Si les serpents inspirent surtout de la crainte et du
dégoût, ils donnent lieu également à un véritable culte religieux chez les
peuplades primitives. Il en fut toujours ainsi depuis les âges préhistoriques.
Peut-être faut-il rechercher la cause de ce culte dans une
sorte de dévotion à l'ennemi dans un but propitiatoire ou prophylactique ayant
évolué à travers les âges.
Les fakirs birmans prétendent bien qu'un serpent calme et
tranquille tant qu'on le vénère devient terrible et mortel lorsqu'on abandonne
son culte ... Encore cette explication, fort peu scientifique,
impliquerait-elle une sorte de conscience, sinon même d'intelligence, et des
organes de transmissions et d'observations.
Il faut remarquer que, généralement, les charmeurs de
serpents se complaisent dans la compagnie des espèces les plus redoutables. Il
faut tuer le préjugé qu'il existe des serpents venimeux et d'autres qui ne le
sont pas. Tous les serpents, sans exception, possèdent des glandes à venin,
mais celui-ci est seulement plus ou moins toxique et mortel. Ce qui différencie
les serpents, c'est que certains sont pourvus de crocs creux, mobiles par de
puissants muscles, et qu'ils insèrent dans la peau de leurs victimes, tandis
que chez d'autres ces crochets sont rudimentaires, fixes ou imperforés. Mais il
faut toujours considérer qu'un serpent peut avoir du venin en sa gueule, et
celui-ci venir dans le sang de sa victime à la suite d'une morsure.
Ce qui est curieux, c'est que les charmeurs de serpents de
tous les pays se croient possesseurs d'une sorte d'immunité héréditaire dans
leur famille et se transmettant de père en fils. Certains sorciers mieux doués
auraient encore la possibilité de transmettre ce don à des profanes.
Les « élèves » des charmeurs sont choisis en
général parmi les espèces les plus dangereuses, comme les serpents cobras, ou
alors parmi les géants de ces reptiles, tels les monstrueux boas et anacondas
dépassant parfois dix mètres et capables d'étouffer un bœuf, un tigre ou un
lion.
Ce qui est notoire, c'est que les charmeurs de serpents
existent dans tous les pays n'ayant pas atteint une civilisation évoluée et
sous toutes les longitudes.
Qu'il s'agisse d'Indous, d'Égyptiens ou de nègres, les rites
de transmission des dons de sorciers, ceux d'initiation, ceux de présentation
ou de « travaux » de serpents sont à peu près toujours semblables.
Généralement le magicien confie le soin du transport, de la
nourriture et de l'entretien du serpent à un aide.
Lorsqu'une démonstration est prévue, ce dernier apporte
l'animal dans un panier, généralement en vannerie.
Après quelques incantations, le sorcier ouvre cette cage
rudimentaire, mais le reptile sort très rarement tout seul. Il faut ou
renverser le panier, ou en tirer l'animal. On reste toujours surpris du peu de
soin apporté dans cette opération, car elle est effectuée sans précaution
spéciale.
Généralement le magicien est accompagné d'un joueur de
flûte, mais il arrive que ce soit lui-même qui joue de cet instrument.
Cette flûte présente un caractère véritablement rituel et on
ne connaît son inexistence que chez les charmeurs habitués à moduler des
sifflements harmonieux. En tout état de cause, cette constante de mélodie
justifie que le serpent n'est pas sourd, contrairement à une opinion courante,
sur laquelle du reste les anatomistes ne sont aucunement d'accord, bien que
l'appareil auditif du reptile soit fort différent de celui des autres
ostéozoaires ou animaux à squelette osseux.
En Afrique cependant, on trouve des peuplades nègres où les
flûtes sont remplacées par des tambourins.
Pour l'homme de science, la musique, en ses vibrations
transmises par le sol ou l'air aux reptiles, crée chez eux un état de calme et
de quiescence. Mais il n'en est plus de même pour les sorciers, car ceux-ci
restent persuadés qu'elle agit seulement sur le dieu surnaturel des serpents,
dont une émanation habite le corps de celui en cause.
Après avoir joué quelques instants dans la position
accroupie, le sorcier revêt ses ornements « sacerdotaux »,
pourrait-on dire, puisqu'il s'agit d'une sorte de culte. Mais ce sont le plus
souvent des ornements de nègres, c'est-à-dire des pagnes plus ou moins brodés
ou décorés, quelques couronnes, des bracelets pectoraux, et une foule
d'amulettes en colliers.
C'est alors le moment des prières rituelles et des exorcismes
pour chasser du reptile les instincts morbides ou cruels. Le thaumaturge en
profite pour simuler des attaques, des fuites, des approches, comme s'il
devinait dans les yeux de son élève des désirs cruels.
Dans le réel, l'animal, copieusement alimenté avant la
cérémonie, voudrait tout simplement qu'on lui laisse continuer sa dolente et
laborieuse digestion, et ne manifeste aucune intention homicide.
Quand incantations et charmes, prières et rites ont
prétendument agi, le magicien s'empare de l'animal par le cou, ce qui présente
un double avantage : celui de le mettre hors d'état de nuire et, en même
temps, de lui faire battre le vide de son corps serpentin, ce qui est toujours
fort spectaculaire.
Toutefois le sorcier doit, à partir de ce moment, avoir son
attention en réveil, car, tant que le reptile reste suspendu par le cou, il
pend flasque et sans force, mais, dès que son corps peut prendre un appui sur
le sol ou sur son charmeur, son premier réflexe est de s'enrouler autour des
membres et de serrer avec la dernière des vigueurs.
C'est pour cela que, d'un geste prompt et avec la dextérité
d'un lanceur de lasso, le charmeur, généralement, place l'animal derrière son
cou en laissant pendre par devant d'un côté la tête et de l'autre la queue.
Ainsi l'animal, ayant une position commode et sans effort, reste calme.
Mais ce n'est là qu'une partie du spectacle au cours duquel
le montreur affecte quelques danses, pirouettes, cabrioles, auxquelles, en fin
de compte, le serpent ne participe aucunement, si ce n'est au titre
d'impressionnante garniture et d'ornement corporel.
La seconde partie consiste à poser le serpent sur le sol et,
en modulant certains sons, à le faire avancer ou se dresser. Ce sont là des
mouvements lents et sans danger, car l'animal, suivi des yeux par son
possesseur, sait que rien ne le menace et il est en sorte quelque peu
domestiqué.
En fin de compte, sous des aspects très spectaculaires,
provenant de la mise en scène extérieure, la présentation de serpents savants
et plus ou moins divinisés se réduit à une représentation très anodine.
Louis ANDRIEU.
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