Il ne s'agit pas aujourd'hui — cet article écrit en
octobre — de disserter sur l'abondance ou la rareté de la pluie, mais
seulement sur l'intérêt majeur qui s'attache au rôle général de l'eau. C'est un
lieu commun de répéter que l'eau est un facteur limitant de la production
agricole, mais pour quoi ne pas exalter les grands travaux qui ont pour objet
la mise de l'eau à la disposition des agriculteurs. Les peuples de l'antiquité
n'ont pas hésité à entreprendre des travaux formidables, lorsqu'on songe aux moyens
de l'époque pour amener de l'eau ; la ruine des adductions a été la cause
de catastrophes puis d'anéantissement de toute vie humaine.
On cite les contrées qui ne doivent leur prospérité qu'à
l'eau, la vallée du Nil en est un exemple fameux, et celui qui parcourt l'Égypte
observe ce contraste frappant entre l'étroite vallée fertile et le désert
limitrophe. Il convient de rappeler que l'eau n'est pas seule en cause et que
le limon déposé par les crues joue un rôle considérable dans les résultats
obtenus.
En France, on pourrait faire allusion à des cas analogues :
le canal de Craponne, qui amène jusqu'à Arles l'eau de la Durance, constitue
une source de richesses créées, les foins de Crau n'existent que grâce aux
arrosages, et le voyageur qui va d'Arles à Miramas se rend aisément compte de
l'utilité de l'eau. Les Vosges, le Limousin reçoivent des volumes d'eau très
différents, mais partout les prairies bénéficient de ces apports sans lesquels
des sols graveleux, même pierreux, ne donneraient qu'une végétation hétéroclite
sans valeur ; que l'on soigne les distributions d'engrais phosphatés et
potassiques, et l'on peut compter sur des productions convenables de bon foin.
Faut-il rappeler les productions légumières de la vallée du
Rhône, de points plus limités de la vallée de la Garonne, de quelques îlots
dans les vallées tourbeuses de la région d'Amiens, de Bourges, les productions
variées du marais poitevin ; partout l'eau en quantité suffisante,
quelquefois même surabondante, est l'auxiliaire du cultivateur.
Nous pouvons enregistrer un bel exemple d'actualité en
Camargue et sur quelques points de la région méridionale. En Camargue,
particulièrement, le problème était d'une solution difficile puisqu'il s'agit
de se mettre à l'abri du sel en excès dans les limons ; les sansouines
portent une flore bien spéciale et le dessallement du terrain est à la base de
toute production. La vigne, la luzerne, l'orge, des prairies acceptent une
terre dessalée et l'eau douce pompée dans le Rhône entraîne le sel, l'eau salée
étant écoulée par des fossés plus profonds et d'une pente difficile à trouver,
étant donné la situation générale des lieux.
Depuis longtemps, une partie des terres vers la fin du
dessallement passaient en culture de riz, mais les conditions économiques de
cette production étaient telles qu'avant 1939 on ne consacrait au riz qu'une
centaine d'hectares. La pénurie résultant de la guerre est à l'origine d'une
série de mesures tendant à encourager la production du riz : avances du
Crédit agricole, intervention des Services du Génie rural et surtout, prix
intéressants, ce qui démontre en passant que ce genre d'encouragement est
toujours déterminant. Ainsi la population française peut disposer d'une
quantité correspondant à une partie appréciable des besoins à satisfaire, du
cinquième au quart, les importations de pays divers complètent une différence
que l'on s'efforce de réduire.
On assiste ainsi, dans cette région aux aspects pittoresques
et curieux, à un spectacle qui n'est pas sans grandeur. Peut-être dira-t-on que
les gains procurés sont importants, qu'ils attirent des néo-cultivateurs,
d'autres ont mis en cause les moustiques, pour celui qui passe au moment de la
récolte, une terre qui était stérile et qui porte la nourriture des hommes, est
un bienfait. Les moyens de mise en culture sont prodigieux, les moyens
mécaniques les plus modernes sont mis en jeu, l'expérimentation cherche à
déterminer les variétés à cultiver, la rizière expérimentale du Merle étudie
les variétés, on s'inquiète de la hauteur d'eau nécessaire, des délais qui
doivent s'écouler entre la mise hors eau et la récolte. En résumé, l'eau
bienfaisante et une température suffisante assurent la maturité.
Un autre facteur doit retenir l'attention. Les terres
arrosées connaissent généralement des rendements plus réguliers que celles dont
les besoins en eau sont plus ou moins mal satisfaits suivant les saisons, l'eau
est donc un élément de sécurité. Les conditions qui président à la productivité
étant réalisées, le cultivateur est plus aisément le maître de ses rendements
et, encouragé par le résultat, il cherche à perfectionner ses méthodes et il
tire ainsi du sol des rendements plus élevés.
Une conclusion paraît s'imposer ; dans le monde entier,
devant une population qui s'accroît à un rythme d'autant plus grand que les
œuvres de paix l'emportent, il est opportun de développer la mise en culture et
l'amélioration des terres de bonne qualité où l'eau permet d'augmenter les
productions. Comme la température est un autre facteur important de la
végétation, c'est dans les régions ainsi caractérisées qu'il faut faire porter
l'effort général. Ainsi arrachera-t-on à la sous-alimentation des millions
d'individus; parallèlement ce sont des richesses créées et une amélioration
générale de la condition humaine par répercussions sur les autres activités.
Sans doute, cela peut correspondre à des modifications dans les zones
d'activité, mais pourquoi continuer à mener une existence précaire sur des
terrains déshérités, sous un climat peu clément, on pourrait discuter longtemps
sur ces problèmes qui dépassent notre modeste contribution à la rédaction du Chasseur
Français. Retenons l'idée, l'eau est un facteur de prospérité agricole et
de prospérité humaine lorsqu'elle est assez abondante et bien employée ;
il est normal d'envisager des projets grandioses pour faire passer l'eau sur
les territoires cultivés ou à cultiver, c'est ce que la France réalise en
Afrique du Nord ; seulement il ne faut pas oublier que l'eau mal employée
est nuisible. De même qu'une adduction d'eau dans une agglomération doit être
accompagnée d'une évacuation des eaux usées, il est nécessaire de prévoir
l'écoulement des eaux en excès ou des eaux rendues nuisibles telles que celles
qui ont servi au dessallement. La Camargue offre à l'observateur de quoi
satisfaire sa curiosité.
Il n'est pas déplacé de faire allusion aux eaux usées des
villes qui, bien aménagées, créent de la richesse agricole, des terrains en
aval de Paris traversent des sables qui seraient stériles et concourent ainsi à
l'alimentation de la capitale. Des problèmes ressortissant de l'hygiène
publique trouvent leur solution de cette façon. Des travaux d'adduction accrus
pourraient ainsi servir à entraîner les déchets des agglomérations même
relativement modestes et contribuer encore à accroître les productions du sol.
On voit combien avait raison le maître P. P. Dehérain ; il
prophétisait en disant, il y a un demi-siècle : « Le XXe
siècle sera le siècle de l'irrigation », on part résolument dans cette
voie.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
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