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De la consanguinité

Les uns (la minorité) en font volontiers usage, les autres l'évitent avec soin. Ces derniers sont dans l'erreur, faute de savoir qu'ils négligent un puissant moyen de fixation des caractères, physiques et autres. Feuilletant les pages de très anciens numéros de La Chasse Illustrée, qui fit la joie de nos pères, je vois qu'on en parlait il y a quelque quatre-vingts ans avec une pudeur effrayée. Or les éleveurs de bétail amélioré en faisaient déjà grand usage au XVIIIe siècle au Royaume-Uni. Même peut-on dire de l’in-breeding qu'il était à la base de leur procédé de sélection. Sans doute ont-ils ouvert la voie aux éleveurs des animaux domestiques des autres espèces. Les cynophiles, parmi eux, sont peut-être ceux qui manifestent le plus d'hésitation à les suivre ; en majorité certainement. Par contre certains, en dépit du principe émis par les Britanniques, disant l’in-breeding un bienfait et l’in-aninbreeding un péché, sont demeurés sourds à ce conseil et ont persévéré dans les unions entre parents rapprochés sans trêve ni merci, pour aboutir à ce qu'il était aisé de redouter. Un très grand et illustre éleveur de bétail, en Angleterre, tomba d'ailleurs dans la même erreur. C'est Collins lui-même, le créateur de la race Shorthorn. A sa mort, le troupeau était composé d'animaux si lymphatiques que la stérilité des mâles et des femelles s'y était installée à demeure. L'affaire est relatée en détail dans les écrits du professeur Baron, un des grands maîtres de la zootechnie.

Ce n'est pas en vain qu'on peut unir un étalon fameux à ses filles, petites-filles et au delà. ainsi que se crut autorisé à le faire l'éleveur anglais avec son taureau Comet. Il était, il est vrai, un précurseur, et sans doute ne savait-on pas encore à l'époque à quel moment la sagesse commande d'arrêter l'usage d'un procédé qui s'est révélé si efficace pour -la fixation des caractères extérieurs aussi bien que des aptitudes psycho-physiques. Ce dernier point est très important et intéresse, particulièrement l'éleveur du chien de travail. L'intellect du bétail ou de la volaille amélioré n'est sans doute pas un souci. Il en est tout autrement du chien de berger, de chasse ou de garde. Il est donc intéressant de savoir que l'emploi judicieux des unions consanguines peut maintenir ou améliorer le caractère et ce qu'il faut bien appeler l'intelligence des uns et des autres, en même temps que contribuer puissamment au maintien, et auparavant à la fixation, de leurs types particuliers.

Généralement, l’in-breeding se fait avec le concours d'un mâle aussi parfait que possible en tout : physique, qualités spéciales de sa race et, bien entendu, santé, dont on se sert en alliance avec ses filles. Il est indiqué de partir au début d'une lice non apparentée au champion de base. Il n'est pas besoin de l'expliquer. L'expérience prouve que beaucoup d'entre les issus de l’in-breedîng présentent une grande ressemblance avec l'étalon qui est à la fois leur père et grand-père. C'est le procédé de choix pour obtenir un alter ego de celui-ci. Mais il faut faire grande attention au moral du personnage, pas seulement à l'ancienneté de ses origines, à sa beauté, mais aussi à son intellect. J'ai été l'heureux possesseur d'une lice d'une race de chiens courants que je ne veux pas nommer, fruit d'un in-breeding et que je caractérise assez en disant qu'elle était belle, mais bête. Or le champion dont elle sortait doublement était, sur le terrain, un honorable serviteur, sans plus. Chez lui, le plumage dominait le ramage, comme chez le paon. Cela explique la modestie de l'intelligence de cette lice qui, facilement, s'égarait en menée et était sujette à adopter n'importe quelle maison où l'accueil lui était favorable. Partir d'un étalon parfait en tout point est donc indispensable dès qu'il s'agît de produire du chien de travail à obtenir, à la fois, beau et bon.

Supposons l'opération bien menée, et maintenant que ferons-nous de cette portée ou de ces portées produites par consanguinité ? Faut-il allier entre eux les meilleurs ayant, bien entendu, fait leurs preuves sur le terrain ? Demi-frère et sœur, c'est assez délicat ! On peut essayer. L'essai seulement peut indiquer dans quelle mesure la santé ne s'en trouvera pas éprouvée. On aura sans doute quelques surprises. Quant à jouer de l'ancêtre à la manière dont on usa du taureau Comet, le conseil d'abstention des Britanniques semble devoir être écouté.

Chez nous, il ne l'a pas toujours été. Des éleveurs très justement renommés de chiens courants ont essayé de vivre sur la descendance d'un couple primitif jusqu'à la fin de leur carrière. Ceux qui l'ont tenté ont été assez habiles pour maintenir leur famille canine leur vie durant, les symptômes de décadence : affections cutanées, troubles nerveux, manque de longévité, ne se manifestant qu'à la veille de leur retraite.

