J'avais édifié ce petit pavillon, avant guerre, dans la
banlieue est de Paris, sur un terrain de 7 mètres de façade. La distribution
avait été étudiée pour le logement de deux personnes seulement, avec une
personne de service. Le nombre des pièces était donc assez réduit.
Au rez-de-chaussée : porche, entrée, w.-c., cuisine, grand
living-room à poutres apparentes avec escalier apparent décoratif dans le fond.
Au 1er étage : deux chambres avec loggia et bains.
Au comble : chambre de bonne et grenier.
Au sous-sol : garage, buanderie, chaufferie, cave.
En présentant aujourd'hui ce pavillon aux lecteurs du
Chasseur Français, je maintiens la façade et les accès dans leur réalité, mais
je modifie la distribution pour répondre à un programme plus général, et cette
adaptation a pu se faire sans aucune difficulté. J'ai donc prévu au
rez-de-chaussée : porche, hall avec escalier, w.-c., cuisine, studio et salle à
manger communicants. Au 1er étage : trois chambres, loggia, bains. Au comble et
au sous-sol : même distribution un peu agrandie.
Cette distribution est d'autant plus intéressante qu'elle a
été prévue pour une largeur de 7 mètres. Cette largeur se rencontrera souvent
en région parisienne, et spécialement sur les lots de 10 mètres de façade, très
nombreux dans les anciens lotissements.
Je vais donner un exemple concret.
J'étudie en ce moment un petit pavillon du type IV B devant
être construit en banlieue nord avec le bénéfice de la loi Loucheur. Tous les
terrains du quartier ont 10 mètres de large. J'avais établi mon premier projet
sur 8m,10 de façade, partant de la limite mitoyenne à gauche, laissant à droite
un passage de 1m,90, distance réglementaire pour les ouvertures d'après le Code
civil (vues directes), et, sur cette façade côté sud, je prévoyais des fenêtres
accrochant le soleil et donnant vue sur l'enfilade des jardins voisins. En
effet, les deux maisons construites à droite et à gauche ayant leur façade à 4
mètres de la rue, je plaçais la façade à 10 mètres en retrait pour dégager les
vues latérales. Je suis allé à la voirie du département de la Seine avec mon
client. Mon projet « collait » sur tous les points, sauf sur un seul : la marge
latérale de 1m,90 devait être portée à 3 mètres en vertu des nouveaux règlements
d'urbanisme, ou être supprimée, la maison occupant la largeur totale de 10
mètres. J'ai établi sur-le-champ un nouveau croquis pour la largeur de 7
mètres. Mon confrère l'architecte-voyer en a accepté le principe, et j'ai dit à
mon client : «Consolez-vous, le deuxième modèle sera mieux que le premier. » II
faut noter que les maisons à bon marché (ou à loyer modéré, comme on les
appelle aujourd'hui) sont les plus difficiles à étudier. Il s'agit, en effet,
de concilier les surfaces réglementaires du type choisi avec les besoins
particuliers de l'occupant, la forme et les dimensions du terrain,
l'orientation, et surtout avec la faible somme disponible. Les sociétés de
crédit immobilier de la Seine, ont donc agi sagement en exigeant que chaque
client ait son architecte. « L'architecte est une économie ! », clamait cet été
à Luchon l'hôtelier lettré Gayzard, que j'ai surnommé Ragueneau.
Distribution.
— Revenons à nos moutons, et faisons ensemble la visite du
pavillon familial en banlieue.
La clôture sur rue est formée par trois piliers en
maçonnerie avec dessus arrondi. Le pilier central a la forme d'une borne
kilométrique. De chaque côté se trouvent deux portails en chêne, l'un à gauche
pour l'entrée de l'auto vers le garage, l'autre à droite pour l'entrée des piétons.
Ouvrons le vantail gauche du portail de droite. Gravissons
les marches du perron séparées par deux paliers intermédiaires et bordées par
des murs formant jardinières. Nous arrivons sous le porche du pavillon par une
large baie en plein cintre. La partie basse de cette baie est fermée du côté
droit par un mur-bahut formant jardinières à sa partie supérieure.
En face du porche se trouve la porte d'entrée du hall, porte
en chêne dans une baie en plein cintre; avec panneau en ferronnerie portant au
milieu la lettre décorative B initiale du propriétaire constructeur. Ouvrant
cette porte, nous entrons dans le hall, où nous apercevons à droite l'escalier.
Dans ce hall, nous trouvons la porte des w.-c., la porte de descente de cave,
la porte de cuisine, la porte de la salle à manger, la porte à deux vantaux du
salon. Près de l'entrée se trouvent, à droite, un grand vestiaire, à gauche, un
petit. Au creux de l'escalier se place une banquette ou un vieux coffre.
La cuisine (10 m2 environ) s'éclaire en façade postérieure
par une fenêtre et par une porte-fenêtre d'où l'on accède au perron, qui
descend au jardin. Les éléments utiles sont rassemblés sur trois faces : évier
sous fenêtre avec un égouttoir de chaque côté, cuisinière à charbon, cuisinière
électrique, placard avec portes à coulisse, frigidaire. Au milieu se trouve la
table pour quatre ou six personnes. Une porte spéciale permet le passage direct
à la salle à manger, et cette porte est pourvue d'un guichet passe-plats.
