L'expositionnisme est une maladie grave. Elle ne nuit pas à
la santé du chien, à moins qu'il ne recueille, dans des stalles contaminées,
les germes de la pneumonie. Mais elle peut avoir l'influence la plus néfaste
pour l'avenir de la race au point de vue de l'aptitude à la chasse.
J'entends par expositionnisme la manie de certains éleveurs
qui ne produisent que pour l'exposition et qui ne choisissent leurs géniteurs
que parmi les lauréats du ring, sans se préoccuper du modèle utile et des
qualités de chasse.
Les purs expositionnistes sont très rares dans le monde
chiens courants. Grands et petits veneurs, comme presque tous les amateurs de
chiens courants, produisent uniquement pour eux-mêmes. Çe qu’ils veulent, ce
sont des chiens qui chassent, qui chassent bien et qui aient de la santé et du
fond.
A la rigueur, on peut se montrer plus indulgent sur la santé
et le fond d'un chien d'arrêt, que l'on peut choyer et soigner tout spécialement
et que l'on peut ménager aussi. Mais le chien courant, chien de meute ou de
petits lots, doit être particulièrement rustique et résistant.
D'abord parce qu'on ne peut pas être aux petits soins pour
lui. Ensuite parce qu'il lui faut avoir assez de résistance pour suivre les
autres et travailler utilement avec les autres.
Avec un chien d'arrêt, on peut faire halte à l'ombre d'un
arbre et le laisser souffler.
Avec des chiens courants, lorsque l'animal est lancé, il n'y
a aucun repos tant que dure la poursuite.
Il ne viendrait jamais à l'idée d'un veneur d'élever des
géniteurs (aussi beaux soient-ils au point de vue type) qui ne soient pas en
même temps bons, solides et résistants.
Mais, lorsqu'une race de chiens est à la mode, à côté des
éleveurs sérieux et avertis, il y a les snobs et les éleveurs marchands.
Les premiers sont expositionnistes par gloriole. Les seconds
le sont pour les besoins de leur commerce.
Du fait que les amateurs de chiens courants élèvent par
eux-mêmes et pour eux-mêmes, la clientèle des éleveurs marchands se recrute
parmi des débutants ou, tout au moins, des chasseurs qui veulent adopter une
race nouvelle.
Les uns et les autres ignorent à peu près tout de la race.
Ils ignorent certainement les origines vraiment intéressantes au point de vue
qualité. Ils ne se préoccupent donc que d'une chose : le pedigree.
Et ce pedigree (sauf pour quelques rares sujets ayant obtenu
le brevet de chasse) n'indique rien quant à la qualité des ancêtres.
En revanche, il étale tous les prix obtenus par le père, la
mère, les grands-pères, grand'mères, etc. Plus le pedigree est émaillé de
premiers prix et de C. A. C., plus les futurs acquéreurs sont tentés.
L'éleveur marchand ne se préoccupe donc que d'une seule
chose : les prix en exposition.
Il peut même arriver que pendant deux ou trois générations
les reproducteurs utilisés n'aient jamais chassé ou n'aient jamais été que de
très médiocres chasseurs.
Voilà des familles absolument nulles à la chasse, qui
inondent le marché, car, tandis que les veneurs ou petits amateurs limitent
leurs portées ou les sujets conservés sous la mère, les éleveurs marchands
élèvent toute la portée et de toutes leurs lices.
Si bien que les familles peu intéressantes deviennent plus
nombreuses que les familles de qualité. Cela fait le plus grand tort à la race,
d'autant plus que tous les débutants ou nouveaux adeptes, auxquels on avait
tant vanté la race, sont complètement désillusionnés du fait qu'ils n'ont le
plus souvent acquis que des sujets sans grand intérêt pour la chasse.
Les chiens titulaires de C. A. C. ou champions qui ne valent
rien en chasse sont une vraie catastrophe pour l'élevage, car ils sont
évidemment les plus recherchés, à cause même de leurs succès en exposition.
Un mauvais champion peut avoir une influence énorme et
durable, car il transmet bien souvent sa nullité.
Un jour, un chasseur qui venait d'acquérir un chien courant
de haute lignée vint me le montrer et me demander mon avis. Je lui dis, en toute
franchise, à peu près ceci :
« Je parierais que votre chien est fils ou petit-fils
du champion X... Il a son regard timide et idiot. Comme le champion X..., il ne
doit rien valoir en chasse. »
Le propriétaire se contenta de me répondre, avec amertume : «
Hélas ! vous avez deviné juste, c'est bien un petit-fils du champion X...,
et il est totalement inutilisable à la chasse. »
De telles constatations semblent donner raison à ceux qui
critiquent le chien de race et lui préfèrent le bon chien quelconque, sans origine
officielle.
Mais ce serait une erreur d'en conclure que le chien de race
n'est pas... et ne peut pas être un bon chien.
Raisonner ainsi, c'est nier l'influence heureuse de la
sélection, qui a fait faire tant de progrès dans toutes les branches de l'élevage.
Mais sélectionner sur le seul modèle (à la mode) n'est pas
de la vraie sélection. C'est une sélection à sens unique, qui devient même une
sélection à contresens, parce que, dans toutes les races d'utilité, le beau et
le bon doivent être inséparables.
Le beau chien (comme le beau cheval) n'est pas celui qui
répond seulement à une idéologie esthétique, mais bien celui dont l'ensemble
est le plus harmonique et le plus conforme à l'aptitude au travail que l'on
attend de lui.
Dans un prochain article, j'essaierai de montrer les excès
et les erreurs de l'idéologie esthétique, et les moyens de les combattre et de
réaliser une vraie sélection vers le beau et le bon chien.
Paul DAUBIGNÉ.
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