Au moment où nos enfants viennent de rentrer au lycée, il nons
paraît intéressant d'évoquer, à grands traits, ce qu'était la vie des petits
collégiens de jadis.
Sous l’ancien régime, il existait deux catégories d'élèves :
les boursiers et les pensionnaires. Il y avait des collèges de plein exercice,
où l'on pouvait faire toutes ses classes comme dans nos lycées actuels, et des
petits collèges qui se bornaient à loger et à nourrir les jeunes garçons
suivant les cours des grands collèges. « Le taux de la pension, écrit A. Franklin,
un des érudits les mieux informés de cette question, n'était ni arbitraire ni
invariable. L'article 67 des statuts de l'Université ordonnait qu'il fût fixé,
chaque année, d’après le cours des denrées, dans une séance tenue au Châtelet,
et à laquelle assistaient le recteur, les doyens des quatre facultés, les
principaux des collèges et deux marchands de Paris. Quant à l'instruction, à
dater du XVIIIe siècle, elle devient gratuite dans tous les établissements
dépendant de l'Université. »
Suivant une tradition fort longtemps en usage, la chère de
ces établissements était très frugale, pour ne pas dire plus. Sous Louis XIII,
l'écolier note, non sans mélancolie, que les maux dont il souffre commencent
tous par un p : « pédant, peine,peur, punition, prison, pauvreté,
petite portion, poux, puces, punaises ». Cette jeunesse doit se contenter
de brouets spartiates d'où sont exclus les raves, les salades, la moutarde et
le vinaigre, sous prétexte qu'ils excitent trop l'appétit ! « De temps à
autre, écrit spirituellement Louis Batiffol, le principal fait un petit
discours sur l'abstinence et ses avantages ; il cite Cicéron et sa sentence
reprise par Molière :
« Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger ! »
Comme punition, il infligera de préférence quelques jours de jeûne au pain et à
l'eau, manière honnête de pratiquer l'économie. On remarquera aussi cette
pratique salutaire qui consistera à donner au domestique chargé de distribuer
le goûter, l'après-midi, quelque bonne commission à faire, très loin, juste à
l'heure de ce goûter, ce qui permettra d'oublier celui-ci, en apparence par
mégarde. »
Dans les établissements de province, les salles ne sont pas
luxueuses, tant s'en faut. Le futur capitaine Godet, dans ses Mémoires,
rapporte que, dans son enfance, il fut placé (vers 1780) en pension chez les
Jésuites de Nantua, où il devait se contenter, après une bonne place au foyer
paternel, « à la place de bois, de la chaleur rendue par une trappe, sous
une table éclairée par une mauvaise lampe établie sur le fond d'un pot renversé ».
Il ne fut guère mieux chez les Oratoriens de Lyon, où la classe avait lieu dans
une pièce basse, mal éclairée, et où certains enfants avaient peine à voir ce
qui était écrit au tableau noir.
Après la Révolution, l'organisation de l'Université par
Napoléon 1er changea la physionomie de ces maisons d'éducation. A la
fin de l'Empire, les lycéens impériaux étaient menés au tambour et à la
baguette, ils apprenaient le latin sur un rythme militaire et se préparaient à
grossir un jour les rangs de la Grande Armée sous la direction d'officiers
instructeurs. L'uniforme de ces jeunes gens est martial, ils portent le shako !
Ils sont d’ailleurs divisés en compagnies avec des gradés. Comme récompenses,
on leur attache sur la poitrine une croix d'honneur, comme à un vieux grognard
d'Austerlitz. Cet état de choses n'était évidemment pas du goût de tout le
monde, et Lamennais pouvait écrire, à ce sujet, en parlant des lycées impériaux
: « Il y régnait, avec je ne sais quelle fureur militaire, un effrayant aspect
d'impiété et une immoralité profonde. » Le retour des Bourbons opéra un
revirement profond dans ces habitudes estudiantines. Les candidats au concours
général furent obligés de célébrer en vers latins la gloire d'Henri IV ou
encore d'aligner des phrases émues sur le testament de Louis XVI au Temple.
Mais cette turbulente jeunesse, souvent bonapartiste, était fréquemment en
révolution, huait et même blessait les professeurs ayant eu le malheur de leur
déplaire. Effrayé, le proviseur de Versailles proposait le rétablissement du
corset de prison, en usage déjà au lycée Henri IV ! On tenta même de
claustrer complètement les collégiens, de leur supprimer,progressivement, toutes
sorties ou vacances, « une des principales causes du dérèglement des
pensionnaires ».
