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Un monument célèbre

L'Hôtel-Dieu de Beaune

Le moyen âge a construit d'admirables hôtels-Dieu, merveilles de bon goût et d'équilibre. Nos ancêtres, en effet, aimaient bâtir des édifices publics adaptés à leur destination, mais aussi artistiques. Malheureusement, par suite des circonstances diverses, ceux-ci ont été souvent détruits ou défigurés au cours des siècles. Le vieil hôpital de Chartres, blotti au pied de la majestueuse cathédrale, était une petite merveille d'élégance. Les salles des malades étaient bien proportionnées et décorées avec goût. Le XIXe siècle a démoli ce que les guerres et les révolutions avaient épargné. L'exemple de Chartres s'est reproduit, hélas ! bien souvent à travers nos provinces.

Aujourd'hui, les hôpitaux français antérieurs au XVIe siècle sont assez rares : Tonnerre, Angers, Le Mans, Issoudun nous font amèrement déplorer le vandalisme de certaines municipalités ; ces villes ont conservé encore des parties très importantes de leurs anciens bâtiments hospitaliers, mais le plus important est, sans conteste, celui de Beaune, dont nous allons conter l'histoire.

Les années 1438 et 1439 avaient été désastreuses en Bourgogne ; une grande famine, suivie d'épidémies, avait sévi et, avec elle, son cortège habituel de misères. La détresse dans les campagnes était affreuse ; la petite cité de Beaune avait beaucoup souffert, la mortalité y avait été effroyable. C'est pour soulager tant d'infortunes que le chancelier de Bourgogne, Nicolas Rolin, décida de fonder dans cette bourgade un centre d'hébergement destiné à accueillir les malheureux. Dans un acte du dimanche 4 août 1443, Nicolas explique et commente son geste d'humanité. Après un exposé de ses titres, il écrit : « Mettant de côté toutes sollicitudes humaines et ne songeant qu'à mon propre salut, et désirant par une heureuse transaction échanger contre les biens célestes les biens temporels qui m'ont été accordés par la divine libéralité, et de transitoires qu'ils sont les rendra éternels ... je fonde, érige, dote et construis dans la ville de Beaune un hôpital pour la réception, l'usage et la demeure des pauvres malades, avec une chapelle en l'honneur de Dieu tout-puissant et de sa glorieuse mère la Vierge Marie, à la mémoire et à la vénération de saint Antoine, abbé, dont il va porter le nom et vocable. ».

Le chancelier, qui pensait à tout, qui mesurait tout — son admirable portrait par van Eyck nous le montre réfléchi et grave, — nous conte par le menu, dans son acte, ses achats de terre, puis ses dotations. Il affectait ainsi à l'hospice une somme de 300 livres estevenans par ans, à prendre sur la grande saunerie de Sallins, puis d'autres dons, énormes pour l'époque, où l'argent avait conservé sa valeur. Rolin désirait qu'à partir du 5 août 1445 — c'est-à-dire du lendemain, — et à perpétuité, « il soit remis et distribué aux pauvres du Christ venant demander l'aumône un pain blanc, la valeur de 5 sols tournois ... et que chaque jour, pendant la période du Carême, il leur soit remis le double ». Le reste de ses dotations devait servir à édifier les bâtiments, qui, espérait-il, seraient terminés en un espace de quatre ou cinq ans.

Le duc de Bourgogne, s'intéressant vivement à l'idée charitable de son serviteur, exempta d'impôts sa fondation et autorisa le prélèvement, dans les forêts domaniales, du bois nécessaire à la construction ; le pape, de son côté, déclara le futur hôpital affranchi de toute servitude, ainsi que de la juridiction des évêques ou chapitres voisins. Cette faveur avait pour but d'empêcher les occasions de conflits, et par conséquent de procès.

Le fonctionnement de l'hospice était assuré par des religieuses assistées d'employés divers sous la surveillance d'un intendant ; des statuts, rédigés par Rolin en personne, prévoyaient tout, réglaient tout.

L'hôpital Saint-Jacques de Valenciennes servit de modèle à l'édifice de Beaune. Un architecte du Nord de la France, sans doute Jacques Wiscrere, fut chargé d'en diriger la construction. Le maître maçon fut un certain Jean Rateau ; le maître charpentier, à qui on doit la flèche, se nommait Guillaume la Rathe; le tailleur d'images Jean Fouquerel dessina les carreaux du pavage ; Denis Géot fabriqua les tuiles vernissées de la pittoresque toiture. Enfin un plombier beaunois, Colin Vinet, est l'auteur des tourelles et des girouettes.