La salle à manger (20 m2 environ) s'éclaire en façade
postérieure par une large baie fermée par un volet roulant en bois. Le mur
latéral extérieur est entièrement garni par un ensemble utilitaire et décoratif
formé par deux grands buffets-placards encadrant une grande cheminée rustique.
La partie basse des placards est à panneaux sculptés représentant des sujets
familiers.
Le studio (20 m2 environ) communique largement avec la salle
à manger par une porte pliante à trois vantaux, s'éclaire en façade principale
par une grande baie en plein cintre symétrique à celle du porche et fermée par
un volet roulant en bois. Le studio communique aussi avec le hall par une porte
à deux vantaux.
Ainsi le studio, la salle à manger, le hall forment un bel
ensemble. Le mur latéral de gauche comporte au centre une cheminée en bois
sculpté avec foyer en briques. Sur la cheminée se trouve une glace avec cadre
en bois sculpté. De chaque côté de la cheminée se placent le piano et un grand
casier à musique. En face se trouve une grande bibliothèque et au milieu, une table
ovale entourée de sièges. La cheminée pourrait être encadrée comme celle de la
salle à manger par deux placards-bibliothèques, le piano se trouvant sur le
panneau d'en face.
L'escalier nous conduit au 1er étage sur un palier central
où nous trouvons les portes de trois chambres, dont deux plus grandes, et de la
salle de bains. La grande chambre de façade ouvre sur une loggia hexagonale en
encorbellement portant sur une console en forme de vasque qui s'encastre entre
les deux baies cintrées du rez-de-chaussée. Les piliers, la balustrade et
l'entablement de la loggia sont en chêne, tournés et moulurés, dans l'esprit
des ouvrages anciens du même genre. Le tout est coiffé par un clocheton
hexagonal en charpente.
Du palier au 1er étage, l'escalier nous conduit au palier
central du 2e étage, où nous trouvons un grand et un petit grenier devant, une
grande chambre et une petite chambre derrière. Ces deux chambres sont éclairées
par une grande lucarne portant trois fenêtres, deux pour la grande, une pour la
petite.
Par l'escalier de descente de cave dont la porte se trouve à
côté de la porte de cuisine, nous accédons au sous-sol, où nous trouvons un
grand garage devant sous le studio, en face du portail gauche de clôture, et
une buanderie derrière le garage. Une porte à trois vantaux sépare le garage et
la buanderie. Il est donc possible, dans un cas urgent, de placer deux voitures
l'une derrière l'autre en empiétant sur la buanderie. La chaufferie se trouve
sous la cuisine, la cave sous le porche, le w.-c. et une partie du hall, avec
agrandissement, sous le perron d'entrée.
Construction.
— Les murs sont en briques brutes pleines de 22 hourdées au
mortier bâtard de chaux hydraulique et ciment, avec enduit taloche au mortier
de ciment et badigeon au silexore. Ces briques brutes de la région parisienne,
qui n'ont pas bel aspect, sont très dures et très isolantes, et permettent de
réaliser des constructions extrêmement solides et confortables. Les planchers
sont en béton armé, avec carrelages en grès cérame et parquets en chêne. La
haute charpente est en sapin, mais, pour la partie principale, elle ne comporte
que pannes et chevrons, le mur de refend montant jusqu'au toit rendant les
fermes inutiles. Seul le clocheton hexagonal est plus « ouvrageux ».
Aspect extérieur.
— Malgré le peu de largeur de la façade, ce pavillon prend
de l'importance par la saillie et l'élancement de sa crâneuse loggia. Sur la
façade volontairement nue — les jardinières même sont invisibles et font corps
avec le mur, — cette loggia apparaît comme un bijou précieux sur une robe unie.
La console en forme de vasque qui s'évase parallèlement aux cintres des deux
baies qui l'encadrent s'élance au-dessus d'une tête de satyre sculptée sur
place dans un bloc de pierre d'Euville, par Germaine Sirine-Réal.
J'ai essayé de donner aux colonnes, aux balustres de loggia,
des formes sveltes et souples. Les volets des fenêtres latérales du 1er étage
sont en chêne massif : dans un cadre général rectangulaire, les lames forment
des losanges concentriques, et un losange sur deux est en bois plus foncé. Le
plafond en bois de la loggia est aussi en hexagones concentriques, que, par
paresse, je n'ai point dessinés.
Je ne sais si ce pavillon conviendrait aux ergoteurs de
l'esthétique... L'historien Pierre Champion l'aimait beaucoup : « Oh ! regarde,
maman, la jolie maison ! », s'écria une petite fille peu de temps après
l'achèvement, en pensant peut-être à sa poupée.
La maison n'est-elle pas aussi un joujou pour les grands !
Gérard Tissoire,
Architecte.
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