Les vieilles armes, font la joie des collectionneurs, le
bonheur des érudits et le charme ornemental des foyers décorés avec art.
Cependant, il leur arrive de faire le désespoir des archéologues et historiens,
car tout le XIXe siècle fut la proie des copistes et faussaires et,
actuellement, plus des trois quarts des pièces offertes ne sont pas
authentiques. D'un autre côté, les besoins du cinéma pour ses figurations
historiques ont fait fabriquer d'une manière massive armes et armures, le plus
souvent avec du vieux fer, et il en résulte que l'on n'arrive plus que très
difficilement à découvrir de belles pièces offrant toutes garanties.
Trois sortes de pièces constituent les vieilles armes : celles
blanches, insignes de la chevalerie et de la noblesse ; celles de harnois ou
armures, et enfin celles d'hast ou de hampe, qui, durant des millénaires,
armèrent la masse de la troupe, de la « ribaudaille » selon le terme
médiéval.
Chronologiquement, les armes d'hast sont les plus anciennes
qui soient, car essentiellement défensives et tirant leurs origines du simple
bâton.
Historiquement, l'arme d'hast sert à retracer toute
l'histoire de l'armement individuel, et, par ses modifications, ses
changements, ses créations, retrace toute l'évolution du combat.
On trouve les armes d'hast dans les mains des croisés, des
chevaliers, des gens d'armes, comme dans celles des piétons de la guerre de
Cent Ans, des mercenaires des grandes compagnies, à l'époque de la Jacquerie,
aux temps des Maillotins, et même au cours de certaines sanglantes journées de
la Révolution.
Ce sont elles aussi qui armèrent pendant des siècles les
brillants champions des tournois, des joutes et des pas d'armes. Toutes les
guerres de l'Empire et du XIXe siècle, celle de 1914 à 1918 ont même connu
l'emploi de quelques-unes d'entre elles, comme la lance et la baïonnette.
Certaines proviennent de l'adaptation d'un outil civil à des
fins militaires, lors de levées en masse, comme le trident et la faux.
Toutefois, l'arme d'hast utilisée essentiellement par la
troupe fut en général « uniforme » aux périodes normales. Mais l'invasion des
Francs, surclassant avec l'angon et la framée les piques de la phalange
gallo-romaine, rompit cependant ce principe.
Les Carolingiens adoptèrent la framée, plus courte que la
pique romaine. Elle évolua avec l'adjonction de deux ailerons. Mais lances et
piques restèrent toujours les meilleurs armements.
Certaines armes d'hast furent spécialisées pour la. chasse
et la pêche, avec des caractéristiques modifiées.
La tapisserie de Bayeux, les figurations des croisades
prêchées par Pierre l’Ermite montrent certaines évolutions et multiplications
de variétés par l'obligation d'armer avec des moyens de fortune. Paysans et
serfs, manants et vilains formaient la grande masse des croisés. On fit appel à
leurs outils habituels avec de simples adaptations militaires : la fourche, la
serpe, le coutre de charrue, la hache, la faux, le fléau se métamorphosèrent en
armes redoutables.
Durant deux siècles, les croisades généralisèrent ces
emplois. Il en fut de même au moment de la Jacquerie. C'est ainsi que de
l'antique pique on passe aux maniements en taille et en estoc, c'est-à-dire
utilisant le tranchant ou la pointe, simultanément, avec des hampes devenues
plus courtes. Puis il y a spécialisation de certaines de ces armes pour que
chaque homme d'arme puisse mieux utiliser ses aptitudes spéciales ou
personnelles.
Aux XVe et XVIe siècles, les types archaïques disparaissent
et d'autres évoluent : pique, masse, épieu, fauchard, hallebarde, pertuisane,
vouge, guisarmes, espontons compliquent à plaisir leurs formes, et l'on aboutit
alors à l'arme décorative gravée, ornée, guillochée, damasquinée.
On arrive alors, avec certaines cours princières, la papauté
et la cour royale, à l'arme de grand apparat pour les gardes du corps, les Cent
Gardes, la garde suisse, etc., etc. On la trouve encore actuellement au
Vatican, pour les suisses d'église et dans la marine, selon la vieille
tradition pour le « hallebardier de l'amiral ».
Si les épées, sabres et dagues étaient fabriqués par les
armuriers, les armes d'hast étaient un monopole des couteliers pour leurs fers
et des boîtiers et coffriers pour les hampes.
La classification des armes d'hast est extrêmement compliquée,
surtout en ce qui concerne certains modèles hybrides aux formes chevauchantes.
Historiquement, on peut les réunir sous deux grands types :
d'un côté pertuisane, masse, corsèque, dérivés de la pique
et toujours symétriques ; d'un autre, hallebarde, vouge, couteau de brèche,
etc., dérivés de la hache, du marteau, de la serpe, et toujours dissymétriques.
