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Le vignoble français

L'année qui vient de se terminer a vu plusieurs manifestations vinicoles. Des personnages étrangers de marque ont été promus, avec le cérémonial habituel, membres d'associations héritières des anciennes corporations. Ceci prouve qu'à l'étranger on estime nos vins à leur juste valeur.

C'est à la fois un éloge, une consolation et un encouragement. Un éloge venu de personnes occupant dans la société une place assez importante, une consolation parce qu'en ces temps un peu troublés il est agréable d'assister à de telles manifestations, et un encouragement à maintenir la réputation de nos grands vins.

Ceci nous amène naturellement à faire connaître nos vignobles aux lecteurs de cette revue, et avec eux nous allons faire un voyage à travers la France. Disons en passant qu'il nous est impossible, dans ce raccourci, de citer tous les noms géographiques des crus connus, ni tous les « îlots » que l'on rencontre au hasard des déplacements, îlots qui fournissent le plus souvent d'excellents vins.

Partant de la capitale et nous dirigeant vers le sud, nous laissons derrière -nous et à notre droite le pays du cidre. Si nous passons par Pithiviers, nous y rencontrons les premiers pieds de vigne.

Laissons à notre gauche les jardins de Thomery et ses espaliers de chasselas. Voici l'Orléanais, avec ses petits vins de coteaux au goût de terroir pas désagréable ; on trouve là de la vigne, même en Sologne. Les vins légers sont transformés en vinaigre, ce qui a fait naître au chef-lieu une industrie qui porte son nom.

Descendons le fleuve; nous allons partout trouver des vignobles ; d'abord Vouvray et Rocheborn sont les principaux, qui donnent, avec le Chenin blanc, des mousseux très estimés ; en continuant, nous arrivons dans le Chinonais (en aval de Tours), planté en Cabernet, qui donne des vins rouges rappelant ceux du Médoc, dans les régions principales de Restigné, Bourgueil, Chinon. En aval encore, nous trouvons le Saumurois, qui donne, avec le Chenin blanc, des vins réputés. Les régions de Vouvray et de Saumur sont constituées par des craies qui ont beaucoup d'analogie avec celles de la Champagne. La fabrication des vins mousseux y est obtenue par le même procédé.

Au nord et au sud du fleuve, les vallées des affluents produisent également de bons vins ; citons celles du Loir, du Cher, de l'Indre, de la Vienne et du Thouet.

Maintenant, nous pénétrons dans l'Anjou, région où le fleuve a dû se creuser un passage à travers les collines des terrains primitifs. Ici, la vigne pousse dans un sol très différent ; les grands vignobles se situent sur les bords de la Loire, du Layon et du Maine, où le Chenin blanc donne des vins réputés ; « La Roche aux Moines s et la « Coulée de Serrant » sont des. coteaux qui dominent les terrains marécageux du fleuve. Là aussi, le même cépage domine.

Dans le val de Loire les vins rouges sont produits par les cépages suivants : Pinot noir, Cabernet-Sauvignon, le Ma bec, le Groslot de Cinq-Mars, le Teinturier du Cher.

Si nous voulons aller déjeuner à Nantes, nous pourrons déguster le fameux Muscadet, obtenu avec le cépage du même nom appelé aussi Melon de Bourgogne.

Il nous est impossible de citer tous les cépages ; nous ne nommerons seulement que les principaux. Tout vigneron sait qu'un vin s'obtient avec plusieurs pieds, l’un dominant les autres. D'autre part, depuis les perfectionnements obtenus avec les hybrides, nombre de ces derniers ont pu concourir à l'encépagement actuel, sauf dans les vignobles à appellation contrôlée.

Laissant les vignobles au nord de la Loire bretonne, dirigeons-nous vers le sud. A partir de ce moment, nous trouvons la vigne partout, soit qu'elle forme un vignoble d'un seul tenant, soit qu'elle soit disséminée dans des propriétés de polyculture, où elle assure le plus souvent la consommation familiale.

Nous traversons d'abord le bocage vendéen au sol profond et humide ; les vins blancs sont produits par la Folle blanche, les vins rouges par la Folle noire ; ces cépages donnent des produits très ordinaires.

