Parmi le monde halieutique, et surtout dans le clan des «
sportifs », beaucoup ont une opinion bien arrêtée, absolument indestructible
dans leur esprit, et qu'ils n'abandonneront que devant l'incontestable
évidence, en l'occurrence les captures répétées faites par le collègue voisin,
démontrant la supériorité d'une autre méthode et d'un autre engin.
Ils n'ont pas tout à fait tort, car la confiance est un gros
appoint dans le résultat final d'une saison de pêche. Je parle, bien entendu,
de la pêche dite sportive — je le répète, — où les leurres artificiels sont si
divers.
Tant au point de vue matériaux qu'au point de vue formes,
cette diversité est si grande que la plus grosse stupidité due à un « cubiste »
halieutique ne déparerait pas la collection des leurres plus ou moins bizarres
enfantés par des confrères ou… des vendeurs ingénieux.
Et, ce qu'il y a de plus stupéfiant, c'est que, parfois, la
réussite vient récompenser l'essai de ce petit monstre étrange. Alors, l'heureux
possesseur ne jure plus que par « son » leurre, rien ne l'égale, jusqu'à ce que
le voisin ait extrait quelques belles pièces avec un autre appât. Il faut bien
se rendre à l'évidence.
Timidement, en cachette, on essaie la nouvelle merveille. Et
c'est ainsi que, toute une vie, certains confrères cherchent leur voie, sans se
fixer jamais.
J'émettais, il y a bien longtemps déjà, dans diverses revues
auxquelles j'ai collaboré, une affirmation, encore basée sur l'expérience : «
Changeons de leurres » ; il me semble avoir quelque peu approché de la vérité,
mais j'ajoutais : « Quand les carnassiers ont faim, ils sauteront tout
aussi bien sur une carotte animée que sur la plus rutilante des inventions
américaines. »
C'est exact, et mes confrères du lancer ne me contrediront
certes pas, j'en suis persuadé.
Ne soyons donc pas trop exclusifs en matière de leurres et
contentons-nous de fixer notre choix sur ceux qui déclenchent les réactions les
plus franches, les élans les plus nets, en un mot sur ceux qui déterminent l'attirance
la plus constante chez nos adversaires aquatiques.
Comme grandes lignes, disons qu’ils sont de quatre sortes : ceux
qui tournent, ceux qui ondulent, ceux qui nagent et, enfin, la multitude des
danseurs de rumba, lesquels doivent, d'après les catalogues qui les présentent,
rafler en moins de deux toute la gent carnassière de la rivière ou du lac.
Voire !
On l’affirme en tout cas, et comme le portefeuille a son mot
à dire en matière d'essai, il appartient au seul pêcheur de juger de ses
disponibilités.
Toutes ces expériences éparpillées donnent une opinion
d'ensemble, évitant bien des recherches aux débutants.
Les leurres tournants (cuillers, devons, hélices)
rallieront toujours la majorité des pêcheurs au lancer. Pourquoi ?
Est-ce parce qu'ils sont plus vibrants que les autres, qu'on
les sent dans la main ? Est-ce peut-être parce que les uns sont plus faciles à
construire et les autres meilleur marché ? Est-ce enfin parce qu'ils ont fait
leurs preuves ?
Ces trois suppositions suffisent à faire d'eux des leurres
justement appréciés. Disons seulement qu'il faudra se montrer très réservé dans
la cadence de récupération. Choisissons-les de petites dimensions, ce qui ne
les empêchera nullement de tenter un gros vorace.
En réfléchissant, on se rend compte que leur déplacement
n'est pas naturel, et que les poissons vivants ne se vissent pas dans l'eau
comme un devon ou une cuiller, mais ils bougent : voilà l’attraction.
Les leurres ondulants, c'est-à-dire ceux qui
progressent en se couchant à droite, puis à gauche, sans se retourner
complètement jusqu'à la rotation intégrale ; ils donnent à peu près l'allure du
poisson blessé et sont très meurtriers : le carnassier étant naturellement
porté à attaquer l’infirme, le malade, plus aisément saisissable que le fretin
valide filant, en zigzags, à toutes nageoires.
Nous aurons alors, comme modèles, la cuiller ondulante, le
poisson en caoutchouc dont le point d'attache se trouve sur le côté au lieu d'être
en pointe, enfin le poisson artificiel ou naturel, muni d'un disque incliné de
métal ou de cellulo, l'obligeant à des échappées brusques dans tous les sens.
Les trois leurres sont bons, quoique l'emploi de celui-ci
soit réservé aux eaux libres et sans obstacles.
Puis viennent les « nageurs », les benjamins
de la collection.
De vraies pièces de précision, parfois, comme aspect et
mouvement, mais d'un prix en conséquence.
Cette dernière considération en limite l'emploi, et c'est
bien regrettable pour nous. Certains sont de vrais petits bijoux qui, ramenés
en douceur, paraissent d'authentiques poissons en promenade confiante devant le
-nez du carnassier à l'affût.
Je vous prie de croire que ça ne traîne pas. Hop ! un
bond, et l'imprudent trouve un refuge dans la large gueule, les hameçons
suivant le mouvement.
Essayez d'en promener un près d'un brochet plaqué au fond ou
au ras d'une touffe, vous vous rendrez compte de cette puissance attractive.
Je regrette de ne pas les connaître tous, je pourrais vous
renseigner plus complètement, mais, comme ces nouveau-nés sont nombreux, il
faut que je me contente de juger ceux que j'utilise et que j'indique à mes
confrères du bord de l'eau.
Quels qu'ils soient, s'ils nagent aisément et sont
judicieusement armés, ils sont à employer.
Enfin, voilà les danseurs de swing et de rumba.
Ces petits malins exécutent des mouvements désordonnés
donnant, en réduction, l'aperçu de l'évolution des amateurs ultra-modernes du
parquet ciré : toutes les contorsions forcenées, fort prisées dans les caves
existentialistes, leur sont familières ; par contre, je crains fort que les
voraces n'en soient pas partisans et qu'ils ne se demandent s’il ne vaudrait
pas mieux déguerpir que s'approcher : un mauvais coup est vite reçu...
Il faut du mouvement, bien sûr, mais pas trop n'en faut. Ce ne
sont plus des appâts, mais de vraies petites frondes tourbillonnantes.
On doit bien en trouver de très bons parmi eux, mais je ne les
ai pas eus en main pour les juger en toute impartialité. Je ne me fie guère aux
racontars ; vous non plus, n’est-ce pas ?
Et que conclure de tout cela ?
À mon avis, l’avenir doit appartenir aux leurres qui nagent
: souhaitons que les fabricants les mettent à la portée de toutes les bourses ;
chacun pourra alors se faire une idée exacte de leur efficacité, et nous
connaîtrons l'ère du nageur comme nous avons connu celle de la cuiller.
Quant à leur coloration, elle importe peu, pourvu qu'elle
soit normale, car ces leurres, ne tournant pas. Leurs couleurs restent telles qu'on
les a appliquées.
Elles ne se fondent pas dans une rotation rapide comme c'est
le cas sur le devon et la palette de la cuiller.
Je crois qu'avec un dos vert foncé ou bleuté, un ventre
argenté, les nageoires orangées (gardons) ou gris rosé avec de petites taches
brunes (goujons), un nageur se présentera sous un aspect à peu près naturel.
Mais tous les goûts varient ; attendez-vous donc à piquer un
beau poisson avec tout leurre bien présenté et bien manoeuvré.
Marcel LAPOURRÉ,
Délégué au Fishing-Club de France.
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