On préfère toutefois la classification d'après l'usage. On a alors six
catégories : 1° pour combattre à pied avec de longues hampes, servant à
l'attaque, avec parfois des crochets ou ailerons pour désarçonner l'adversaire ;
2° pour se saisir uniquement de l'ennemi ; 3° pour compléter une arme à feu ;
4° pour combattre à pied et à cheval ; 5° pour le jet et enfin, 6°, pour le
combat à cheval.
On arrive ainsi à 41 catégories, qui ont été étudiées par un
savant érudit, Charles Bouttin, rédacteur d'autant de notices. Trois
collections sont particulièrement et justement célèbres, celles du Musée des
Invalides et du musée Masséna, à Nice, avec en plus la collection personnelle
d'un Toulousain devenu Parisien : Georges Paulhac. Mais il y a aussi de petites
collections qui, si elles ne représentent pas plusieurs milliards de francs
comme les précédentes, restent toutefois très remarquables.
Il y a aussi les armes d'hast d'apparat, ou même simplement
ornées, ou de caractères aberrants. Elles méritent des mentions spéciales.
Les plus belles sont incontestablement certaines pertuisanes.
Hélas ! leurs formes similaires à certains glaives du XVe siècle, beaucoup
plus prisés des amateurs, a tenté d'habiles faussaires. C'est une lame d'épée
large, avec, à la base, deux crocs, et parfois quatre. En France, donnée aux
soldats d'élite, elle devint, après 1670, l'insigne des officiers. Mais, dès
Henri IV et Louis XIII, elles deviennent l'armement spécial des gardes de la
Cour, assimilés aux officiers par préséance.
Les pertuisanes des gardes de la Manche de Louis XIV sont de
véritables oeuvres d'art, frangées d'argent à la hampe et aux fers à lames
damasquinées et richement ornées, repercées à jour et ciselées en haut relief,
gravées de devises et de figures du char d'Apollon, de la tête de la Renommée,
de couronnes de lauriers, de mappemondes fleurdelisées.
Toutes les cours d'Europe imitèrent alors Versailles, avec
la duchesse Christine, les rois Victor-Amédée II, Charles-Emmanuel III, mais
resteront de magnificence inférieure à ce que donnèrent celles des gardes du
corps de Louis XVI et de la Garde royale des Cent Suisses. Ces dernières sont
armoriées en or. Ces pièces rarissimes valent plusieurs centaines de milliers
de francs.
La hallebarde est, à l'inverse de la précédente, une
arme dissymétrique rappelant la forme de la hache avec un « bec de faucon »
du côté opposé. Les plus anciennes datent de 1481, commandées par Louis XI, qui
les emprunta aux Allemands. Mais elles subirent une certaine influence du « vouge »
suisse.
Dans les modèles d'apparat, le tranchant de la hache
s'incurva de plus en plus, jusqu'à devenir un croissant, et se hérissa de pointes,
de crochets d'ornements à jour, le tout presque toujours accompagné de
gravures. Le bec se compliquera également de toutes sortes d'ornements aux
formes parfois bizarres.
Hormis le désarçonneur, qui est une fourche à trois
pointes, en forme de lyre, il n'y a guère que trois armes d'apparat que l'on
trouve décorées : le fauchard, le vouge et le couse, ou couteau de brèche. Tous
les trois affectent la forme d'un coutre de charrue et ne diffèrent en quelque
sorte que par le système de monture.
Le fauchard est monté en bout de hampe, et le couse
également ; il diffère toutefois du premier en ce qu'il est totalement désaxé
et comporte une pointe vers le bas, à l'inverse du fauchard, presque symétrique
et souvent avec deux ardillons à la base. Le vouge est surtout d'origine
suisse, et sa lame se trouve fixée par deux bagues sur la hampe.
Tous les décors usuels des hallebardes et pertuisanes s'y
retrouvent.
Il est heureux que, par les temps actuels de modernisme à
outrance, les armes d'hast semblent reprendre une certaine faveur dans la
décoration des studios, cabinets de travail et halls modernes. Un fait curieux
freine cependant cet essor ; certaines régions de la France surabondent de ces
armes dans les vieilles familles, et d'autres n'en peuvent trouver. Le marché
de ces pièces historiques s'en trouve alors déséquilibré et elles sont sans
valeur en quelques contrées et surpayées en d'autres.
On ne saurait terminer cette fresque sans rendre hommage à
l'effort de diverses associations d'amateurs pour faire connaître ces documents
du passé, les faire aimer et estimer. Elles sont le témoignage concret de la
gloire militaire de la France. On doit aussi marquer une gratitude spéciale à ce
producteur de figurines historiques, Jacques Mignot, historien et archéologue,
dont les petits soldats de plomb servent merveilleusement à enseigner
l'histoire militaire, celle du costume, et aussi à charmer maints
collectionneurs.
Janine Cacciaguerra.
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