La preuve est faite de l'impossibilité de maintenir sans trêve dans l'inceste renouvelé un cheptel quel qu'il soit. Sans doute les responsables ont admirablement joué des expédients propres à retarder le déclin, mais leur influence ne saurait éternellement compenser ce besoin- de la nature qui est, un jour venant, la retrempe, soit au sein de la race, soit même en dehors. Cela encore, Baron l'a remarqué, disant qu'il y avait là sans doute une loi naturelle. On ne peut donc pas user d'un procédé aussi puissant sans mesure, car en user avec excès revient à en mésuser. C'est devant les inconvénients remarqués de l'abus que certains esprits, un peu trop prompts, sont partis pour le condamner, en quoi ils se sont lourdement trompés. Seuls les petits remèdes sans vertu peuvent être absorbés sans danger, mais leur efficacité est à la mesure de leur faiblesse.

Il est un exemple célèbre de la sagesse et de la mesure manifestées par un groupe d'éleveurs, mainteneurs du Griffon d’arrêt à poil dur. Plutôt que de s’obstiner à vivre sur la seule descendance des sept ou huit patriarches, représentés par Korthals non comme les uniques spécimens d'une race par lui créée, mais comme expression la plus pure d'une grande race à nombreuses variétés (d'une forme naturelle pour tout dire), ils ont, en conséquence, ouvert la porte au meilleur de ses membres, évitant ainsi une décadence certaine dans un proche avenir. A grand éleveur, disciples intelligents.

Car la pierre d'achoppement de la consanguinité, étroitement maintenue des générations durant, est la perte de la santé. C'est encore le professeur Baron qui a remarqué les effets du coup de fouet de la retrempe. Ce mot, sujet à épouvanter certains, désigne pourtant une opération dont l’intervention s'impose. Elle peut et doit, si l'on peut, être pratiquée au sein de la race. Si l'éleveur X, possesseur de la famille la plus remarquable d'une race déterminée, est parvenu au bout de son rouleau, tous ses chiens archi-consanguins, voués aux mêmes tares, il peut et doit, s'il n'est pas un entêté suicidaire, recourir à une union en dehors avec des représentants de la race n'appartenant pas à son « strain ». Certains s'y sont refusés avec les conséquences fatales que l'on sait. D'autres, plus audacieux, depuis un siècle environ, n'ont pas hésité à faire appel à un chien bien différent de toutes nos races de chiens courants. Ceux qui ont su doser convenablement les unions ont sorti quelques familles illustres de ces chiens si improprement qualifiés de bâtards durant un temps. Les veneurs poitevins, en particulier, ont appris à le faire sans modifier le physique ni les aptitudes de leur chien célèbre pourtant autre que l’étranger auquel ils l'ont uni. Certains ont répété l'opération, amorçant ainsi le croisement de substitution, qui n'est plus une retrempe, d'où sa condamnation par quelques esprits peu observateurs et peu réfléchis. Pourtant, quand on a abusé d'une méthode par entêtement, ou parce que la nécessité a imposé sa loi, il n'est pourtant aucun autre moyen d'en sortir que celui de la retrempe, s'il se peut, au sein de la race, soit en recourant à une race étrangère judicieusement choisie et employée. Condamner la pratique de la consanguinité a priori demeure une grossière erreur. Sans elle, les types et les vertus, qui vont de pair, n'auraient été ni fixés ni maintenus. C'est une arme puissante au service de l'élevage, art d'observation et art d'exécution. Les vues étroites n'y sont pas à leur place. II faut consentir à tenir compte des faits sans s'entêter dans les voies durant un temps fécondes, lorsque les faits enseignent qu'on en est au terme de leur bienfaisance.

Si la consanguinité est un remède dont on peut facilement effacer les marques après en avoir abusé, il en est autrement des croisements répétés et inconsidérés tentés par curiosité. Cela ne rime à rien qu'à semer le désordre, à détruire un cheptel bien assis et tournebouler les esprits un peu légers. Ces opérations irréfléchies ont, en effet, contribué à créer une confusion entre retrempe rationnelle et fantaisies ne méritant aucun nom. Ces fantaisies, uniquement destructrices, témoignent de l'ignorance de leurs admirateurs pour aboutir au chaos représenté, par exemple, au milieu du siècle passé, par nos races de chiens d'arrêt.

L'élevage consiste à jouer des équilibres, ainsi que l'enseigne l'observation des faits, seul moyen d'être constamment en rapport avec la vérité, fermée aux fantaisistes et, dans une large mesure, aux esprits insuffisamment ouverts à l'objectivité.

R. De Kermadec.

Le Chasseur Français N°647 Janvier 1951 Page 16