Les grands travaux étaient terminés en 1451 et la chapelle fut bénie le 31 décembre. Le premier malade entra à l'hospice le 1er janvier 1453.

Rapidement, les rois de France s'intéressèrent à la fondation de cette œuvre admirable qui continue de nos jours, sous la direction du maire et d'un conseil de huit membres.

L'hôtel-Dieu de Beaune, qui reproduit certaines dispositions de celui de Tonnerre, est un magnifique bâtiment. Le cloître en charpente à deux étages couverts, le puits du cloître, les épis de plomb et la crête de fer forgé des combles, les tapisseries, le retable d'autel, œuvre de Roger Van der Weyden, sont autant de beaux et précieux détails, bien conservés et appréciés de tous les artistes du monde entier.

Mais, si les hospices de Beaune sont connus de tous les touristes, leurs vins sont aussi fort appréciés, des gourmets, qui n'ignorent pas qu'ils sont parmi les plus cotés de la Bourgogne.

Les propriétés des hospices, qui comprennent 68 hectares dans le département de la Côte-d'Or et 206 dans, celui de Saône-et-Loire, comportent un vignoble d'une longueur de 52 hectares entre Santenay et Dijon : c'est le plus beau de toute cette riche région. Ces vignes sont affermées aux enchères par-devant notaire ; c'est un grand honneur que d'être vigneron de la vieille fondation de Nicolas Rolin. Le contrat de la « capitale des vins de Bourgogne » donne toutes garanties aux deux parties, au viticulteur comme aux responsables temporels de l’hôtel-Dieu. La forme de culture employée est « à moitié fruits », c'est-à-dire le métayage. Afin de permettre une équitable répartition des bénéfices, il est fait état des quantités apportées par chaque fermier. La vinification, d'après le texte, est l'oeuvre du vigneron qui doit venir surveiller lui-même sa cuve, procéder à l'égrappage, suivre la fermentation etc. ; bien entendu sous le contrôle vigilant de l'administration, soucieuse, avant tout, de la perfection de ses produits si justement renommés. Les marcs sont recueillis avec soin ; distillés, ils donneront ces admirables alcools, qui trouveront des acquéreurs à des prix très élevés et parfumeront les palais en déposant sur leurs papilles leur bouquet incomparable.

Les vins, une fois terminés, sont mis dans des fûts neufs et de bonne qualité; ils sont placés sous la surveillance du chef tonnelier de la maison. À ce moment les vignerons, délivrés enfin de leurs soucis, fêtent joyeusement leur récolte en célébrant la Paulée ... Les membres du conseil d'administration et les disciples de saint Vincent, fraternellement réunis, s'assemblent à l'hôpital de la Charité devant un solide banquet.

Pendant des siècles, les hospices vendirent leurs vins à l'amiable, puis, en 1859, ils décidèrent de les soumettre aux feux des enchères. Voici comment on procède de nos jours. Quelque temps avant le jour fixé, les vignerons et la commission procèdent à la dégustation des cuvées ; chacune est appréciée et discutée ; on en fixe le prix minimum au-dessous duquel le vin ne pourra être cédé. Puis on fait une large publicité à cet événement devenu mondial.

Deux jours avant la mise en vente — le plus souvent le deuxième dimanche de novembre, — les amateurs peuvent, moyennant une légère rétribution, goûter aux magnifiques bouteilles. Enfin, à la date convenue, toute une foule de clients, de curieux et de gastronomes se précipitent à Beaune. Les enchères ont lieu : si le prix n'atteint pas le chiffre — tenu d'ailleurs secret, — la commission n'allume pas sa chandelle ; si l'offre est suffisante, le lot va enrichir la cave d'une grande maison. Tel est, dans ses grandes lignes, le scénario de la fameuse vente de Beaune.

De tout temps, le vin de Beaune a été fort recherché des gourmets. Villon l'aimait ; les rois de France, pour la plupart fort amateurs du jus de nos treilles, le dégustaient avec joie. Des poètes l'ont chanté; l'un d'eux, au XVIe siècle, le comparant aux autres crus, n'écrivait-il pas :

Mais tout ainsi que la fleur de la rose
Devant toute autre fait assistance,
Beaune a le bruit sur tout par excellence …

Ne soyons peut-être pas aussi exclusifs que ce rimeur ; la France possède une admirable série de vins et la Bourgogne nous offre d'autres trésors inestimables. Aimons-les tous, mais n'oublions pas, quand nous aurons le bonheur d'en boire, d'accorder une pensée reconnaissante à ce bon Nicolas Rolin, fondateur des glorieux hospices de la bonne ville de Beaune.

Roger VAULTIER.

Le Chasseur Français N°646 Décembre 1950 Page 763