En continuant toujours plus au sud, nous entrons dans les Charentes, au terrain bien différent. Nous sommes ici en plein calcaire, analogue à celui de Champagne, donnant des terres pauvres, arides. Toutefois, la vigne y pousse bien, grâce au régime des pluies. Ici encore, nous trouvons la Folle blanche, qui donne un vin blanc, dur, acide, mais qui, distillé, produit des eaux-de-vie au parfum merveilleux.

Continuons notre route. Nous entrons dans le Bordelais, où le nombre des crus est considérable. A Libourne, on se sent déjà en plein centre commercial. Si nous remontons la rivière Dordogne, nous trouvons sur notre gauche les vignobles de Saint-Émilion et Castillon, établis sur des collines au sous-sol calcaire. En aval de Libourne, nous avons les vignobles de Fronsac, de Saint-André-de-Cubsac et, plus loin, de Blaye. Si nous traversons l'estuaire de la Gironde, nous pourrons visiter, rive gauche, le grand vignoble du Médoc, avec les centres de Cantenac, Margaux, Saint-Julien, Pauliac, Saint-Estèphe ; enfin, le bas Médoc se situe en aval de l'estuaire, jusqu'à la pointe de Grave.

Les cépages du Médoc sont : le Cabernet franc, le Cabernet Sauvignon, le Merlot, le Verdot, la Carmenère, le Malbec. Au sud de Bordeaux, nous trouvons le vignoble de Graves dans les régions réputées de Pessac, Léogan, Château-Haut-Brion, puis les vignobles de Château-Haut-BailIy et Château-Carbonneux.

Les vins de Graves sont un peu moins bouquetés que ceux du Médoc. En remontant la Garonne, nous trouvons les vignobles de Gérons et de Barsac, donnant de bons vins blancs. Puis, sur la rive droite du Ciron, nous sommes dans le Sauternois, qui comprend les régions de Sauternes (Château-Yquem), Bommes, Preignac.

Les vins de Sauternes, d'une belle couleur dorée, sont très alcooliques (12° à 14°), doux ou même liquoreux. Ils doivent à une haute teneur en glycérine un moelleux et une onctuosité remarquables que complètent une saveur et un bouquet très fins. Leur conservation est indéfinie. Trois cépages blancs servent à leur production : le Sémillon, le Sauvignon et la « Muscadelle » (P. Pacottet).

Citons encore l'Entre-Deux-Mers, qui se situe entre Garonne et Dordogne. Les vignobles en face de Bordeaux, cantons de Carbon-Blanc et de Créon, donnent des vins rouges de côtes et de palus.

Ne quittons pas le Bordelais sans visiter les vignobles de Monbazillac (au sud de Bergerac), où les trois cépages du Sauternois donnent des vins liquoreux bouquetés ; plus au sud, les côtes de Duras, avec le même encépagement, donnent des vins analogues, mais moins fins.

Maintenant, si nous voulons, traversant l'immense forêt landaise, visiter le château de Pau, nous pourrons déguster le « Jurançon », vin blanc historique d'un bouquet un peu spécial, mais malgré tout excellent.

Puisque nous sommes en vue des Pyrénées, citons leurs principaux vignobles. Outre le Jurançon, sur le gave de Pau, le madiramois (nord de Vic-de-Bigorre), les régions de Monein et d'Orthez. Les vins de ces régions sont obtenus avec le Tannat (cépage principal), puis le grand et le petit Mansac, le Claverie, le Gourbu.

Dirigeons-nous maintenant vers le nord-est : nous traversons le département du Gers, pays de l'Armagnac, dont le cépage principal est la Folle blanche, mais ici elle a été débaptisée et s'appelle le Picquepoul blanc ; elle a quitté le calcaire charentais pour pousser dans les alluvions de l'époque glaciaire. Distillée, elle donne d'excellentes eaux-de-vie de table, dont quelques-unes rivalisent avec celles des Charentes.

Arrêtons-nous en Armagnac, nous continuerons notre voyage le mois prochain.

V. Arnould,

Ingénieur agronome.

Le Chasseur Français N°647 Janvier 1951 Page 39