Accueil  > Années 1951  > N°647 Janvier 1951  > Page 44 Tous droits réservés

Pavillon familial en banlieue

J'avais édifié ce petit pavillon, avant guerre, dans la banlieue est de Paris, sur un terrain de 7 mètres de façade. La distribution avait été étudiée pour le logement de deux personnes seulement, avec une personne de service. Le nombre des pièces était donc assez réduit.

Au rez-de-chaussée : porche, entrée, w.-c., cuisine, grand living-room à poutres apparentes avec escalier apparent décoratif dans le fond. Au 1er étage : deux chambres avec loggia et bains. Au comble : chambre de bonne et grenier. Au sous-sol : garage, buanderie, chaufferie, cave.

En présentant aujourd'hui ce pavillon aux lecteurs du Chasseur Français, je maintiens la façade et les accès dans leur réalité, mais je modifie la distribution pour répondre à un programme plus général, et cette adaptation a pu se faire sans aucune difficulté. J'ai donc prévu au rez-de-chaussée : porche, hall avec escalier, w.-c., cuisine, studio et salle à manger communicants. Au 1er étage : trois chambres, loggia, bains. Au comble et au sous-sol : même distribution un peu agrandie.

Cette distribution est d'autant plus intéressante qu'elle a été prévue pour une largeur de 7 mètres. Cette largeur se rencontrera souvent en région parisienne, et spécialement sur les lots de 10 mètres de façade, très nombreux dans les anciens lotissements.

Je vais donner un exemple concret.

J'étudie en ce moment un petit pavillon du type IV B devant être construit en banlieue nord avec le bénéfice de la loi Loucheur. Tous les terrains du quartier ont 10 mètres de large. J'avais établi mon premier projet sur 8m,10 de façade, partant de la limite mitoyenne à gauche, laissant à droite un passage de 1m,90, distance réglementaire pour les ouvertures d'après le Code civil (vues directes), et, sur cette façade côté sud, je prévoyais des fenêtres accrochant le soleil et donnant vue sur l'enfilade des jardins voisins. En effet, les deux maisons construites à droite et à gauche ayant leur façade à 4 mètres de la rue, je plaçais la façade à 10 mètres en retrait pour dégager les vues latérales. Je suis allé à la voirie du département de la Seine avec mon client. Mon projet « collait » sur tous les points, sauf sur un seul : la marge latérale de 1m,90 devait être portée à 3 mètres en vertu des nouveaux règlements d'urbanisme, ou être supprimée, la maison occupant la largeur totale de 10 mètres. J'ai établi sur-le-champ un nouveau croquis pour la largeur de 7 mètres. Mon confrère l'architecte-voyer en a accepté le principe, et j'ai dit à mon client : «Consolez-vous, le deuxième modèle sera mieux que le premier. » II faut noter que les maisons à bon marché (ou à loyer modéré, comme on les appelle aujourd'hui) sont les plus difficiles à étudier. Il s'agit, en effet, de concilier les surfaces réglementaires du type choisi avec les besoins particuliers de l'occupant, la forme et les dimensions du terrain, l'orientation, et surtout avec la faible somme disponible. Les sociétés de crédit immobilier de la Seine, ont donc agi sagement en exigeant que chaque client ait son architecte. « L'architecte est une économie ! », clamait cet été à Luchon l'hôtelier lettré Gayzard, que j'ai surnommé Ragueneau.

Distribution.

— Revenons à nos moutons, et faisons ensemble la visite du pavillon familial en banlieue.

La clôture sur rue est formée par trois piliers en maçonnerie avec dessus arrondi. Le pilier central a la forme d'une borne kilométrique. De chaque côté se trouvent deux portails en chêne, l'un à gauche pour l'entrée de l'auto vers le garage, l'autre à droite pour l'entrée des piétons.

Ouvrons le vantail gauche du portail de droite. Gravissons les marches du perron séparées par deux paliers intermédiaires et bordées par des murs formant jardinières. Nous arrivons sous le porche du pavillon par une large baie en plein cintre. La partie basse de cette baie est fermée du côté droit par un mur-bahut formant jardinières à sa partie supérieure.

En face du porche se trouve la porte d'entrée du hall, porte en chêne dans une baie en plein cintre; avec panneau en ferronnerie portant au milieu la lettre décorative B initiale du propriétaire constructeur. Ouvrant cette porte, nous entrons dans le hall, où nous apercevons à droite l'escalier. Dans ce hall, nous trouvons la porte des w.-c., la porte de descente de cave, la porte de cuisine, la porte de la salle à manger, la porte à deux vantaux du salon. Près de l'entrée se trouvent, à droite, un grand vestiaire, à gauche, un petit. Au creux de l'escalier se place une banquette ou un vieux coffre.

