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Doigt et détente

Dès l'invention des batteries d'armes à feu, la détente est apparue comme le plus pratique des organes destinés à provoquer le fonctionnement du mécanisme de percussion au gré de l'utilisateur. Elle avait d'ailleurs, sous des formes un peu différentes, quelques antériorités dans les arbalètes de guerre et de chasse ; nous pouvons toutefois nous demander si elle possède bien, actuellement, en particulier pour les armes de chasse, les qualités nécessaires et comment nous devons les utiliser.

Le doigt humain, sauf cas d'infirmité, employé à actionner la détente est l'index ; la position et la forme de la pièce seront donc étudiées de manière à permettre au dit index de se placer rapidement, commodément, et d'agir dans les meilleures conditions. Tout ceci est peut-être un peu plus complexe qu'il ne parait à première vue et vaut la peine d'être examiné avec quelques détails.

Dans le cas d'une arme destinée au tir à la cible, on ne demande guère à la détente qu'une sensibilité aussi grande que possible, en adoptant le plus souvent le dispositif de la double détente, qui assure le maximum de sensibilité au moment du tir, tout en conservant une marge de sécurité suffisante pendant le maniement de l'arme.

Mais, en ce qui concerne l'arme de chasse, il est indispensable d'associer au mieux dans un organe simple les qualités nécessaires de sûreté et sensibilité ; nous allons examiner comment l'arquebuserie moderne s'est efforcée d'y parvenir.

Rappelons que l'action du doigt, commandée par le cerveau, n'a rien de synchrone avec l'événement qui motive cette action ; il y a un double circuit nerveux à parcourir pour la. perception et pour l'exécution, et la durée de ce parcours n’est pas négligeable ; elle varie avec les dispositions spéciales de chaque individu, l'âge, la fatigue et les circonstances extérieures, le froid par exemple, qui, comme chacun sait, tend à paralyser les mouvements.

Suivant les circonstances, l'ensemble des temps nécessaires à ces différentes opérations varie de 0’’,10 à 0’’,25, l'état de l'index entrant pour une certaine fraction du total ; nous aurons donc intérêt à entraîner notre index à agir vite et bien, et à l'engager convenablement sur la détente.

D'autre part, l'arquebusier devra établir celle-ci de telle sorte qu'elle puisse être facilement atteinte par l'index d'une main moyenne, bien placée sur la poignée de l'arme, et étudier la batterie de manière à obtenir un déclenchement net et rapide dès que le contact du doigt a eu lieu.

Nous disons net parce que, dans les batteries qui possèdent des axes mal placés, des crans de noix mal taillés, le déclenchement peut être incertain sans être dur, et nous ajoutons rapide, car il ne faut pas que le doigt ait à se comprimer exagérément avant d'obtenir le départ. Le défaut inverse, c'est-à-dire une détente trop douée, implique un manque de sécurité par suite du départ du coup possible au moindre contact. Ce genre de départ peut malheureusement se produire avec des mécanismes mal entretenus dès que le cran de noix est partiellement obstrué par des crasses durcies ou même de petits débris.

Dans les platines à chiens extérieurs, on arrivait assez facilement à concilier la sécurité et la sensibilité ; dans les premières batteries des fusils à chiens intérieurs, on eut quelque peine à obtenir, au début, des départs sûrs sans être durs. Actuellement, on sait qu'avec des noix suffisamment épaisses et pouvant ainsi supporter une bonne pression, les becs de détente se dégagent des crans avec netteté et douceur. Enfin la modification .de .remplacement du cran de noix par rapport à l'axe de celle-ci a heureusement assuré la stabilité des crochetages. Toutes ces améliorations apportées peu à peu, pourraient être qualifiées d’empirisme rationnel et n'appartiennent pas spécialement à la. théorie pure, mais nous devons convenir qu’à partir de la théorie il reste une large place à une intelligente mise au point.

On a souvent indiqué, en kilogrammes, les valeurs convenant le mieux au déclenchement du mécanisme des batteries, valeurs allant de 1kg,500 à 3 kilogrammes. Il convient de n'accepter ces données qu'avec beaucoup de circonspection, car elles varient avec le point, d’application de la. force sur la détente et avec la direction de cette force. Elles n'ont d'intérêt certain qu'au cas où les armes sont essayées au moyen d'un dispositif mécanique impliquant l'identité des conditions d'essai.

Il est facile de s'assurer qu'en actionnant une détente au moyen d'un fil attaché à un petit peson à ressort gradué en kilogrammes, on peut obtenir le départ avec des forces différentes suivant la manière dont le fil est attaché et suivant sa direction. On peut évidemment faire des comparaisons utiles au moyen d'un tel dispositif, mais il convient de placer les armes dans des positions identiques.

Dans la pratique, d'ailleurs, l'index attaque la détente, non pas en un point, mais bien sur une surface correspondant à la largeur du doigt à la première ou à la deuxième phalange. En général, il convient de placer la deuxième phalange sur la détente, mais nous reconnaissons que la position du doigt est le plus souvent déterminée par la dimension de la main et celle de la poignée de crosse. La forme de celle-ci a aussi un peu d'influence, et, en particulier, la crosse pistolet favorise l'engagement de l'index dans le pontet.

On sait que les pontets actuels sont très développés en avant de la première détente, précisément en vue de cet engagement de l'index et aussi afin d'éviter les contusions parfois provoquées par le recul. Quelques chasseurs sont également contusionnés par la première détente lors de l'emploi de la seconde ; le remède consiste à articuler la première et surtout à employer une crosse un peu plus longue, donc mieux appliquée à l'épaule.

En résumé, les détentes actuelles ont toutes raisons de faire bon ménage avec les doigts des chasseurs.

Il nous reste à apprécier dans quelle mesure une détente dure ou simplement trop dure pour le doigt du chasseur peut faire tirer derrière le gibier en retardant le départ du coup. Dans la pratique, la force disponible pour agir sur la détente au moyen de l'index peut atteindre très facilement 4 kilogrammes et permet le fonctionnement des détentes les plus dures ; il est cependant évident que le dégagement de la gâchette sera toujours accéléré par une moindre résistance évitant la compression du doigt dès que celui-ci arrive au contact. En passant d'une arme à détentes douces à une arme à détentes dures, on tire régulièrement en retard, et l'inverse est également vrai ; on peut mettre a profit cette dernière observation en pratiquant l'exercice suivant.

Prendre un vieux fusil à broche ou à piston, dont on modifiera les platines de manière à avoir des départs durs, et s'exercer à la maison à faire partir les deux coups, sans munition, bien entendu, et même sans épauler. On entraîne ainsi l'index, à fournir un effort très supérieur à celui nécessaire à l'arme usuelle, et cela dès la prise de contact. Assez rapidement, les départs seront trouvés plus doux sur le terrain de chasse, et le tir en bénéficiera. Cette observation s'adresse plus particulièrement aux petites mains peu musclées et aux index courts, qui sont désavantagés pour actionner les détentes.

Nous espérons que ces diverses considérations seront utiles à bien des chasseurs n'ayant pas eu l'occasion d'étudier à fond cette question et qui, cependant, ont conscience qu'il y a pour eux quelques progrès à faire en la matière.

M. Marchand,

Ingénieur E. C. P.

Le Chasseur Français N°647 Janvier 1951 Page 1