L'idée de cultiver les plantes en milieu nutritif, sans
qu'elles aient besoin de puiser leur nourriture dans le sol qui les supporte,
n'est pas nouvelle, et les premiers essais méthodiques datent de près d'un
siècle.
C'est évidemment là une solution attrayante du problème de
la production agricole. Elle assurerait des récoltes régulières, car, poussant
le système jusqu'au bout, on peut imaginer de mettre la plante non seulement en
milieu nutritif optimum, mais encore de la placer à l'abri des intempéries
(culture sous verre), et même, grâce au chauffage et à la lumière artificielle,
d'obtenir plusieurs récoltes par an. Ce n'est toutefois pas en France que les travaux
ont été le plus poussés, ni même dans les autres pays européens à densité
élevée de population, mais, ce qui est un peu paradoxal, aux États-Unis, où la
capacité de production du sol n'est pas encore complètement utilisée et laisse
apparaître encore d’énormes perspectives.
Le principe de ces cultures est très simple ; il consiste,
dans des cuves en ciment, à disposer un support inerte, sable, vermiculite,
tourbe stérilisée même, et à l'imbiber de solutions nutritives qui mettent à la
disposition des plantes, sous une forme éminemment assimilable, tous les
éléments nécessaires à leur végétation.
Les rendements doivent être excellents et absolument réguliers,
si les dosages ont été bien faits, puisque les végétaux ainsi nourris se
trouvent dans des conditions bien plus favorables que ceux qui viennent dans le
sol naturel. Non seulement il ne leur manque rien, mais ils n'ont à lutter ni contre
les mauvaises herbes, ni même contre les maladies cryptogamiques, le milieu
étant stérile ; ils peuvent être protégés contre les intempéries et n'auront alors
plus rien à redouter du gel, de la grêle ou de la sécheresse.
Les difficultés de réalisation sont toutefois considérables,
et la concentration des solutions fort difficile à doser. Il ne faut pas
oublier que, lorsqu'on sème 500 kilogrammes de superphosphates à l’hectare,
cela ne représente que 50 grammes au mètre carré. Mêlés à une épaisseur de
terre de 20 centimètres par exemple, en admettant que le mètre cube de terre
pèse 1.500 kilogrammes, ces 50 grammes d'engrais représentent un pourcentage de
250/1.500.000 ou 1/6.000. Or il y a là la ration en acide phosphorique d'une récolte
entière, et la quantité qui sera absorbée quotidiennement par la plante sera
infiniment moindre. La quantité d'éléments nutritifs à apporter par la solution
devra donc être faible et tenir compte aussi du danger qu'il y aurait à une
concentration excessive hors de proportion avec celle des solutions naturelles
du sol. En fait, on arrive à des taux variables avec les solutions, mais de l’ordre
de grandeur de 1/100.000. Il y a là toute une série de calculs et d'essais à
réaliser pour obtenir les chiffres favorables.
Il va sans dire qu'il faut pour toutes ces opérations un
personnel consciencieux et compétent, à tous les étages du travail. En outre,
la plante ne trouvant, pour se nourrir, rien d'autre que ce qu'on lui apporte,
il ne faut rien oublier. Alors que dans les procédés de culture classiques on
se contente le plus souvent d'apporter de l'azote, de l'acide phosphorique et
de la potasse, un peu de chaux parfois, comptant sur la terre pour fournir le
reste, il faut, avec la culture sans sol, songer au magnésium, au fer, au
brome, à la soude, etc., sans rien négliger.
Il faut aussi prendre garde de ne pas mêler dans la même
solution des corps qui réagissent l'un sur l'autre et sont susceptibles de
donner un composé inassimilable ou même nuisible. Pour parer à ce risque, on
est amené à faire se succéder les éléments nutritifs. Au lieu de laisser la
plante se nourrir à sa guise, on règle sa ration, et à heures fixes on lui
donne tel ou tel aliment. Autant que possible on s'efforce de deviner ses
préférences, mais les erreurs sont faciles.
Les difficultés sont, comme on le voit, considérables. Elles
ne sont toutefois pas insurmontables et les Américains ont obtenu, et
obtiennent encore, des résultats fort intéressants. Au Japon, en particulier,
ils ont fait pousser des quantités importantes de légumes pour leurs troupes
d'occupation à l'aide de ce procédé. On sait toutefois qu'en pareilles
circonstances la question des prix de revient est secondaire. En Amérique même,
ils cultivent ainsi légumes et fleurs.
Si intéressante que soit cette méthode, elle ne semble pas
appelée à se répandre, tout au moins actuellement et tant que les besoins en
produits végétaux ne seront pas plus impérieux qu'ils ne sont encore en raison
du coût des installations et des frais de production.
Elle reste cependant appelée à rendre des services dans
quelques cas particuliers, pour certaines cultures de luxe, et aussi pour
l'expérimentation, car elle élimine une quantité de facteurs qui, dans les
cultures normales, rendent difficiles les comparaisons et l'appréciation des
résultats.
Dans un avenir plus lointain, quand la terre surpeuplée ne
pourra plus nourrir ses habitants par les méthodes traditionnelles, peut être
ceux-ci verront-ils des étages superposés de bacs en ciment produire des récoltes
de céréales ou de pommes de terre, à moins que d'ici là la chimie n'ait résolu le
problème par des produits de synthèse.
R. Grandmottet,
Ingénieur agricole.
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