Les repas eux-mêmes étaient l'occasion d'une mise en scène.
En 1810, voici comment les lycéens déjeunaient :
« Proviseur, censeur des études, professeurs
célibataires, maîtres d'étude, élèves, tous mangent ensemble. Que Votre
Excellence (le grand maître de l’Université) daigne se représenter une vaste
salle de soixante pas de long sur seize de large, une table à l'orient, qui
tient toute la largeur, deux tables au midi et au nord, dans toute la longueur
; le proviseur au milieu, ayant à sa droite les professeurs, à sa gauche les
maîtres d'études ; les élèves formant quatre lignes, un pilier vers le centre
avec une chaire, et un lecteur, tout le monde dans la plus belle tenue, et le
silence le plus profond et le plus religieux ; et Votre Excellence aura une
idée exacte des repas qui se font au lycée de Besançon ; il n'est point de
spectacle plus imposant... » Ni aussi, sans aucun doute, plus ennuyeux
pour les acteur.
Les souvenirs très pittoresques et vivants de F. Bouquet sur
sa vie au collège de Rouen, vers 1830, nous donnent sur cet établissement des
renseignements très précieux. Voici tout d'abord comment il dépeint le bagage
d'un potache contemporain de Louis-Philippe : « L'attirail d'un externe de ce
temps-là était assez nombreux et assez gênant, au moins dans les classes de
grammaire. Il lui fallait apporter trois ou quatre livres pour les leçons, un
ou deux pour les auteurs, et trois cahiers pour la dictée des textes, le brouillon
et les corrigés. Les jours de composition, les dictionnaires remplaçaient ce
qu'on laissait à la pension, et la charge ne diminuait pas en changeant de
nature, bien au contraire. Pour y suffire, l'externe se servait d'une sangle de
cuir, percée de plusieurs trous, avec une boucle munie d'un ardillon, qui
aidait à retenir et à transporter un peu plus commodément tous ces impedimenta
scolaires. Il fallait aussi porter un encrier, généralement en corne, divisé en
deux parties, réunies à l'aide d'une vis, ce qui ne l'empêchait pas de s'ouvrir
bien souvent dans la poche, au grand dommage de celle-ci d'abord et des autres
vêtements. Une plume d'oie (car la plume de fer n'était pas encore inventée) en
était l'accompagnement obligé, avec un canif pour la tailler, quand elle
subissait des avaries imprévues en route. »
Les professeurs étaient alors fort solennels. Ils portaient
la robe et la toque, et y ajoutaient le rabat lorsqu'un inspecteur venait leur
rendre visite. Ils avaient la figure rasée et une cravate blanche. Les salles
de classe étaient peu luxueuses : une chaire pour le maître, deux bancs dits
d'honneur et d'autres fixés le long des murailles, couverts de graffiti, œuvres
de plusieurs générations de collégiens.
L'Université royale avait conservé la récompense impériale :
« Sous le Restauration, il existait, écrit Bouquet, une croix d'argent destinée
à l'élève qui avait obtenu la première place. Sa forme était celle d'une étoile
à cinq branches avec une fleur de lis dorée sur le centre. Une petite chaînette
de même métal servait à l'attacher à la boutonnière, et, après l'avoir portée
une quinzaine de jours, celui qui l'avait reçue la remettait au proviseur, à
son entrée en classe, et le proviseur la donnait à l'élève proclamé premier.
Cette croix jouait alors un grand rôle dans la vie du collège. »
Les enfants restaient alors très longtemps sur les bancs du
lycée. Ils entraient en sixième vers l'âge de treize ans et terminaient leurs
études vers dix-neuf ou vingt ans ; un bachelier de seize ans eût été, à cette
époque, un véritable phénomène. Les classes étaient parfois, comme aujourd'hui,
trop encombrées ; à Rouen, en troisième, en 1832, les professeurs devaient
enseigner le latin ou l'allemand à soixante-quatorze potaches, chiffre trop
considérable, évidemment.
La distribution des prix terminait l'année scolaire. Les
lauréats recevaient des livres reliés aux armes de la ville et ceignaient leur
crâne de couronnes de chêne véritable. C'était un beau jour, précurseur des
vacances, où ils oubliaient les éternels haricots, les heures longues des
études, la crasse séculaire des pupitres...
Roger Vaultier.
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