La cuisine (10 m2 environ) s'éclaire en façade postérieure par une fenêtre et par une porte-fenêtre d'où l'on accède au perron, qui descend au jardin. Les éléments utiles sont rassemblés sur trois faces : évier sous fenêtre avec un égouttoir de chaque côté, cuisinière à charbon, cuisinière électrique, placard avec portes à coulisse, frigidaire. Au milieu se trouve la table pour quatre ou six personnes. Une porte spéciale permet le passage direct à la salle à manger, et cette porte est pourvue d'un guichet passe-plats.

La salle à manger (20 m2 environ) s'éclaire en façade postérieure par une large baie fermée par un volet roulant en bois. Le mur latéral extérieur est entièrement garni par un ensemble utilitaire et décoratif formé par deux grands buffets-placards encadrant une grande cheminée rustique. La partie basse des placards est à panneaux sculptés représentant des sujets familiers.

Le studio (20 m2 environ) communique largement avec la salle à manger par une porte pliante à trois vantaux, s'éclaire en façade principale par une grande baie en plein cintre symétrique à celle du porche et fermée par un volet roulant en bois. Le studio communique aussi avec le hall par une porte à deux vantaux.

Ainsi le studio, la salle à manger, le hall forment un bel ensemble. Le mur latéral de gauche comporte au centre une cheminée en bois sculpté avec foyer en briques. Sur la cheminée se trouve une glace avec cadre en bois sculpté. De chaque côté de la cheminée se placent le piano et un grand casier à musique. En face se trouve une grande bibliothèque et au milieu, une table ovale entourée de sièges. La cheminée pourrait être encadrée comme celle de la salle à manger par deux placards-bibliothèques, le piano se trouvant sur le panneau d'en face.

L'escalier nous conduit au 1er étage sur un palier central où nous trouvons les portes de trois chambres, dont deux plus grandes, et de la salle de bains. La grande chambre de façade ouvre sur une loggia hexagonale en encorbellement portant sur une console en forme de vasque qui s'encastre entre les deux baies cintrées du rez-de-chaussée. Les piliers, la balustrade et l'entablement de la loggia sont en chêne, tournés et moulurés, dans l'esprit des ouvrages anciens du même genre. Le tout est coiffé par un clocheton hexagonal en charpente.

Du palier au 1er étage, l'escalier nous conduit au palier central du 2e étage, où nous trouvons un grand et un petit grenier devant, une grande chambre et une petite chambre derrière. Ces deux chambres sont éclairées par une grande lucarne portant trois fenêtres, deux pour la grande, une pour la petite.

Par l'escalier de descente de cave dont la porte se trouve à côté de la porte de cuisine, nous accédons au sous-sol, où nous trouvons un grand garage devant sous le studio, en face du portail gauche de clôture, et une buanderie derrière le garage. Une porte à trois vantaux sépare le garage et la buanderie. Il est donc possible, dans un cas urgent, de placer deux voitures l'une derrière l'autre en empiétant sur la buanderie. La chaufferie se trouve sous la cuisine, la cave sous le porche, le w.-c. et une partie du hall, avec agrandissement, sous le perron d'entrée.

Construction.

— Les murs sont en briques brutes pleines de 22 hourdées au mortier bâtard de chaux hydraulique et ciment, avec enduit taloche au mortier de ciment et badigeon au silexore. Ces briques brutes de la région parisienne, qui n'ont pas bel aspect, sont très dures et très isolantes, et permettent de réaliser des constructions extrêmement solides et confortables. Les planchers sont en béton armé, avec carrelages en grès cérame et parquets en chêne. La haute charpente est en sapin, mais, pour la partie principale, elle ne comporte que pannes et chevrons, le mur de refend montant jusqu'au toit rendant les fermes inutiles. Seul le clocheton hexagonal est plus « ouvrageux ».

Aspect extérieur.

— Malgré le peu de largeur de la façade, ce pavillon prend de l'importance par la saillie et l'élancement de sa crâneuse loggia. Sur la façade volontairement nue — les jardinières même sont invisibles et font corps avec le mur, — cette loggia apparaît comme un bijou précieux sur une robe unie. La console en forme de vasque qui s'évase parallèlement aux cintres des deux baies qui l'encadrent s'élance au-dessus d'une tête de satyre sculptée sur place dans un bloc de pierre d'Euville, par Germaine Sirine-Réal.

J'ai essayé de donner aux colonnes, aux balustres de loggia, des formes sveltes et souples. Les volets des fenêtres latérales du 1er étage sont en chêne massif : dans un cadre général rectangulaire, les lames forment des losanges concentriques, et un losange sur deux est en bois plus foncé. Le plafond en bois de la loggia est aussi en hexagones concentriques, que, par paresse, je n'ai point dessinés.

Je ne sais si ce pavillon conviendrait aux ergoteurs de l'esthétique... L'historien Pierre Champion l'aimait beaucoup : « Oh ! regarde, maman, la jolie maison ! », s'écria une petite fille peu de temps après l'achèvement, en pensant peut-être à sa poupée.

La maison n'est-elle pas aussi un joujou pour les grands !

Gérard Tissoire,

Architecte.

Le Chasseur Français N°647 Janvier 1951 Page 44