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En flânant dans le passé

Vestes rouges et tabliers blancs.

— Sous Louis XVI, un million de Français portaient l'habit rouge ou le petit tablier blanc à mignonne bavette et à grandes poches carrées. Une femme de chambre était payée 80 francs, ce qui était fort honorable lorsque l'on songe qu'un puotier, petit gardeur de dindons, recevait 9 francs (par an, bien entendu), avec l'octroi gracieux d'une vieille veste et de deux vieilles paires de souliers...

Le roge, le plus petit berger, percevait 12 francs, tout compris ; l’égossier, gardeur de juments, 15 à 20 francs...

Il y avait aussi le bassibier, surveillant les brebis ; le pastour, second grand berger s'approchant du haut bout de la table ; le majoral, ou pasteur major, qui avait vingt-quatre ou trente bêtes à lui, mais un salaire de 15 francs seulement ; le botier (ou bouvier) recevait 140 francs, six hivernes et sa toile. Autour de ces notabilités, gravitaient les baylets, le menu peuple de la ferme, une dizaine d'hommes aux gages de 60 francs, qu'on mandait à souper en faisant souffler de la corne...

Les tarifs s'étalaient sur une large gamme pour le personnel domestique. Un laquais bénéficiait de l'habit écarlate galonné d'or et de 500 francs de gages annuels ; un valet de chambre, 800 francs, ce qui lui permettait de s'acheter poudre odorante, bas de soie, épée. L'intendant arborait un chapeau brodé en point d'Espagne; le maître d'hôtel, prenant tous les plats des mains des valets et les plaçant sur la table, empochait 2.000 francs l'année. Mais les domestiques du commun devaient se contenter de 200 francs...

Un fermier sous Louis XII.

— Le fermier vivant sous Louis XII, bon homme vêtu d'un habit et de chausses de couleur bise avec ceinture et escarcelle de peau de chèvre, le poil en dehors, houseaux ferrés montant à peine aux mollets, chapeau garni d'une Notre-Dame de plomb, habitait des bâtiments en belle pierre, avec voûtes et contreforts, d'un modèle pris visiblement sur les constructions du clergé. Mais le logement était sacrifié aux étables, aux greniers, aux granges...

Notre cultivateur transmettait à ses fils les recettes qu’il tenait de ses pères : lorsque le vin de l'an passé était âpre, vert, décoloré, il le mélangeait avec du vin vieux dans une barrique et, dans une autre, l'utilisait avec une préparation miellée, parfumée avec une infusion de roses. Jamais il ne labourait quinze jours avant ni quinze jours après la Saint Luce ; jamais il ne laissait tomber de grains sur les oreilles des chevaux et des bœufs, ceci afin d'éviter les mauvaises récoltes. Le blé de semence devait être passé à travers un crible en peau de loup. On marnait la terre argileuse et engraissait la terre sablonneuse ; selon les arbres fruitiers, le sol était traité différemment : de la chaux mélangée à la terre des cerisiers, de la cendre à celle des néfliers, du miel à celle des amandier ? Si l'on mêlait un peu de miel avec l'humus des semis, on pouvait être assuré que les fruits seraient très gros. Pommes et poires se conservaient enduites de terre glaise. On était assuré d'avoir des fruits sans noyaux en ôtant la moelle des jeunes arbres, mais ceux qui venaient dans les lieux humides « donnaient de l'enflure ».

Lorsque l'orage grondait, le fermier allait faire sonner les cloches pour écarter les démons. Lorsqu'il trouvait dans son pré des volailles qui n'étaient pas à lui, il tuait un oison et une poule et les jetaient hors des clôtures, afin de servir de leçon au voisin maléficieux.

L'esprit de Henri IV.

— L'esprit de Henri IV est bien connu, mais certaines de ses reparties le sont peu... Un opuscule de l'abbé Brizard, paru en 1785, à Paris, sous le titre : De l’Amour de Henri IV pour les lettres, en donnait à ce sujet qui ne manquaient point de sel ni de vigueur mordante.

L'abbé du Perron, présenté par la belle Gabrielle, l'entretenait de vers français, de contes plaisants, lui faisant des lectures jusqu'à l'endormir (il devint évêque d'Évreux).

— Sire, disait-il, je crois qu'on serait bien étonné si l'on savait à Rome que je vous lis les Amadis !

Comme il éludait la réfutation d'un ouvrage de Mornay, en se retranchant derrière l'espérance de documents massues venant de la ville des papes, Henri le railla spirituellement. Alors que l'abbé visitait avec le roi des bâtiments inachevés, l'architecte s'excuse :

— Ah ! je vois ce que c'est, sourit le monarque, vous attendez des manuscrits de Rome !

Un tailleur devenu avocat lui présente un livre rempli de projets et règlements prétendus nécessaires au bien de l'État. Henri IV prit le volume et se rendit vite compte de l'ineptie de l'auteur.

— Mon ami, dit-il à un de ses valets de chambre, allez me chercher mon chancelier pour me prendre la mesure d'un habit, puisque voici mon tailleur qui veut faire des lois !

Cependant, il recevait fort bien les avis et laissait une grande liberté de parler, d'imprimer et d'écrire. On voulait l'exciter contre l'auteur d'un écrit rempli de traits hardis sur la Cour :

— Je me ferais conscience de fâcher un honnête homme pour avoir dit la vérité ! s'écriait le roi. Et il ajoutait malicieusement :

— Avec mon connétable qui ne sait pas écrire et mon chancelier qui ne sait pas le latin, il n'y a rien que je ne sois en état d'entreprendre !

Un bel esprit lui déclarait :

— Sire, je fais des anagrammes, mais je suis fort pauvre...

— Je le crois, dit Henri, car vous faites un bien pauvre métier !

Et, voyant passer un mauvais poète en carrosse à six chevaux :

—Jamais il n'eût fait en France un si beau sixain que celui qui le tire !

Louis Smeysters.

Le Chasseur Français N°647 Janvier 1951 Page 56