La circulation des cycles sur les routes à grand trafic
devient de plus en plus difficile et dangereuse. Le nombre des voitures de
tourisme et des poids lourds augmente chaque jour et ne cessera jamais
d'augmenter. Quant à leur vitesse, elle est aujourd'hui couramment de 70 à
l'heure pour les autocars et de 100 pour les véhicules légers. C'est au milieu
de ce lâcher de bolides que nous roulons, rarement tués, souvent frôlés par la
mort, assourdis, toujours attentifs à éviter la catastrophe.
Y a-t-il des remèdes à cet état de choses? Ceux qu'on a
proposés, et qu'on n'a d'ailleurs que proposés, me semblent dérisoires. Ça et
là, sans savoir le plus souvent pourquoi là et pas ailleurs, on rencontre un
trottoir cyclable obligatoire. En admettant qu'il soit bien établi, assez
large, vraiment praticable, ce qui est fort rare, il commence et finit comme
s'il représentait un essai de trottoir et rien de plus. D'ailleurs, peut-on
concevoir notre immense réseau routier entièrement bordé de trottoirs
cyclables, même en dehors de la traversée des villes, où il sont généralement
impossibles à établir.
On a aussi parlé d'une fameuse bande blanche, peinte sur le
goudron à une certaine distance du bord, et qui assurerait aux cyclistes un
ruban réservé sur lequel les autos n'auraient pas le droit d'empiéter.
Plaisanterie ! D'abord, il faudrait une bande montante et une descendante, ce
qui diminuerait de plus d'un tiers la largeur de la chaussée. Et voyez-vous des
croisements et des dépassements de voitures entre ces deux bandes... respectées
?
Il n'y a donc pour nous d'autre solution que celle-ci : déserter
les routes à grand trafic toutes les fois que cela est possible, ne pas
chercher à résoudre un problème de cohabitation avec les autobus, renoncer à
tout modus vivendi avec les bolides et se décider à les fuir... quand on
le peut, sans tenir compte de l'allongement de parcours, en s'en consolant par
la tranquillité et la sécurité relatives dont on bénéficiera sur les routes à
moyen ou faible trafic, généralement plus pittoresques que les grandes routes.
Mais voilà ; on ne les connaît pas et l'on ne semble pas
mettre beaucoup de bonne volonté à les connaître. Pourquoi ? Parce que,
consultant depuis trente ans ces merveilleuses cartes Michelin, nous avons pris
l'habitude d'être hypnotisés par les traits rouges et les traits jaunes,
gardant une méfiance très mal fondée à l'égard des autres traits, que nous
supposons indiquer des routes poussiéreuses et pleines de trous.
Grosse, très grosse erreur.
Une carte spécialement éditée pour cyclotouristes
indiquerait par exemple en gros traits de couleur très voyante : entre Chatou
et Le Pecq, la petite route qui longe le chemin de fer ; entre Saint-Cloud et
Versailles, la route de Garches et Vaucresson ; entre Étampes et Orléans, la
route d'Aquebouille et Saint-Lye; entre Libourne et Bordeaux, la route de Vayres
et Saint-Loubès, etc., etc. Ainsi, les cyclotouristes pourraient immédiatement
fixer leur choix. Ces cartes seraient une sorte d'encouragement à s'éloigner
des routes à grand trafic. Elles n'orienteraient pas les cyclos vers des
déserts, mais des voies de moindre encombrement et de moindre danger. Et
combien la diffusion de ces cartes serait approuvée, bénie des automobilistes,
que la présence des cyclistes sur leurs routes-autodromes « empoisonne » !
Reste la question autostrades. On canaliserait les autos sur
des routes interdites à tous autres véhicules. Ainsi, ceux-ci seraient plus à
leur aise sur les routes à grand trafic décongestionnées. Laissez-moi rire
encore une fois ! Le métro, lui aussi, devait « faire le vide à la surface
» ! Il ne le fit pas à ses débuts, et maintenant la décongestion de la
circulation en surface me paraît plutôt être de l'étouffement, de l'asphyxie.
Non ; les autostrades, que, d'abord, il faudrait construire, parviendraient
tout au plus à équilibrer la circulation, puisque celle-ci aurait doublé ou
triplé avant le jour de leur inauguration. Et ce dont nous avons le moins
besoin en France, pays de prodigieuse densité routière, c'est de routes
nouvelles.
En somme, il s'agirait d'une réhabilitation des petites
routes obtenue grâce à une cartographie spéciale qui nous les ferait, à
première vue, connaître, distinguer de tout le reste, qui en soulignerait au
besoin par le classique trait vert le côté pittoresque, mais surtout qui nous
aveuglerait sur tout ce qui est grand trafic et nous pousserait pour ainsi dire
vers les voies qui nous conviennent. Bref, des cartes d'itinéraires recommandés
aux cyclotouristes de façon extrêmement claire et sautant aux yeux. Je doute
qu'un seul cyclotouriste puisse en discuter l'idée, et moins encore un seul
automobiliste. Qu'en pensez-vous ?
Henry De La Tombelle.
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