement plus
délicat.
S'il ne s'agit que d'appliquer un règlement, d'enregistrer
les points marqués sur gibier rencontré ou les fautes commises définies par
ledit règlement, certes, point n'est besoin de qualités exceptionnelles. Mais
ce qui importe, c'est justement l'appréciation de la valeur des points marqués
et l'importance des fautes commises. Or cette appréciation dépend des facultés
d'observation, de l'expérience du juge et surtout de sa conception de la
pratique de la chasse avec un chien. Comme cette conception diffère essentiellement
selon la race préférée du juge, selon qu'il est du Nord, où l'on chasse en
battue ou en groupe, ou du Midi, où l'on chasse individuellement, selon qu'il
est habitué aux plaines rases et giboyeuses ou aux terrains accidentés à gibier
clairsemé, son appréciation des qualités des chiens est forcément très
relative.
Sauf les règlements spéciaux aux épreuves de grande quête
pour chiens de races anglaises, ceux des autres concours sont les mêmes pour
toutes les races. Mais ces règlements se bornent à définir soit les fautes
majeures, soit les points nécessaires pour l'attribution des prix ; ils
définissent des principes généraux laissant aux juges le soin d'en faire une
application judicieuse selon leur appréciation. Or il est bien recommandé par
lesdits règlements que le travail de chaque chien doit être apprécié « selon
le style propre à sa race ». Et voilà bien tout le problème, le nœud de la
difficulté, que l'on s'obstine trop souvent à éluder ou tenir pour mineure.
On pose en principe qu'il n'y a qu'une façon d'utiliser ou
concevoir le chien d'arrêt, alors que chaque race a son tempérament, ses
aptitudes propres, ses préférences et aussi sa structure spéciale idoine à ses
fonctions, le tout faisant sa raison d'être, en dépit du courant de standardisation.
Il importe donc que le juge fasse ces différences et, pour les faire, il faut
qu'il ait non seulement une expérience approfondie de la chasse au chien
d'arrêt, mais aussi une connaissance pratique des caractères de chaque race,
puisque, dans les concours non réservés à l'une d'elles, il aura à juger des
qualités de chiens divers.
Il serait sans doute abusif d'exiger et difficile de
contrôler que le candidat juge ait utilisé toutes les races. En admettant que
cela fût possible, il faudrait remarquer que la vie est bien courte, et qu'il
faudrait avoir chassé durant un temps inconcevable pour avoir non pas utilisé
un seul sujet de chaque race, ce qui ne signifierait rien, mais un assez grand
nombre pour en connaître toutes les réactions. Il faut donc passer outre cette
exigence impossible, et le règlement prévoit seulement que le candidat juge
doit être un « utilisateur dans les articles concernant la catégorie de
concours pour lequel il est proposé ».
Les juges sont nommés par la Société centrale canine ; le
règlement est commun pour les épreuves de chiens d'arrêt, de spaniels, et
celles pour retrievers. Il pose tout d'abord en principe que ne peuvent être
candidats que les éleveurs ou propriétaires de chiens ayant conduit et
présenté eux-mêmes ces derniers, avec succès, dans les concours qu'ils
prétendent juger. Cette condition peut s'expliquer pour s'assurer que le juge
n'ignore rien des difficultés qu'implique la présentation et, peut-être aussi,
des petits trucs qu'elle permet à certains vieux habitués.
Mais il ne suffit pas d'avoir présenté des chiens en
épreuves, il faut, en outre, que le candidat ait obtenu personnellement quatre
récompenses, dont au moins deux prix. Pour qui connaît la part de chance dans
les concours, cette exigence paraît trop draconienne ; car elle n'implique
nullement que ledit candidat soit utilisateur, c'est-à-dire chasseur. Il est,
en effet, des amateurs de field qui n'ont jamais eu un fusil en mains et ne
sont nullement chasseurs ... Ainsi l'un d'eux, pouvant devenir juge, n'est
pas du tout qualifié pour apprécier les qualités utilitaires d'un chien de
chasse. C'est là un fait — qu'il ne faut point exclure — autrement
grave que celui de n'avoir pas utilisé des chiens de races différentes, et
surtout que celui de n'avoir pas cueilli de prix en field-trials.
Disons d'ailleurs que, sur le point des récompenses
obtenues, on fait souvent entorse au règlement, notamment si le candidat est
connu comme vieux chasseur, connaissant bien la pratique du chien d'arrêt.
Les propositions sont faites à la diligence des présidents
des clubs ou des sociétés régionales. Comme pour les candidats juges
d'expositions, des conditions d'honorabilité, de parfaite sportivité, de tact,
etc., sont exigées. La Commission des juges accepte ou refuse la proposition.
Si la candidature est retenue, le postulant doit remplir le rôle d'assesseur
dans quatre concours avec des jurys différents ; ceux-ci formulent leur
avis ; si trois d'entre eux ont été favorables, le candidat est alors
admis comme juge stagiaire et doit juger comme tel cinq fois dans une période
de deux années. S'il a donné satisfaction, la Commission des juges prononce sa
qualification. Quelques modalités particulières sont prévues pour la
qualification des juges de grande quête (concours spéciaux réservés aux chiens
de races anglaises).
Dans l'examen que doit ainsi subir le candidat juge
d'épreuves, ceux qui sont appelés à le noter doivent s'efforcer « de
découvrir en lui ses qualités de vue, d'appréciation, de sportivité et de
correction, de rapidité dans la marche, nécessaire parfois, et d'endurance, de
maîtrise de lui-même et d'énergie, enfin de sa connaissance approfondie des
chiens d'une façon générale, toutes qualités indispensables pour faire un bon
juge ».
Ces précautions, toutes nécessaires, sont louables ;
mais on peut s'étonner que l'expérience d'utilisateur y tienne si peu de
place et que, nous l'avons signalé plus haut, le règlement permette, en fait,
de s'en passer. Avoir pratiqué la chasse au chien d'arrêt pendant de nombreuses
années, dans des contrées diverses, avec des chiens divers,
serait pourtant la condition première à exiger d'un candidat juge d'épreuves.
Justifier de quinze permis de chasse serait un minimum — précaution non
prévue.
Ne peut-on pas voir en cette lacune, dont l'importance a
échappé aux rédacteurs du règlement, le reflet de la conception des épreuves ?
Conception qui fait des field-trials, notamment de ceux de printemps, des
concours dont les lauréats sont des toutous bien dressés et bien sages,
respectueux d'un règlement standard, qu'ils oublieraient souvent s'ils allaient
un peu trop à la chasse au dehors des parcs à gibier.
Jean CASTAING.
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